« Choc des savoirs : pas de moyens, pas d’enseignants, pas d’anticipation. Un choc pour nous ». Plus de 10 000 personnels de direction ont participé au webinaire animé par G. Attal et N. Belloubet le 14 mars. Plus le Café pédagogique qui s’est invité dans l’événement. Le premier ministre a éclipsé sa ministre. Les personnels de direction ont manifesté leur opposition à la réforme et leurs doutes sur sa faisabilité. Mais les textes paraitront samedi au journal officiel. Ils ne seront pas sans conséquences sur les services enseignants.
Attal occupe l’espace de Belloubet
Annoncé au dernier moment, le webinaire ministériel sur le choc des savoirs réunit jusqu’à 10 500 personnels de direction. Il se termine une heure plus tôt que prévu, les ministres étant assaillis de questions sans avoir de réponses convaincantes. On a déjà vu le président de la République transformer son ministre de l’éducation en potiche. Là, durant plus d’une heure, Gabriel Attal accapare la parole, répondant à des questions d’organisation comme s’il est encore ministre de l’éducation. Les questions des personnels de direction portent très majoritairement leurs doutes sur la réforme, son utilité et sa faisabilité.
« J’ai pris l’engagement de porter à Matignon la cause de l’Ecole », dit d’emblée G. Attal. C’est ce qui l’autorise à aborder tous les points de la réforme laissant très peu d’espace à Nicole Belloubet. Celle-ci est à la peine pour faire entendre ses nuances.
« Qu’importe qu’on les appelle groupes de niveau ou de besoin. L’important c’est qu’il y ait la mesure et qu’elle permette la progression de tous« , explique G Attal en présentant le choc des savoirs. Pour lui, les groupes de niveau (qu’il appelle parfois seulement groupes) « sont une mesure d’égalité« . La preuve c’est que « ceux qui ont acquis plus de facilité pourront aller plus loin ». Le 1er ministre promet qu’on pourra changer de groupe: « c’est le but de la démarche« . Il dit qu’il « faut de la souplesse dans les établissements pour l’organisation des groupes« . Il promet même que « si dans telle académie on se rend compte que des postes sont nécessaires, on regardera pour adapter« . Comme s’il ne venait pas de reprendre 700 millions, dont 500 de salaires, à l’Education nationale. N. Belloubet arrive à glisser qu’il faut « l’élévation du niveau mais aussi résorber les inégalités sociales et scolaires ». Les groupes sont un élément d’un projet qui comprend aussi la révision des programmes du cycle 1 à 4 de 2024 à 2026 et la labellisation des manuels, « un outil important pour soutenir les professeurs« .
Un impact lourd sur le travail enseignant
Concrètement, les textes devraient paraitre au journal officiel de samedi et à un B.O. lundi. « On a conçu les choses pour que le principe soit le groupe mais avec une dérogation : la possibilité de retrouver la classe entière sur une période allant jusqu’à 10 semaines dans l’année« . Cette ou ces périodes de classe entière doivent permettre de rebattre les groupes.
« Cela veut dire que les équipes de français et de maths devront travailler étroitement ensemble pour construire leur progression pédagogique » dit N. Belloubet. La progression devra être suffisamment identique pour que les élèves puissent changer de groupe. Deux demi-journées seront banalisées en juin à cet effet. »Il n’y a pas de modèle unique. Ce modèle est à construire établissement par établissement », dit la ministre. « On fixe le cadre. Après vous apprécierez comment constituer les groupes et harmoniser les progressions pédagogiques« . Elle affirme aussi qu’il « va falloir des barrettes. C’est indispensable« . Des ressources type vademecum seront en ligne sur Eduscol.
Une réflexion à venir sur l’école inclusive
La ministre est aussi intervenue sur le devenir des élèves à besoin particulier. Si G. Attal ne voit aucune contradiction entre les groupes et l’école inclusive, N Belloubet montre une écoute au problème. « On doit arriver à épauler nos enseignants. Je vois là une véritable urgence », dit-elle. Reste à définir quoi faire…
De nouveaux moyens pour les personnels de direction
Gabriel Attal a trois arguments pour faire passer sa réforme. D’une part, il dit que « à la fin il y a un gouvernement élu par les Français qui prend les décisions et les fait appliquer ». Il explique que sa réforme est soufflée par A. Schleicher, directeur de l’éducation de l’OCDE, sans répondre aux demandes de précision. Et finalement il énumère tous les avantages sonnants et trébuchants qu’il réserve aux personnels de direction. Au total ce sont 27.5 millions qui sont prévus par an pour les 15 500 personnels de direction. « Votre rémunération augmentera en moyenne de 1800 € par an« , promet G Attal. Et finalement interrompt le webinaire près d’une heure avant l’heure prévue.
Les perdirs font de la résistance
C’est que les deux ministres sont assaillis de questions et de remarques négatives. Leurs représentants syndicaux sont unanimement contre les groupes de niveau. Pour le Snpden Unsa, Bruno Bobkiewicz remarque qu’il « faut donner une marge suffisante » pour l’application de la réforme. « Non aux groupes de niveau, oui aux groupes à géométrie variable. Nous utiliserons toutes les marges d’autonomie données par les textes. Il faut un nombre d’heures plus importants », dit-il. Pour ID Fo, Agnès Andersen, estime que la marge d’autonomie revient à confier aux personnels de direction « tout ce que cette réforme n’aura ni pensé ni anticipé« . Elle rappelle que les principaux doivent argumenter devant des équipes hostiles et sans textes. Elle demande le retrait de la réforme. Mme Perron, pour le Sgen Cfdt, manifeste son opposition « aux modalités pédagogiques des groupes de niveau antagoniques aux valeurs qui sont celle de notre organisation« .
Mais le plus important dans ce webinaire c’est l’avalanche de remarques et questions posées par les personnels de direction. La très grande majorité montre leur opposition et leurs inquiétudes. » Les réformes se succèdent sans évaluation, ni bilan… Nous ne sommes pas écoutés, ni nous, ni les experts, nous n’avons aucune autonomie pour faire au mieux dans notre établissement avec le peu de moyens donnés, … Nous sommes fatigués !« , dit un principal. » Les réactions sont extrêmement nombreuses et négatives envers vos annonces. Qu’en sera t-il, de la prise en compte de toutes ces remarques qui vous indiquent que nous ne sommes pas en mesure de préparer une rentrée scolaire dans les conditions actuelles ?…« , dit un autre.
La plupart des remarques portent sur les moyens. « Comment organiser des groupes de niveaux profitables aux élèves avec des moyens constants et 50 % des élèves de mon collège très faibles en mathématiques et en français ? Les groupes ne sont pas réalistes : nous n’avons ni les moyens ni les enseignants« , affirme un chef d’établissement. « A l’heure actuelle, nous avons des élèves sans cours de mathématiques faute de suppléants. Des recrutements massifs sont-ils prévus pour que chaque classe ait un enseignant dans chaque discipline? Avez-vous assez de salles pour organiser tous ces groupes ? » Et il y a les autres questions : » Comment mettre en place des groupes de besoins sans profs ? comment préparer une rentrée sans moyens horaires supplémentaires et en étant contraint de supprimer tous les dispositifs relevant jusqu’à présent de la marge d’autonomie de l’établissement ? » » Les TP de sciences et les langues rares vont disparaitre. Comment faire aimer les sciences sans TP ? Nous n’aurons plus les moyens de les financer. C’est dommage. » « 4 divisions en 6è avec 1 effectif attendu de 105 élèves. Un nombre d’élèves en difficulté estimé à 15 vu les évaluation nationales 2023. Donc 3 groupes à 30 sur l’effectif restant puisque pas de moyen affecté. Quelle flexibilité possible? »
Une réforme qui porte l’annualisation
On entre là dans le détail de l’application des mesures, pour laquelle les deux ministres sont sans réponse. » Mais enfin comment passeront-ils d’un groupe à un autre? Les élèves du groupe « faible » auront toujours du retard par rapport aux autres groupes! et quid des progressions pédagogiques??? » » Et TECHNIQUEMENT comment changer continuellement des emplois du temps ? »
Cette dernière question intéresse tous les enseignants. Si la période de retour en classe entière des élèves semble une concession obtenue de N. Belloubet, elle pose un nouveau défi pour la conception des emplois du temps. La solution est susurrée depuis des années par la Cour des Comptes et la droite sénatoriale. C’est l’annualisation des services. Une réforme qui permettrait de nouvelles économies budgétaires au détriment des enseignants.
François Jarraud