Que faire pour améliorer les remplacements de courte durée dans le second degré ? Tout casser, répond la Cour des Comptes dans un nouveau rapport. Il suffit de revenir sur les obligations réglementaires de service en commençant par annualiser les services d’enseignement. Puis installer la bivalence, supprimer les accords PPCR et faire évaluer les enseignants par les chefs d’établissement pour qu’ils se plient aux besoins des établissements. Aurait-on pour autant résolu tous les problèmes quand on sait que la moitié des absences non remplacées viennent de demandes institutionnelles (jury, examens , formations etc.) et l’autre… du manque de remplaçants ? Sans doute pas. Mais ce missile lancé en début de campagne des présidentielles pourrait toucher sa cible. Même si JM Blanquer semble mettre peu de zèle à remettre en question la situation actuelle.
Que sait-on des absences non remplacées dans le second degré ?
« À moyen terme, il conviendrait d’alléger les barrières liées aux rigidités de gestion des enseignants (obligations de service trop strictement hebdomadaires, monovalence, rôle trop limité du chef d’établissement) et d’introduire une plus grande souplesse, faisant appel aux bonnes pratiques développées au sein de certains établissements ». Le rapport sur » la gestion des absences des enseignants » apporte de nombreuses informations sur les absences des enseignants et évalue pour la première fois leur coût. Pour autant il aboutit aux mêmes préconisations de la Cour depuis une décennie.
Si dans le premier degré la gestion des absences des enseignants est assez transparente et bien documentée, il n’en va pas de même dans le second degré, assure la Cour. Elle déplore le manque d’indicateurs. Selon elle, un tiers des absences sont liées à des congé maladie, 20% pour la formation continue, 12% pour garde d’enfant malade, 3% pour des absences autorisées dans le cadre des REP, 2% pour des réunions pédagogiques et autant pour des sorties pédagogiques. Autrement dit une bonne partie de ces absences de professeurs correspondent à des missions d’enseignement et au fonctionnement normal du système éducatif. Ces absences là représentent de 20 à 40% de toutes les absences de courte durée. C’est pour cela que la Cour, on le verra, veut changer le système dans le second degré.
La Cour sait aussi que les enseignants prennent moins de congés que les autres catégories de salariés. En 2019 on comptait 2.6% d’absents sur une semaine type chez les enseignants, 3.2% chez les fonctionnaires de l’Etat, 5.1 dans la territoriale , 4.6 chez les hospitaliers et 3.9 dans le secteur privé. Pour les seuls congés maladie, la moitié des enseignants n’en prend pas sur une année. Un quart en prend un une fois. La fréquence dépend du sexe (notamment avec les congés maternité), de l’âge et de l’affectation, les enseignants de l’éducation prioritaire étant davantage malades. On mesure ainsi l’urgence que constituent les absences des enseignants par rapport aux autres professions.
Là dedans on compte 2.5 millions d’heures correspondant à des absences de courte durée dans le second degré. Ce sont elles surtout qui ne sont pas remplacées. Selon la Cour 500 000 heures ne sont pas remplacées par an. Ce nombre est à mettre en rapport avec les 6 millions d’élèves du second degré. On pourrait estimer qu’en moyenne chaque élève perd 2 heures et demi de classe par an.
4 milliards à récupérer
La Cour des Comptes est là pour veiller aux deniers de l’Etat. Elle s’est donc intéressée au coût des absences. Pour le ministère il s’établit à 2.5 milliards en 2018. Ce coût correspond aux salaires des remplaçants qu’ils soient contractuels ou titulaires. Ce calcul ne satisfait pas la Cour qui y ajoute les absences non remplacées considérées comme un surcoût puisque l’enseignant non remplacé est payé et qu’aucun service n’est rendu ce qui conduit la Cour à un total de 4 milliards. Ce sont ces 4 milliards qu’il faut récupérer.
Comment faire ?
Mais comment faire ? La Cour des Comptes reconnait elle-même que ce n’est pas simple. » Le constat dressé par la Cour en 2015 selon lequel, « la possibilité [de trouver au sein de l’établissement des remplacements] se heurte à de multiples obstacles pratiques: contraintes d’emploi du temps et de locaux, réticence des enseignants, niveau de rémunération, désapprobation syndicale », demeure intact », dit-elle.
Il en est ainsi des absences pour formation. Même si la loi Blanquer a fait passer dans un décret des formations hors temps scolaires, celles ci ne représentent que 2 à 3% du volume des formations selon la Cour. La Cour met aussi dans les absences de courte durée souvent non remplacées les pondérations des esneignants en REP. Elle demande leur suppression. » La Cour considère que, en particulier pour l’éducation prioritaire, dans un contexte de tension sur la ressource enseignante et de faiblesse du taux de remplacement des absences de courte durée, il conviendrait de s’interroger sur un remplacement progressif de cette pondération par une revalorisation indemnitaire ». C’est d’ailleurs ce qui progresse déjà sur le terrain. Elle demande aussi un controle sérieux des congés maladie, même si elle souligne le faible nombre de médecins de prévention dans l’Education nationale (66ETP pour 1 million de professeurs).
Annualiser les services
Il faut donc « des évolutions indispensables », selon la Cour. Notamment en matière statutaire. » La définition d’un temps de travail sur une base hebdomadaire ne permet pas de prendre en compte les variations d’intensité qui peuvent être constatées au cours de l’année scolaire. Le maintien d’un mode d’organisation du temps de travail basé sur une logique hebdomadaire limite la possibilité d’introduire des modalités de remplacement souples pour les absences de courte durée », écrit la Cour. Allant plus loin dans le détail, la Cour estime que » des emplois du temps, regroupés sur un nombre limité de jours, réduisent d’autant le vivier d’enseignants susceptibles d’être mobilisés » pour des remplacements.
Ce que demande la Cour c’est l’annualisation des temps de service. » L’absence d’annualisation partielle du temps de service […] réduit les possibilités de redistribution du temps d’enseignement sur l’ensemble de l’année scolaire, et renchérit notamment le coût des heures de remplacement ». Elle se félicite d’ailleurs des évolutions récentes comme l’article 38 de la loi Blanquer qui prévoit des expérimentations permettant cette annualisation.
Inclure le remplacement dans les obligations de service
Il s’agit aussi de modifier les obligations réglementaires de service (ORS) des enseignants. La Cour souhaite que la formation continue entre dans les ORS du 2d degré comme c’est le cas dans le 1er degré. La loi Blanquer permet des formations hors temps scolaire. La Cour note aussi que la plateforme Magistère permet de déplacer des formations en dehors de ce temps.
La Cour veut « étendre le champ des ORS à de nouvelles missions ». » La Cour avait recommandé en 2017 d’annualiser les obligations de service des enseignants du second degré, en prévoyant notamment un contingent d’heures effectuées au sein de l’établissement au titre des missions liées à l’enseignement, en réservant dans un premier temps ce cadre aux nouveaux enseignants devant être titularisés. Cette recommandation reste d’actualité. Enfin, pour améliorer le remplacement des absences de courte durée, par exemple à l’occasion des voyages et des sorties scolaires, le remplacement de courte durée devrait être intégré aux obligations réglementaires de service des enseignants selon un volume horaire plafonné compatible avec leurs autres missions ».
Bivalence
Une autre piste est la bivalence qui permet de gérer plus facilement les remplacements. » L’obtention d’une mention complémentaire pour enseigner dans une seconde discipline introduirait de la souplesse dans les emplois du temps et augmenterait le vivier de remplaçants en cas d’absence d’un enseignant ».
Faire obéir les enseignants
Enfin il faut le moteur de ces changements. Pour que les enseignants travaillent davantage il faut qu’un chef les y incite. La Cour demande de « renforcer les prérogatives de l’encadrement » pour « donner aux chefs d’établissement de réels moyens de limiter les absences de courte durée ». Pour cela il faut que les chefs d’établissement puissnet davantage estimer l’intensité du travail de chaque enseignant. » Pour s’orienter dans cette voie, l’actuel dispositif d’évaluation des enseignants, aujourd’hui limité aux trois rendez-vous de carrière définis lors de la mise en oeuvre du parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR) en 2017, pourrait évoluer ». On rejoint là aussi une recommandation du Grenelle de l’éducation. Remplacer l’avancement à l’ancienneté par un avancement au mérite évalué par le chef direct est demandé par le Grenelle.
Des mesures qui vont au delà des économies annoncées
On a vu que la Cour estime qu’avec ces mesures elle récupèrerait le coût des heures de cours perdues. Elle les évalue au double du ministère à 4 milliards. Mais en réalité les mesures envisagées vont bien au delà.
En apparence l’annualisation ne change rien au temps de travail des enseignants. Mais en réalité, on vient de le voir, les enseignants n’effectuent pas toutes les heures de cours devant élèves du fait des autres demandes institutionnelles (aller à un jury, faire passer un examen etc.) ou des événements qui perturbent l’emploi du temps (jours fériés par exemple). Avec l’annualisation, quoiqu’il arrive l’enseignant doit ses heures de cours. Le simple fait d’annualiser correspond à un gain appréciable d’heures de cours. Probablement de l’ordre de 20 à 30 000 emplois. C’est à dire un gain d’environ 1.5 milliard.
La bivalence choque beaucoup les enseignants dont l’identité est liée à leur discipline. Mais c’est aussi une gestion plus intéressante des postes. En 2013 la Cour avait calculé que cette mesure génèrerait une économie de 2482 postes pour le seul collège.
La suppression du PPCR et de l’avancement automatique pour le remplacer par l’évaluation directe par les chefs d’établissement permet elle aussi un substantiel bénéfice. Cela revient à supprimer une bonne partie du glissement vieillesse technicité (GVT) soit 350 millions.
Des demandes anciennes
A vrai dire il n’y a rien de neuf dans ce rapport. La Cour renouvelle, en partant d’un prétexte nouveau (le remplacement) des préconisations anciennes. L’annualisation des services et la bivalence sont déjà dans un rapport de 2013. Puis dans un autre de 2015. Encore en 2017. En 2018 un rapport sur l’évaluation de l’école y revient. Et en 2020 la Cour utilise un référé sur l’enseignement professionnel pour revenir aux mêmes idées pour tout le secondaire.
La Cour n’est pas seule. En 2016 le rapport Longuet est allé très loin en ce domaine. G Languet avait recalculé le temps de travail des enseignants de façon à faire apparaitre que les certifiés devaient 311 heures annuelles (9h de plus par semaine) et les agrégés 527 heures (soit doubler leur service). En 2017 le sénateur LR Carle demande lui aussi l’annualisation. En 2019 le sénateur LR Max Brisson fait adopter au Sénat un amendement à la loi de transformation de la Fonction publique qui annualise les services d’enseignement. Le texte sera modifié par l’Assemblée.
Il faut citer un autre texte qui est le fil conducteur principal du quinquennat : le rapport Cap 22 remis par L Bigorgne, P Aghion et J Pisani Ferry au premier ministre en 2017. On y retrouve l’annualisation, la bivalence, l’obligation de remplacer et la formation hors temps scolaire. L’objectif du rapport était de faire passer les dépenses publiques de 57 à 47% du PIB sur le quinquennat.
La réponse de JM Blanquer
Le ministre de l’éducation nationale répond aux recommandations de la Cour. « Afin de réduire le besoin de remplacement, un dispositif d’indemnisation des formations effectuées pendant les vacances des classes a été institué » suite à la loi Blanquer. Près de 10 000 journées de formation pour 2000 enseignants ont eu lieu hors temps scolaire en 2020-21. En application du Grenelle , » tout élève dont le professeur serait absent bénéficiera d’une prise en charge pédagogique, avec pour finalités prioritaires la poursuite et la révision des apprentissages, le développement d’autres compétences indispensables et susceptibles d’être dispensées sur le temps de formation habituel », poursuit le ministre. Concrètement cela consiste en cours en » « cours en ligne » ou au travail en autonomie, anticipé, et encadré sous la surveillance d’un assistant d’éducation (AED), notamment AED en préprofessionnalisation ; la possibilité pour les chefs d’établissement de recourir à des heures supplémentaires ponctuelles pour les AED ». Cela renvoie à un récent clash en CTM, le ministère voulant absolument faire passer un texte en ce sens.
Et le ministre rappelle que » la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, fait figurer la modification de la périodicité des ORS parmi les expérimentations pédagogiques qui peuvent être réalisées ». Enfin il a rendu deux heures supplémentaires obligatoires.
Autrement dit JM Blanquer montre qu’il travaille au même objectif. Mais se garde bien de le faire avec zèle.
Quel avenir pour ce texte ?
Cette réaction du ministre interroge sur l’avenir de ce rapport. Comme ses prédécesseurs est-il mort né ? Tout va dépendre de la campagne des présidentielles. Il sort au moment où la droite est critique envers l’action de JM Blanquer (voir par exemple le rapport 2021 de G Longuet sur le budget de l’éducation nationale). Le 1er décembre , au Sénat, Max Brisson appelait à une véritable « rupture » avec l’école actuelle. Il demande l’autonomie des établissements et la liberté pour les chefs d’établissement. CE rapport appuie cette campagne. Les vieilles idées ont un avenir.
François Jarraud