Le « travailler plus pour gagner plus » fonctionne mal ? La Cour des Comptes propose de passer au travailler plus pour pas un euro de plus. Le prétexte c’est la formation continue hors temps scolaire sans payer les enseignants. Dans un référé de juillet 2023 qu’elle vient de publier, la Cour des Comptes recommande l’annualisation du temps de service des enseignants pour y inclure, sans bourse délier, une formation continue qui serait à la main des chefs locaux. Venant après les propos d’Emmanuel Macron sur la formation continue et le rapport sénatorial de G. Longuet en juillet dernier, les recommandations de la Cour des Comptes vont encore plus loin. Il fallait oser. C’est fait. Gabriel Attal s’engage à poser la formation continue hors temps scolaire en 2024. Mais ne dit pas comment il va faire…
Les manques de la formation continue
» Il importe désormais que le ministère décide de mettre en œuvre les leviers décisifs qui permettront à la fois d’étendre le temps de formation annuelle des enseignants et d’organiser leur temps de travail pour éviter le recours au remplacement« . Le mot qui pèse dans ce nouveau texte de la Cour des Comptes sur l’éducation, c’est « décisif ». Depuis des années la Cour recommande l’annualisation du temps de travail des enseignants. La réforme de la formation continue lui donne une occasion de montrer son efficacité pour faire travailler plus sans payer plus.
Le référé envoyé le 3 juillet à Pap Ndiaye estime que « malgré la mise en place d’un ambitieux « schéma directeur de la formation continue » en 2019, des problèmes de fond demeurent et si cette formation est bien reconnue comme obligatoire, elle apparaît encore comme une priorité de second rang« . La Cour n’a pas de mal à montrer les limites de la formation continue des enseignants en France. Le rapport du sénateur LR Longuet (juillet 2023) a été plus prolixe sur ce point. Selon la Cour, » la durée de formation n’avait atteint en 2019 qu’une moyenne de 3 jours dans le 1er degré et de 3,2 jours dans le 2nd degré, alors que les autres agents de catégorie A de la fonction publique avaient suivi en moyenne 9,2 jours de formation ». Les enseignants de l’OCDE ont eu en moyenne 8 jours de formation par an.
Le rapport OCDE Talis montre que la demande de formation des enseignants français est supérieure à la moyenne OCDE. Mais le taux de satisfaction nettement inférieur. Pour la Cour cela tient au fait que la formation est souvent à distance alors que les enseignants préfèrent une formation en présentiel. Mais c’est aussi que, comme G Longuet, la Cour estime que « La formation des enseignants est encore essentiellement proposée dans le cadre de plans académiques de formation trop souvent éloignés de leurs préoccupations« . C’est plutôt cette dimension que révélait Talis. La formation continue, décidée par la hiérarchie et imposée par elle, est souvent vécue comme un pensum inutile selon beaucoup d’enseignants.
Mais la Cour s’intéresse peu à ce sentiment. Pour elle, pour rendre la formation plus attractive on peut s’appuyer sur les nouvelles « Ecoles académiques de formation« , autrement dit la formation imaginée par les autorités académiques locales. Selon la Cour elles permettraient de « réorienter la formation continue vers des organisations locales apprenantes » dont l’exemple est donné par les « constellations » des plans français et maths. La Cour recommande « l’organisation de formations locales dans les écoles et établissements« , à la main des chefs locaux (chef d’établissement ou IEN).
La formation, un levier pour casser le statut
Mais le gros blocage c’est le manque de moyens. Au delà de 3 jours par an, dans le 1er degré la formation requière des remplaçants. Dans le second degré, si la loi Blanquer a rendu la formation continue obligatoire et si un décret prévoit qu’elle ait lieu hors temps scolaire, celle ci nécessite une indemnisation définie par décret. Selon le rapport Longuet, seulement 2261 enseignants (dont 652 du second degré) en ont bénéficié en 2021-2022. C’est dire que “les réticences” des enseignants sont grandes. La Cour fustige « la forte réticence d’une majorité de professeurs au détriment de l’enseignement dispensé aux élèves« .
La solution imaginée par la Cour des Comptes c’est d’intégrer la formation continue dans les obligations de service des enseignants. » Le système actuel basé sur le remplacement, système coûteux si tous les remplacements étaient réellement réalisés et complexe à mettre en place pour les cadres, coûterait jusqu’à 540 M€ par an pour huit jours de formation annuelle dont trois à distance. Former les professeurs pendant les congés scolaires en prévoyant l’indemnité journalière de 120 € serait moins coûteux et représenterait environ 332 M€, mais limiter les formations au seul temps de vacances présenterait une rigidité inutile. La Cour recommande l’exploration d’autres pistes. Il conviendrait de redéfinir globalement d’une part les obligations de service des enseignants, en quantifiant le temps de travail des équipes pédagogiques, qui fait déjà partie de leurs missions, et, d’autre part, les obligations de formation en dehors du temps de classe et en laissant à l’échelon local le choix des moments consacrés à cette activité« . Comment faire passer la pilule ? La Cour invite le ministre à » se saisir des négociations en cours sur la revalorisation des métiers des enseignants pour repréciser le décompte du temps de service des professeurs des 1er et 2nd degrés, éventuellement dans un premier temps pour les nouveaux professeurs recrutés. »
La Cour invite aussi le ministère à mieux reconnaitre les formateurs mais à mieux « organiser la formation continue des formateurs en lien avec la recherche« . L’opposition des deux propositions ouvre le champ à des ajustements chez les formateurs…
Une étape dans une campagne récurrente
Ce référé remet à cette rentrée la formation continue dans le débat éducatif. En juillet dernier, Emmanuel Macron avait dit : « On ouvre le chantier de l’amélioration de la formation des enseignants. Nous mettons en place un système qui permettra de ne plus perdre d’heures d’abord en formant les enseignants en dehors du temps de présence devant élèves et en leur faisant des réunions hors de ce temps là et en ayant un système de remplacement plus efficace« . Ensuite Gérard Longuet, dans un rapport au Sénat, proposait de lier la formation continue à la carrière et la mobilité des enseignants. Une perspective développée par le ministère via le logiciel en développement Virtuo.
La réponse de Gabriel Attal
La publication du référé impose une réponse ministérielle. Celle-ci est publiée avec le référé. Gabriel Attal assure qu’il « partage l’essentiel des constats de la Cour« . » La systématisation de la tenue de formations hors temps devant élèves constitue une de mes priorités« , écrit le ministre. « Il convient de reconquérir les millions d’heures d’enseignement « perdues » : nous devons au maximum éviter que les heures de formation soient proposées aux enseignants sur le temps de cours et que les élèves soient laissés sans solution de remplacement. L’objectif que j’ai fixé est de positionner dès la rentrée de septembre 2023 un maximum de formations hors du temps devant élèves pour atteindre un objectif de 100 % à la rentrée de septembre 2024. À cette fin, il faudra faire évoluer des formats en prévoyant des formations sécables, en développant l’offre de formation sur site ou en distanciel, en exploitant les possibilités du numérique pour faciliter l’organisation des réunions pédagogiques« .
Gabriel Attal n’annonce pas de réforme des obligations de service ou l’annualisation des temps de service. Mais il est peu convaincant en annonçant une rustine numérique pour répondre à ce qui est bien une pression politique.
Un nouveau champ de privatisation
On mesure que la question de la formation continue est un prétexte pour attaquer le statut des enseignants. L’idée de l’annualisation est portée depuis des années par la Cour des Comptes. Gabriel Attal a reçu une incitation présidentielle très claire. Le rapport du sénateur LR Longuet atteste qu’une majorité parlementaire existe pour faire avancer cette modification du statut qui impacterait particulièrement les professeurs du second degré. Les exemples étrangers existent, même si une minorité de pays en Europe a rendu la formation obligatoire. C’est un nouveau champ de privatisation, c’est à dire d’une gestion privée du service public, qui est ouvert à cette rentrée avec une singulière insistance.
François Jarraud
Le référé de la Cour en 2015 sur la formation continue
La Cour des comptes veut désétatiser le métier enseignant
La Cour règle son compte aux enseignants
La réforme de la formation percute le statut enseignant