Daniel Bloch, père du bac professionnel et ancien recteur, propose aux lecteurs et lectrices du Café pédagogique une série d’articles sur l’enseignement professionnel. Dans ce cinquième épisode, il évoque le passage du BTS au Bachelor professionnel.
Avec ses 140 000 diplômés par an, le Brevet de technicien supérieur (BTS) constitue le second diplôme de l’enseignement supérieur, peu derrière la licence générale. Il est aujourd’hui en grandes difficultés, tant son pilotage récent a été erratique. Son importance économique et sociale eût mérité une plus grande attention. Pour introduire ce sujet, un exemple très significatif : la baisse importante du nombre de diplômés au cours de ces dernières années, en dépit d’une hausse non moins significative du nombre d’inscrits dans les formations qui y conduisent conduisant à ce diplôme.
Qu’en a -t-il été en effet ? Tout d’abord en ce qui concerne le nombre d’inscrits : de 340 000 à la rentrée 2018-2019, il s’est élevé à 410 000 à la rentrée 2021- 2022, avec ainsi 70 000 inscrits en plus. Mais une croissance du nombre d’inscrits paradoxalement accompagnée par une diminution du nombre de diplômés, deux années plus tard, de 160 000 en 2020 à 140 000 en 2023. Avec donc, en première approximation, 20 000 diplômés en moins pour 75 000 inscrits en plus. En « régime permanent » et en fonctionnement « sans échec », à ces 140 000 diplômés devraient être associés seulement 280 000 inscrits, la durée de sa préparation étant de deux années, et non pas de 410 000 : un formidable gâchis, multifactoriel.
Le premier facteur : le « mauvais traitement » subi par les bacheliers professionnels dans les formations conduisant au BTS. Ces bacheliers y sont désormais plus nombreux que ne le sont les bacheliers généraux ou les bacheliers technologiques, tant en lycée qu’en CFA. Il eût fallu s’appuyer sur leurs compétences professionnelles acquises dans les formations conduisant à leur baccalauréat, et remédier à ce qui constitue leurs points faibles, situés essentiellement dans le domaine des disciplines générales. Nous ne proposons pas de faire machine arrière, mais bien au contraire, d’accroître la part des bacheliers professionnels admis à suivre ces formations. Mais sous deux conditions : d’une part d’adapter les programmes à leurs compétences particulières et d’autre part ajouter une année de formation en la consacrant pour moitié à la formation générale et pour l’autre à la formation professionnelle.
Il s’agit là de deux conditions nécessaires à l’amélioration de leurs conditions d’accès à l’emploi. Celles – ci se sont en effet détériorées dès lors que leur durée de formation s’est raccourcie de deux années, d’une année en raison de la réduction malencontreuse de quatre à trois ans de la préparation du baccalauréat professionnel, en 2009, – et d’une seconde année du fait de la réduction imposée des taux de redoublement sur le chemin conduisant au baccalauréat professionnel. Comme nous l’avons déjà signalé, à peine la moitié (47%) des bacheliers professionnels s’engageant dans une formation préparant au BTS réussit à obtenir ce diplôme, non seulement en deux ans, mais même en trois ans. A comparer à 68 % pour les bacheliers technologiques et à 79 % pour les bacheliers généraux. Ces « pertes en ligne » résultent des abandons en cours d’études, ou d’un échec à l’examen lui-même. Ainsi, à la session 2023, les taux de réussite a été de 85,5 % pour les bacheliers généraux, de 76 % pour les bacheliers technologiques, mais de seulement 64,8 % pour ceux des bacheliers professionnels ayant réussi à poursuivre leur formation jusque-là. Si les bacheliers professionnels sont désormais les plus nombreux à l’entrée en formation, devant les bacheliers technologiques et généraux, ils sont ainsi paradoxalement minoritaires à la sortie.
Un deuxième facteur intervient, même s’il est de plus faibles conséquences : il résulte de l’importance grandissante du nombre d’apprentis, au « détriment » de nombre de lycéens. Alors que les 340 000 inscrits de l’année 2019- 2020 se répartissaient entre 260 000 lycéens et 80 000 apprentis, alors ainsi très minoritaires, ceux de l’année 2022 – 2023, trois années seulement plus tard, se répartissaient bien différemment, avec 30 000 lycéens en moins et 100 000 apprentis en plus. Une évolution en partie responsable de la diminution du nombre attendu de diplômés, sachant que le taux de réussite à l’examen est plus faible pour les apprentis, où il est voisin de 70 %, alors qu’il est de 80 % pour les lycéens parvenus jusque-là.
Parmi les diplômés qui recherchent directement un emploi, les apprentis sont, en comparaison avec les lycéens, en proportion plus importante à l’obtenir rapidement. Six mois après le diplôme (obtenu en 2021) environ 45% des lycéens sont sans emploi – dans le privé – mais « seulement » 30 % des apprentis. Un avantage pour les apprentis, mais peu significatif sur le fond car si, pour les lycéens, le jour du diplôme est le premier dans le calendrier de la recherche d’un emploi, il n’en est pas de même pour nombre d’apprentis, pour lesquels le jour du diplôme ne constitue que celui de changement de nature de leur contrat de travail. De façon plus générale, il faut savoir que les conditions plus favorables sur le marché du travail que rencontrent les apprentis, s’effacent, voire s’inversent, dès lors que l’on examine ce qu’il en est de leur situation au-delà de l’âge de 30 ans. Il ne s’agit pas ici de défendre un mode de formation vis-à-vis d’un autre, chacun ayant ses avantages, mais seulement de pointer du doigt des jugements trop rapides.
Le BTS ne constitue pas le point final de formation pour plus de 40 % des lycéens comme des apprentis qui l’obtiennent, notamment donc en raison des difficultés, pour les uns comme pour les autres, d’accéder à un emploi. Ceux qui poursuivent leur formation en tirent, à tous égards, un bénéfice considérable. Sans ce complément de formation, la moitié d’entre eux se serait retrouvé, comme la plupart de ceux ayant interrompu leurs études avant d’avoir obtenu leur diplôme, sur des emplois pour lesquels un CAP eût suffi, voire sur des emplois pour lesquels aucune qualification n’aurait, en principe, été nécessaire. Une situation à laquelle échappe ainsi la plupart des diplômés ayant poursuivi leur formation, ce qui plaide en faveur de sa généralisation, en poursuivant ainsi la démarche entreprise en 1985, tout autant économique que sociale, visant à élever la voie professionnelle en un parcours complet de formation, avec des issues vers l’emploi à chacune de ses étapes.
Le BTS demeure pratiquement le seul diplôme de l’enseignement supérieur qui n’ait pas été « normalisé » selon le modèle LMD européen. Sans doute parce que la licence relève du ministère en charge des enseignements et non de celui en charge des enseignements secondaires. Et ils ne se parlent guère. Les corporatismes sont à l’œuvre. Les élèves en sont les victimes. Il est temps, ici encore, de renverser les obstacles, ou de les contourner, sur l’exemple de la transformation par les IUT du DUT en BUT. Nous proposons donc – dans le cadre d’une approche à visée systémique – de transformer le BTS – 2 ans, en un diplôme – 3 ans du niveau de la licence professionnelle avec le titre de bachelor professionnel, en adoptant, pour les lycées, le modèle de gouvernance adopté par les IUT.
Qu’en sera-t-il pour les bacheliers technologiques ? Il ne saurait évidemment être question de leur barrer l’accès aux formations conduisant au bachelor professionnel, même si, par la politique des quotas, la part des bacheliers professionnels doit continuer à progresser, et celle des bacheliers technologiques se réduire, en même temps que ces derniers se retrouveront plus nombreux à être pris en charge par les IUT. Mais sans céder sur l’essentiel : afin de réduire les échecs liés à cette dualité rémanente de profils des entrants, une solution, déjà expérimentée avec succès, consiste à disjoindre une part des heures de première année, pour affecter un certain nombre d’entre elles aux matières générales au profit des bacheliers professionnels, et d’autres heures aux enseignements professionnels, au profit des bacheliers technologiques.
Nos entreprises ont besoin de davantage de cadres « de terrain », compétents. Nous sommes convaincus qu’elles accueilleront à bras ouverts les bachelors professionnels en génie de l’environnement, en génie numérique, en génie biotechnologique, en génie électrique, en génie nucléaire, en génie mécanique, en génie logistique, en génie commercial, en génie du bâtiment, en génie du contrôle industriel, de la maintenance industrielle… pour n’en rester qu’à des secteurs relevant de la production.
Il nous faut examiner maintenant comment cette proposition pourrait-elle être mise en pratique. Tout d’abord, il ne peut être question, contrairement à ce qui a pu être réalisé lors de la transformation du DUT en BUT, de la mettre en œuvre de façon uniforme, centralisé, et selon un calendrier rigide. Cette montée en charge ne peut ici qu’être progressive, s’étendant par exemple sur quatre ou cinq années. Ensuite, elle ne peut concrètement être mise en pratique sans reposer sur les structures actuelles de préparation au BTS, et sur ceux et celles qui en sont aujourd’hui les opérateurs. Il faut ajouter un modèle économique, car elle ne peut se réaliser sans moyens. Chacun admettra volontiers aujourd’hui que ceux-attribués à l’apprentissage supérieur long à but lucratif, consacrés de façon largement majoritaire à des formations relevant des services, avec de multiples effets d’aubaine, sans valeur ajoutée particulière, et financés selon un mode « open bar », méritent d’être redéployés vers l’enseignement professionnel secondaire et supérieur court. Une approche stratégique mise en œuvre par les IUT pour le financement de la troisième année du BUT.
Et si expérimentations il doit y avoir, et elles souhaitables, pourquoi ne pas proposer à chacun de nos Campus des métiers et des qualifications de mettre en place les premières formations conduisant au bachelor professionnel, en mobilisant à cet effet les lycées et les établissements d’enseignements supérieurs qu’ils fédèrent ? Pour les Campus, une magnifique occasion de prouver leur bien-fondé.
Daniel Bloch
Quelques références :
Les Campus des métiers et des qualifications | Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse
France, portrait social, INSEE Références, édition 2022, fiche 2.5, Insertion professionnelle.
Pascale Poulet-Coulibando, Education et formation, 104, 2022, p. 157 – 182. Cf : les apprentis au-delà de l’âge de 30 ans
Daniel Bloch, CAP et baccalauréat professionnel : sortir de la crise. https://www.lagrandeconversation.com/societe/cap-et-baccalaureat-professionnel-sortir-de-la-crise/