Daniel Bloch, père du bac professionnel et ancien recteur, propose aux lecteurs et lectrices du Café pédagogique une série d’articles sur l’enseignement professionnel. Dans ce quatrième épisode, il s’intéresse à la poursuite d’étude après le BUT. « Après le bachelor universitaire de technologie (BUT), un master universitaire de technologie (MUT) ? »
Les Instituts universitaires de technologie (IUT) évoluent, depuis le début des années 2000, dans un contexte universitaire qui ne leur est guère favorable. Ils ont notamment perdu, en 2007, toute autonomie juridique et financière, leurs moyens ayant alors été banalisés au sein des universités. Les crédits qui ont dès lors été accordés, parcimonieusement, aux IUT par leurs universités – elles-mêmes en manque de financement – n’ont par exemple pas pris en compte l’augmentation, de deux à trois ans, de la durée de leur scolarité, résultant du passage du Diplôme universitaire de technologie, le DUT – 2 ans, au Bachelor universitaire de technologie, le BUT. – 3 ans. Ils ont ainsi été conduits à s’appuyer sur l’enveloppe des crédits ouverts à l’apprentissage afin de financer leur troisième année. Il ne s’agissait d’ailleurs pas seulement de trouver une source de financement, mais également de renforcer le caractère professionnel de leur diplôme.
La transformation du DUT – 2 ans en BUT – 3 ans, valant licence professionnelle, a, de plus, été consentie en 2021 non seulement sous l’exigence qu’elle s’effectue à coûts constants, mais avec une condition supplémentaire : que le BUT ne constitue pas une licence universitaire de technologie (LUT), de droit commun, ce que leurs directeurs demandaient depuis trente ans. Ainsi le BUT, ne constituant pas une licence de droit commun, mais une licence professionnelle, ne permet que sous conditions restrictives l’accès en Master.
Le refus de considérer la licence professionnelle comme équivalant à la licence générale ne traduirait-il pas une certaine conception « aristocratique » de la société, avec un manque de considération pour les métiers autres que purement intellectuels et pour ceux qui les exercent ? Un air de déjà vu pour ceux ayant assisté à la naissance du baccalauréat professionnel.
A leur création, en 1966, les IUT étaient destinés à se substituer aux STS. Il n’en a rien été : les STS, en gestion ministérielle directe et bénéficiant de l’appui des collectivités territoriales, – ont connu une croissance nettement plus prononcée que la leur, conduisant à qu’il y ait désormais, chaque année, trois fois plus de BTS délivrés que de DUT. Au cours des vingt dernières années, à la différence des années 1985 – 2000 qui avaient été marquées par un doublement du nombre de DUT délivrés, accompagnant le doublement du nombre de bacheliers, le nombre de DUT « produits » chaque année s’est ainsi pratiquement stabilisé, demeurant proche de 50 000, avec un taux de croissance en vingt ans de 8, 5 % seulement, plus de quatre fois inférieur à celui du nombre de bacheliers.
Le nombre de bacheliers technologiques entrant en IUT approche celui des bacheliers généraux, en application de la politique de quotas. Avec, pour les bacheliers technologiques, des taux d’échec insupportables. Nous considérons qu’Il est nécessaire, pour une meilleure efficacité des formations professionnelles supérieures courtes d’inscrire l’avenir des IUT dans une dynamique impliquant un cran de plus dans le recrutement de bacheliers technologiques, ainsi au-delà de 50 %, mais sous condition d’une adaptation de leurs programmes de formation, aujourd’hui largement construits en continuité avec le baccalauréat général, en les réalignant sur ceux des baccalauréats technologiques.
La croissance espérée du dispositif IUT dépendra de sa capacité à davantage s’insérer dans les dispositifs de financement de l’apprentissage. Or, en 2022, seulement 12 % des inscrits en IUT étaient des apprentis, à comparer à 44 % pour le BTS ou même à 68 % pour la licence professionnelle. Il n’y a guère d’autres solutions opérationnelles.
La voie technologique – aujourd’hui délaissée – se doit d’être plus attractive, car la France a besoin de davantage de technologues. Comme l’écrivait Martial Martin, président de l’assemblée des directeurs d’IUT dans le Monde du 19 mars 2024 : « Nous ne pouvons pas poursuivre la réindustrialisation sans un enseignement technologique fort. Avec 60 000 emplois industriels vacants, la pénurie de compétences est généralisée et constitue un frein puissant à notre renouveau productif ». On ajoutera que, de façon paradoxale, notre pays « produit » davantage d’ingénieurs et de masters spécialisés en sciences et technologie que de techniciens supérieurs relevant du secteur de la production : un frein à sa réindustrialisation.
Franchissons une étape supplémentaire. La transformation du DUT en BUT – ainsi obtenue au bout de trente ans de combats– constitue une étape significative dans la promotion de la voie technologique. Mais elle est inachevée. Il s’agit désormais de lui permettre de se constituer sous la forme d’une voie complète conduisant de la classe de seconde jusqu’au Master. Á cet effet, pourquoi ne pas à permettre aux IUT, de façon expérimentale, de mettre en place, dans leurs murs, des Masters sous l’intitulé générique de Master universitaire de technologie (MUT), en formation initiale, d’abord pour les titulaires d’un BUT, mais aussi pour la formation continuée de leurs anciens étudiants ? Faudra-t-il attendre à nouveau trente ans pour renverser – ou à nouveau contourner – les obstacles dans la construction d’une voie technologique complète qui ne soit pas une voie de garage, d’extrusion en sortie de la voie générale ? Après le baccalauréat professionnel, une seconde révolution culturelle ?
Daniel Bloch
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