Daniel Bloch, père du bac professionnel et ancien recteur, propose aux lecteurs et lectrices du Café pédagogique une série d’articles sur l’enseignement professionnel. Dans ce deuxième épisode, il interroge : « Les quotas de bacheliers professionnels en STS et de bacheliers technologiques en IUT : sortir de l’entre deux eaux ?». « Non à l’abandon de la politique des quotas, mais oui à un cran de plus dans l’application progressive de cette politique », écrit-il.
La plupart des bacheliers généraux de l’année 2021 – 94 % – ont poursuivi une formation relevant des enseignements supérieurs. Cette proportion a atteint 80 % pour les bacheliers technologiques, et 46 % pour les bacheliers professionnels. Ces taux – incluant les formations en apprentissage – ont peu varié au cours des dix dernières années, à l’exception de celui lié au baccalauréat professionnel, qui a gagné dix points. Le baccalauréat professionnel confirme ainsi sa double fonction, tout à la fois d’insertion professionnelle et de préparation à une poursuite d’études, deux fonctions acquises – ou plutôt arrachées – à sa création tant ont été nombreux, et même le sont encore, ceux qui considèrent que ces deux mots, baccalauréat professionnel, dès lors qu’on les accole, constituent un oxymore. Globalement, près de 80 % de l’ensemble des bacheliers poursuivent une formation dans l’enseignement supérieur. Les formations universitaires générales, du type licence, y contribuent pour 32 %, suivies de près par les filières sélectives professionnelles courtes (STS, IUT), à hauteur de 30 %.
La loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche (ESR) de 2013 a permis d’imposer des pourcentages minimaux de bacheliers professionnels en STS et de bacheliers technologiques en IUT. Une loi destinée, en principe, à faciliter l’accès des bacheliers technologiques comme professionnels aux enseignements supérieurs, mais aussi à améliorer leurs taux de réussite, en leur ouvrant des places en STS comme en IUT où ils sont susceptibles de mieux réussir qu’en licence générale. Une loi dont les aspects démocratiques méritent aussi d’être soulignés. C’est ce qui ressort de l’examen des origines socioprofessionnelles familiales de ces diverses catégories de bacheliers. Pour le baccalauréat professionnel, les CSP défavorisées sont les plus nombreuses – à 75 % -, comme pour les bacheliers technologiques – à 60 %. Les CSP les plus favorisées sont en revanche majoritaires – à 60 % – chez les bacheliers généraux.
Il s’agissait ainsi, plus précisément, et selon cette logique, d’avantager les bacheliers professionnels par rapport aux bacheliers technologiques, initialement les plus nombreux en STS et, en IUT, les bacheliers technologiques par rapport aux bacheliers généraux, qui s’y trouvaient alors de façon largement majoritaire. Une politique du « en même temps », en STS – où coexistent désormais, à parts sensiblement égales, à la fois les bacheliers professionnels et bacheliers technologiques – tout comme en IUT – où la proportion de bacheliers technologiques s’approche aujourd’hui de celle des bacheliers généraux Une politique qui aujourd’hui mérite d’être questionnée, car elle a conduit à de nombreux effets secondaires, qui peuvent conduire sinon à la remettre en cause, tout au moins à en modifier les termes.
Cette politique a été conduite à capacités d’accueil en formation sensiblement constantes en IUT, et même en baisse STS – même si cette baisse a été compensée par la montée en puissance des formations en Centres de formation d’apprentis (CFA). Elle a, de la sorte, produit une première victime : ce sont les bacheliers généraux. Il existe en effet de nombreux bacheliers généraux ne souhaitant pas entreprendre des études longues – ou bien parce qu’ils considèrent ne pas en avoir le niveau pour réussir, ou, pour d’autres relevant de milieux sociaux défavorisés, parce qu’ils ne savent pas s’ils auront les moyens financiers de subvenir à leurs besoins durant les cinq années conduisant à un Master. Ces bacheliers se sont vu ainsi réduire l’accès en IUT mais aussi en STS. Mais avec une conséquence de la réduction du nombre de bacheliers généraux dans les formations supérieures professionnelles courtes, où ils réussissaient plutôt bien : les renvoyer – malgré eux – en licences généralistes, où beaucoup échouent. Il eût fallu, pour accompagner cette politique de quotas, que les capacités de formation soient rehaussées ou que les universités créent, en compensation, des licences à caractère professionnel pour les accueillir. Il n’en a rien été.
Qu’en est-il pour les bacheliers technologiques, pour partie rejetés des STS au profit des bacheliers professionnels ? Sur les 134 301 entrants en STS en 2012, 37, 3 % étaient des bacheliers technologiques et 21,7 % des bacheliers professionnels, dix années plus tard, en 2022, les 116 000 bacheliers entrants en STS n’étaient plus que pour 30,2 % des bacheliers technologiques, alors que la proportion des bacheliers professionnel s’élevait de 21,7% à 32,3 %, dépassant ainsi désormais la proportion de bacheliers technologiques. La même tendance se retrouve dans les Centres de formation d’apprentis (CFA), où parmi les entrants en apprentissage en préparation au BTS, on notait, à la rentrée 2021, en ce qui concerne les bacheliers en provenance directe des lycées, 22 % de bacheliers professionnels, 17,4 % de bacheliers technologiques et seulement 12,5 % de bacheliers généraux.
La mise en œuvre de cette politique de quota s’est traduite, en STS, par des taux de sélectivité en hausse pour les bacheliers technologiques, moins nombreux en proportion, mais en baisse pour les bacheliers professionnels, désormais en plus grand nombre. La conséquence : des classes de composition davantage hétérogène, plus difficiles à gérer par les enseignants. Mais de façon plus significative encore, cette politique de quotas a conduit à une réduction, du nombre potentiel de diplômés, car, comme signalé précédemment, au BTS, les taux d’échec – sur deux ou trois années de scolarité – atteignent 21 % pour les bacheliers généraux, 32 % pour les bacheliers technologiques et même 53 % pour les bacheliers professionnels. Une conséquence de l’augmentation du nombre de bacheliers professionnels et de la diminution du nombre de bacheliers technologique en STS a donc bien été une diminution du nombre de diplômés.
Les enseignants des IUT ont à faire face à des difficultés de même nature. Alors que sur les 49 631 entrants en IUT en 2012, 67,7 % % étaient des bacheliers généraux et 26,3 % des bacheliers technologiques, dix années plus tard, en 2022, les 50 426 bacheliers entrants en IUT n’étaient plus que pour 54,6 % des bacheliers généraux, alors que la proportion des bacheliers technologiques admis s’élevait de 26,3 % à 41,7 %, se rapprochant ainsi de la proportion de bacheliers généraux. Avec ici, des taux de sélectivité en hausse pour les bacheliers généraux, moins nombreux à y être admis, mais en baisse pour les bacheliers technologiques, car pouvant y accéder en plus grand nombre, conduisant ainsi à des classes plus hétérogènes. Mais là encore potentiellement moins de diplômés compte-tenu, comme signalé précédemment, de ce qu’en IUT, le taux de sortie sans diplôme, pour une scolarité parcourue en deux ou trois ans, est faible pour les bacheliers généraux, pour lesquels il est voisin de 14 %, alors qu’il atteint 37 % pour les bacheliers technologiques.
Les promoteurs – bien intentionnés – de cette politique de quotas y avaient-ils songé ? Ce dispositif ne peut rester en l’état. Faut-il faire marche arrière – et retrouver un mode d’accès ne privilégiant aucun baccalauréat particulier, c’est-à – dire en ne retenant les dossiers des bacheliers que sur le seul critère de leur capacité à réussir – ou au contraire aller plus loin encore, en renforçant cette politique de quotas, en sortant donc progressivement cette politique du « en même temps » pour donner davantage de chances de réussites à ceux des bacheliers qui aujourd’hui sont massivement en échec, en adaptant spécifiquement les enseignements aux spécificités des bacheliers accueillis ? C’est bien la démarche que cette analyse nous conduit à proposer : non à l’abandon de la politique des quotas, mais oui à un cran de plus dans l’application progressive de cette politique. Déplacer le curseur, mais avec toute la souplesse nécessaire, sans imposer un modèle unique, sachant que les bacheliers technologiques tout comme les bacheliers professionnels doivent y trouver leur compte. Il est par ailleurs inacceptable de considérer les bacheliers généraux comme des indésirables dans les enseignements professionnels supérieurs courts. Ici encore, il faut des solutions. Nous y reviendrons de façon spécifique.
A suivre….
Daniel Bloch