Un « débat mouvant » amène les participant·es à prendre physiquement position pour ou contre une idée en se plaçant d’un côté ou de l’autre de la salle, puis les invite à argumenter pour expliquer leur position et éventuellement changer de côté. C’est le dispositif orchestré par Stéphanie Lokoli dans un collège de l’académie de Grenoble autour de citations sur l’égalité filles/garçons. L’intelligence se met ici physiquement en mouvement : jusqu’à bousculer les représentations et donner le désir de lire pour aller plus loin encore ? « Contre le dogmatisme, l’enfermement et l’entêtement, le débat mouvant développe l’esprit critique des élèves en les habituant à rendre raison de leurs opinions, à se remettre en question et à accepter de se corriger, modestement, pour penser par eux-mêmes, avec les autres » (Denis Caroti).
Qu’est-ce que « Débat mouv’lecture » ?
« Débat mouv’lecture » est un dispositif qui a été expérimenté en classe de 3ème et de 4ème afin de prendre physiquement position à partir de citations extraites d’un livre et dont la thématique porte sur « l’égalité filles/garçons ». Aussi, pour favoriser l’instauration d’une culture de l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes, ces citations – choisies par l’enseignante- procèdent comme des leviers de déconstruction des stéréotypes et permettent, dans une moindre mesure, de lutter contre les discriminations sexistes et les violences. Au delà d’une transmission de la valeur d’égalité entre les filles et les garçons, il s’agissait aussi d’amener les élèves vers une réflexion sur la compréhension en lecture – au travers des citations proposées- et de développer également leur appétence pour l’acte de lire.
Comment s’organise l’activité ?
La séance dure 1h et s’inscrit « hors la classe », dans une salle polyvalente plus précisément. En amont, l’enseignante a pris le soin d’organiser le lieu en différents espaces de débat : espace « Pour », « Contre », « En posture d’écoute car l’avis est mitigé ? »
Quand les élèves arrivent dans cette salle, ils sont d’abord étonnés de cette organisation spatiale. On entend un « whaaa ! » d’étonnement ou encore « On va faire quoi Madame ? » signe d’une curiosité apparente.
En quoi consiste précisément l’activité ?
Le dispositif débute. Une table est placée au milieu des différents espaces de débat. Sur celle-ci repose une boîte dans laquelle se trouvent les différentes citations. Elles sont au nombre de 10. Un élève volontaire tire au sort une citation. Il la lit à l’ensemble du groupe classe : « Mon père me répétait : les garçons, ça ne pleure pas » (Edouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule). Notons que pour cette citation, les élèves en avaient une représentation claire et précise, ce qui a permis d’impulser la discussion. Les élèves se sont donc positionnées dans l’espace correspondant. S’agissant de cette citation, , les collégiens sont tous allés dans l’espace de débat « Contre ». Un élève en particulier a retenu l’attention de ses camarades. Il s’est exprimé en ces termes : « Moi je suis l’exemple même du garçon qui pleure et qui a besoin de pleurer pour que ça passe. Quand ça m’énerve, ça ne va pas, j’ai besoin de m’exprimer et je lâche tout ». Un « oooh » général est venu accompagner sa prise de parole éloquente car authentique et sincère.
Pouvez-vous donner un autre exemple ?
Un élève est venu tirer au sort une autre citation : « Elle est jeune. Elle a du charme. Contre la séduction, nous autres, pauvres hommes, nous sommes bien peu de choses. » (Gisèle Halimi, Une Farouche Liberté). Ici, le sens ne découlait pas de l’identification des mots. Ensemble, les élèves ont dû mettre en œuvre des processus, des stratégies pour donner sens à cette suite de termes. Une élève a dit : « Madame, c’est dur, parce qu’on n’a pas le contexte ici ». C’était donc un des buts recherchés par ce dispositif : travailler la compréhension en lecture à partir d’une citation et, dans un même élan, développer l’appétence des élèves pour la lecture. L’enseignante a donc pu apporter des références culturelles sur l’œuvre, son contexte de création, afin que les élèves puissent s’emparer de la citation sur laquelle ils allaitent pouvoir débattre.
Comment se prolonge la séance ?
Dans un dernier temps, les élèves ont été invités à se diriger vers la « table des livres ». Sur chaque œuvre on pouvait y trouver des marque-pages intitulés « Sujet de discussion ». Ces derniers étaient situés à l’endroit même où la citation avait servi de support au « Débat mouv’lecture ». Il s’agissait donc de faire en sorte que les élèves puissent se diriger vers l’objet livre afin de prolonger leur réflexion. Certains sont même repartis avec un livre dont la citation avaient fait l’objet d’un débat.
Quel bilan tirer du dispostif ?
Un retour méta-cognitif a été organisé en grand groupe pour savoir ce que les élèves avaient pensé de cette expérience oratoire autour de la lecture. Certains ont souligné que c’était « stylé », d’autres « très instructif » parce ce que « quand on comprend pas une citation, c’est comme un énoncé, on peut rien faire » d’où la nécessité pour l’enseignant d’une pratique guidée, et de s’attacher, comme le souligne Maryse Bianco « à enseigner les composantes liées aux habiletés complexes » afin d’aider les élèves à mettre en place une stratégie de régulation.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut