Après avoir analysé et précisé en quoi l’école dans et avec la nature pouvait être la révolution pédagogique du XXIe siècle (ESF 2022), Corine Martel, inspectrice de l’éducation nationale, et Sylvain Wagnon, professeur à l’université, poursuivent leur collaboration avec un second ouvrage intitulé « Jardiner à l’école pour s’ouvrir au monde » qui vient de sortir aux éditions ESF. Guide pratique et concret, ce livre donne aux enseignants et aux parents toutes les indications et conseils pour élaborer et faire vivre un jardin pédagogique.
Comment êtes-vous passé de l’école dehors au jardin pédagogique ?
CM et SW : Après avoir observé la motivation et les perspectives suscitées par l’école dehors, il nous a semblé intéressant de poursuivre la réflexion autour d’un cas pratique. Le jardin pédagogique n’est pas seulement un espace et une activité, mais c’est un levier potentiel pour repenser sa pédagogie. Dans ce livre, nous avons voulu montrer que l’école dehors n’était pas simplement une mode, mais une tendance de fond. Faire classe dehors n’est pas une évidence ni la solution à toutes les difficultés pédagogiques, mais c’est l’occasion de réfléchir à ses pratiques et de développer des méthodes réellement actives. Le jardin d’école est pour nous un moyen de proposer une suite concrète et pratique à cet enseignement en plein air que nous prônons.
Vous montrez dans votre livre que ce jardin pédagogique appartient à notre histoire scolaire.
CM & SW : Effectivement, le jardin pédagogique a des racines profondes dans l’histoire scolaire française. Les écoles normales d’institutrices et d’instituteurs apprenaient aux futurs enseignants l’usage du jardin pédagogique. Les programmes de l’école républicaine de Jules Ferry insistent sur la création d’un jardin dans chaque école. Le jardin scolaire est intégré aux apprentissages mathématiques, historiques, géographiques et scientifiques. C’est finalement la bitumisation des cours scolaires des années 1970 qui a rendu impossible une activité ancienne du point de vue scolaire.
Dans votre ouvrage, vous parlez non pas d’un jardin, mais des jardins ?
CM & SW : Oui, car les jardins pédagogiques peuvent prendre de multiples formes liées au contexte des établissements, mais aussi aux objectifs de chaque enseignant pour leur classe respective. Le jardin scolaire actuel peut être potager, floral, aromatique, sensoriel, mais tous offrent aux élèves la possibilité d’une expérience concrète de la nature et d’un apprentissage à l’écologie. L’ambition n’est pas de produire et de récolter, mais d’apprendre au rythme du jardin, le temps nécessaire et les multiples activités individuelles et collectives dans cet espace unique et fragile qui suit les aléas climatiques.
Le jardin est-il pour tous les élèves ?
CM & SW : Les critiques contre l’école dehors viennent des milieux conservateurs pour qui la pédagogie en salle de classe ne peut être remise en cause, mais aussi parfois, de façon surprenante, de personnalités qui se veulent progressistes, qui y voient une possible dérive individualiste, un divertissement voire une activité qui exclut certains élèves. Nous pensons et nous montrons dans ce livre, comme dans le précédent, que l’école dehors ne résout pas tout, mais qu’elle pose certaines questions sur nos façons d’enseigner ; elle peut-être pour toutes et tous. En tant que tel, le jardin peut représenter un espace d’échanges, de partages, d’activités collectives et coopératives sans équivalent. Lorsque nous avions parlé d’une révolution de velours pour l’école dehors, d’une complémentarité entre l’enseignement en classe et en extérieur, nous pensions déjà au jardin : en l’élaborant avec les élèves, il est un espace pédagogique majeur d’apprentissages.
Vous faites aussi du jardin scolaire un moyen de créer une réelle coéducation avec les parents ?
CM & SW : Cet ouvrage propose aux enseignants les étapes essentielles de la construction d’un jardin, afin d’en faire un lieu d’activités pédagogiques coopératives et collaboratives utilisé pour de très nombreuses activités pédagogiques. En outre, le jardin est aussi un moyen de créer du lien entre tous les membres de la communauté éducative. Dès sa création au sein d’un établissement scolaire, car nous nous adressons aux enseignants de maternelle, élémentaire et secondaire, il doit être concerté et permettre à tout un chacun de se l’approprier. Mais notre propos ne serait pas complet si nous ne pensions pas à un jardin ouvert vers l’extérieur. De plus en plus de collectivités locales initient et soutiennent des jardins « partagés », à la fois scolaires pendant le temps scolaire, mais aussi ouverts aux parents le reste du temps. Au-delà de la solution à la question matérielle, importante de faire vivre le jardin pendant les périodes de congé, c’est un moyen unique d’échanges et de partages autour d’activités concrètes qui font du jardin un véritable espace commun et de la continuité éducative des enfants une réalité.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
« Jardiner à l’école pour s’ouvrir au monde » aux éditions ESF