Julie Raud enseigne l’espagnol dans l’académie de Bordeaux depuis 2017, après une année de stage dans l’académie d’Orleans-Tours durant laquelle elle a enseigné l’Espagnol dans un lycée professionnel et dans un centre pénitentiaire. Depuis la rentrée 2018, elle enseigne l’espagnol au Lycée Professionnel Emile Combes à Bègles, à des élèves des classes de seconde au BTS. Selon les années et les besoins, elle prépare des élèves allophones au DELF, qu’elle est habilitée à corriger depuis 5 ans.
Vous avez créé avec des collègues un jeu de plateau à destination des élèves de lycée professionnel. Pourriez-vous en décrire le principe ?
Ce jeu n’a pas pour objectif d’être ancré dans une séquence en particulier. Lorsque nous l’avons créée, il a été imaginé afin que des apprenants de lycées professionnels puissent y jouer lors de la semaine des langues dans nos différents établissements pour tester leurs connaissances en espagnol dans différents domaines: langue, histoire-géographie, arts, culture … Un peu sous le même principe que le trivial poursuit. Le plateau ainsi que les cartes de jeu ont été créés à l’aide de l’outil CANVA.
Le principe est simple : lancer un dé et avancer son pion en fonction du nombre obtenu. L’élève qui joue pioche une carte correspondant à la couleur de la case sur laquelle il est tombé. Chaque couleur correspondant à un domaine. Sauf “blanc” et “gris” qui correspondent respectivement à “Passer son tour” ou “Gage”.Lorsque l’élève répond correctement à une question, il peut rejouer sinon il doit passer son tour. Gagne celui qui arrive en premier au trésor. Nous avons pensé notre jeu afin que tous les élèves, quel que soit leur niveau, puissent jouer ensemble en mettant à leur disposition 2 types de cartes (une sorte de pédagogie différenciée à l’intérieur du jeu). Les cartes “expert” où une question est posée et à laquelle il est attendu de l’élève qu’il réponde immédiatement ou bien des cartes “débutant”. Pour les cartes débutant, il s’agit des mêmes questions que pour les cartes “maîtrises”, mais ce sont des réponses à choix multiples qui sont proposées. Enfin, en cas de grande difficulté, chaque élève a à sa disposition deux cartes “aide” pour toute la partie et peut ainsi faire appel à une tierce personne et donc avoir recours à une stratégie de médiation.
Quels sont les objectifs de ce jeu?
Les objectifs sont multiples: activer ou réactiver des connaissances, et travailler la plupart des compétences linguistiques: la compréhension écrite, compréhension orale, expression orale en interaction et médiation.
Enfin, si ce jeu est adaptable aux différents profils des apprenants grâce à la différenciation proposée par les 2 types de cartes, il est aussi évolutif. Il peut être alimenté tout au long de l’année par les enseignants et leurs classes et devient ainsi un vrai outil pédagogique de réactivation ludique des connaissances. En imaginant que l’enseignant demande à ses apprenants d’alimenter le jeu en créant de nouvelles questions à la fin de chaque séquence en relation avec ce qui a été appris (point linguistique/ grammaticale / culturel ect ect…), les élèves deviennent alors acteurs de leurs apprentissages.
D’après vous, qu’apporte le jeu à des contenus pédagogiques?
La ludification des contenus pédagogiques est, à mon sens, primordiale, que ce soit dans le 1er degré comme dans le second degré. Trop de personnes ont encore tendance à penser que jouer ce n’est pas apprendre quand on est grand comme nos lycéens. Je pense que ce n’est pas vrai: à tout âge on apprend mieux lorsque cela est plaisant. De plus les serious games, escape game, jeux de cartes, de plateaux ou tout autre type de jeux, qu’ils soient réels ou virtuels permettent non seulement de travailler en simultané un grand nombre de compétences, mais cela permet aussi de dédramatiser l’erreur.
Dans une société d’écran, comment réagissent les élèves de lycée face au jeu de plateau ? Il n’y aurait pas d’âge pour jouer ?
Il n’y a pas d’âge pour jouer. Moi-même, j’aime jouer. Je joue beaucoup avec mes enfants et je vois bien tout ce qui est mis en place dans le 1er degré, les ateliers, l’apprentissage par le jeu… cela semble plus évident, car ce sont des “petits”, mais finalement nos ados de lycée sont de grands enfants et lorsqu’ils jouent, ils ont un rapport aux apprentissages qui est différent. D’autant plus en lycée professionnel où, pour la plupart, les élèves ne sont pas très scolaires et où l’échec et le rapport à l’école a longtemps été source de souffrance, ou bien de stress. Et, contre toute attente, cette génération “ultra connectée” adore aussi jouer en réel. C’est bien le rapport à soi et à l’autre qui se joue pour eux dans ces moments-là.
Comment est né ce projet ?
Nous avons créé, avec 3 autres collègues de l’académie, un jeu de plateau lors d’une formation académique proposée au PAF intitulée “Développer des pratiques innovantes en classe de langue vivante”. Lors de cette formation académique, après une matinée d’apports théoriques et d’exemples d’activités ludiques déjà mises en pratique dans des cours d’espagnol, il nous a été proposé de nous mettre en groupe et à notre tour de créer un support ludique. Nous avons alors imaginé ce jeu de plateau.
Vous participez à d’autres projets innovants dans votre établissement. Pourriez-vous nous les présenter?
Dans mon établissement, deux collègues de maths-sciences et une collègue de lettres-histoire ont lancé un projet NEFLE en créant une première classe flexible, 1 an après ce sont deux autres salles qui ont été ouvertes avec des plus en plus d’enseignants qui voient l’intérêt du ludique dans la classe pour faire progresser les apprenants.
J’enseigne moi-même en classe flexible et pour rien au monde, je ne souhaiterais faire marche arrière, car, ce n’est pas seulement une façon de positionner une salle avec des meubles différents, c’est toute une façon de re- penser les apprentissages et la façon de les enseigner.
Il est important de donner du sens afin que les élèves deviennent acteurs de leurs apprentissages. En classe d’espagnol, cette année, j’ai un projet E-twinning avec une de mes classes de 1ère. On travaille sur le sport comme biais d’inclusion sociale et des handicaps avec 2 autres établissements français, un à Mont-de-Marsan et un à Montpellier ainsi qu’un autre en Espagne à Pampelune. Les élèves adorent. La pratique de la langue et l’interdisciplinarité font sens : communiquer avec leurs pairs et créer ensemble un projet final : l’utilisation d’IA pour créer des logos, la création de fiches d’échauffement inclusives, d’un e-book, d’une affiche…
Propos recueillis par Djéhanne Gani
Lien vers le padlet du jeu: https://padlet.com/jbarbelivien1/juego-de-mesa-mklwnak7l6ytma4