Comment des élèves en CAP métallerie peuvent-ils concevoir des unités conversationnelles ? Laetitia Allegrini, enseignante spécialisée à l’EREA de Haute Provence à Bevons (04), propose à sa classe de concevoir pas à pas un bot qui permet d’expliquer le fonctionnement des machines. Les réalisations des élèves sont ensuite intégrées sous forme de Qrcode disponibles sur les machines en complément des fiches sécurité. « Ce projet incite les élèves à décomposer les étapes complexes, à expliciter clairement les gestes professionnels. En définitive, la création de chatbots avec les élèves transcende la simple acquisition de compétences techniques ».
Quels sont les éléments déclencheurs qui ont conduit à l’idée d’intégrer des chatbots dans l’atelier de métallerie ?
Les EREA sont des établissements uniques où divers enseignants (enseignants du 1er degré et second degré, professeurs d’ateliers professionnels) collaborent pour aider les élèves à besoins éducatifs particuliers afin de développer des compétences qui leur permettront de s’insérer professionnellement et d’être des citoyens avisés. La co-intervention en enseignement général et professionnel est très fréquente afin de donner du sens et d’impliquer l’élève dans la construction de leurs apprentissages. L’idée d’intégrer des chatbots dans l’atelier de métallerie a émergé après le succès d’un projet similaire dans la section Hôtellerie/Service du Lycée des Métiers Martin Bret à Manosque.
Cette expérimentation a été tellement positive pour nos étudiants que le professeur de métallerie, Johan Fraisse a voulu l’adapter. Les élèves de CAP Métallerie doivent dans le cadre de leur formation savoir utiliser de nombreuses machines, toutefois cela reste une tâche complexe pour des élèves en difficultés. En plus des procédures opératoires, ils sont obligés également de maîtriser les procédures de sécurité, les codes erreurs et l’entretien. Après de nombreux échanges, nous avons décidé de proposer aux élèves de la section de réaliser leur chef d’œuvre sur le thème des unités conversationnelles et l’évolution de leur métier. Depuis 2019, un chef d’œuvre collectif ou individuel doit être réalisé et présenté oralement en fin de formation. Dans ce cadre, nous allons accompagner nos élèves dans cette démarche, ils réaliseront en binôme un chatbot qui permettra de faciliter l’utilisation des machines (perceuse à colonne, poinçonneuse, …) ou d’outils de l’atelier (postes à souder).
Ce dispositif vise à faciliter l’utilisation des machines et des outils, accentuer l’autonomie de l’élève et sa sécurité tout en répondant aux exigences de la réforme des Lycées professionnels.
Comment les élèves enrichissent-ils les chatbots ?
Les chatbots, créés via l’application Snatchbot émergent d’une réflexion approfondie des élèves sur l’utilité potentielle dans l’atelier métallerie. Avant d’arriver à utiliser cette plateforme en ligne qui ne nécessite pas de notion de codage, différentes étapes ont été nécessaires. Après des échanges autour des unités conversationnelles et de la place de l’intelligence artificielle dans l’avenir de leur métier ; les élèves ont imaginé l’utilité que pourrait avoir ces chatbots dans leur atelier. L’idée de les associer aux machines ou aux outils a fait consensus. A partir de là, ils ont établi une carte mentale représentant l’algorithme des fonctions de leur bot (fonctions principales, sous fonctions, message d’accueil, message d’erreur, …). Cet algorithme leur a servi de ligne rouge dans la création sur Snatchbot. Ce qui est intéressant dans ce projet, c’est également de pouvoir contrôler totalement les données intégrées car elles émanent du dossier technique de la machine et des supports pédagogiques de l’enseignant. Cet enrichissement est diversifié : documents textes, images, vidéos des procédures, lien internet, …et évolutif puisque l’on peut l’alimenter dans le temps ce qui est aussi une façon d’adapter les attendus auprès des élèves à besoins éducatifs particuliers.
Le contenu étant variés de nombreuses compétences sont mobilisées. Par exemple, pour filmer le mode opératoire d’une machine, il faut être capable de décomposer l’ensemble des étapes et des gestes professionnels, de les expliciter à l’oral de façon claire et avec un vocabulaire adapté. Il est nécessaire également d’acquérir des bases de création de contenus vidéos et sur les principes de montage. On voit bien par cette illustration que le chatbot est un « outil » qui permet de travailler la métacognition mais aussi de développer de nombreuses compétences disciplinaires et psychosociales.
Pouvez-vous expliquer en détail comment les chatbots vont faciliter la prise en main des machines dans l’atelier ?
Les unités conversationnelles, une fois terminée, seront intégrées sous forme de qr-code qui seront disponibles sur les machines en complément des fiches sécurité. Une tablette sera disponible pour les élèves au niveau de l’atelier métallerie ce qui leur permettra de flasher et d’interagir avec la machine. Ils pourront renseigner l’utilisateur sur la sécurité, les différents modes opératoires, les codes erreurs, les réglages à réaliser (en fonction du type de métal, vitesse de rotation, taille du forêt, …), les gestes professionnels adaptés (en fonction du poste à souder utilisé par exemple), …
La fonction vocale contribue à rendre l’outil accessible aux élèves ayant des difficultés à l’écrit ou en français langue étrangère.
Les statistiques générées par la plateforme permettront une analyse approfondie des utilisateurs, facilitant ainsi l’amélioration continue des chatbots.
Quels ont été les principaux obstacles rencontrés et comment les surmonter ?
Un obstacle mineur a pu être, au début, la présentation de la plateforme. Les élèves dans un premier temps ont eu peur de ne pas arriver à réaliser seul la création du chatbot, ce fut également le cas de mon collègue. Mais après avoir montré le fonctionnement de l’application (principe du TALN : traitement du langage naturel) et en créant un bot simple avec un tutoriel, cette crainte a vite été dépassée.
Le passage de la gratuité à la tarification de la plateforme Snatchbot a posé un défi financier. Cependant, une solution a été trouvée grâce à une collaboration constructive avec l’équipe de Snatchbot, qui a accordé des crédits et proposé une licence éducation plus abordable. Toutefois, cette solution peut être bloquante pour certains établissements, c’est pour cela que j’espère qu’une solution opensource puisse être proposée aux collègues sans être trop complexe à l’utilisation. Après avoir pris connaissance de notre projet, un collègue Cédric Eyssette a créé un bot modifiable (codé en Markdown) et opensource disponible sur la forge des communs numériques. Cette proposition est très encourageante pour les établissements à budget plus modeste.
Quels sont les retours de vos élèves ?
Les élèves en début de projet sont toujours un peu émerveillés par les unités conversationnelles ce qui peut avoir pour certains un côté inaccessible. Une fois la démarche engagée, les étudiants sont très vites curieux et engagés dans la démarche de projet. Ils ne perçoivent pas les obstacles cognitifs habituels. Le travail en binôme facilite les interactions sociales, ils ne se retrouvent jamais seuls face à une problématique, de plus la co-construction et le dialogue entre pairs et avec les enseignants facilite le développement de leurs compétences psycho-sociales. La motivation engagée par le projet permet aussi de voir les élèves actifs tout au long des séances, ils sont concentrés et forts de propositions pour enrichir leur chatbot.
Un des objectifs pour nous enseignants est de permettre aux étudiants de favoriser la métacognition des procédures et des gestes professionnels liés au métier de métallier, la remarque d’un élève lors d’une visite a pu confirmer que ce but était atteint car il a expliqué que le projet lui permettait « de travailler sa mémoire » autrement car il devait détailler l’ensemble de ces gestes pour expliquer les modes opératoires.
Un retour que nous n’avions pas forcément envisagé est leur vision de leur scolarité, plusieurs m’ont fait remarquer que des camarades en lycée général ne savaient pas créer de chatbot et qu’ils avaient plaisir à leur expliquer leur chef d’œuvre comme si pour une fois ils étaient « un exemple » et non montrés du doigt ou stigmatisés de faire leur scolarité en lycée professionnel et encore plus en EREA.
Des conseils à donner pour quelqu’un qui voudrait se lancer ?
Pour commencer à créer des chatbots, je pense qu’il faut déjà déterminer les objectifs pédagogiques qu’ils pourraient remplir, toujours garder en mémoire que c’est un outil facilitateur et non un remplacement de l’enseignant. Le rôle de l’enseignant est donc en amont de s’assurer de son utilité, des compétences qui seront travaillées mais aussi de la façon dont vous aller maintenir l’équité et le contrôle des données.
Ensuite, pour démarrer je conseille de se familiariser avec des unités conversationnelles simples qui peuvent être créer facilement sur des plateformes tel que character.ai ou poe ai. Elles permettent de générer des personnages que l’on peut enrichir avec des données textes ou pdf. Il suffira de créer un compte sinon l’accès est gratuit.
Pour une approche plus avancée, des plateformes comme Botnation, Landbot ai, et Snatchbot offrent des possibilités étendues, bien que les versions gratuites puissent avoir des limitations. Toutefois pour une première approche avec les élèves, cela peut être suffisant, 2000 messages gratuits pour Snatchbot par exemple. Je peux vous soumettre des outils comme un genially tutoriel de la plateforme et le webinaire « IA et chatbot » proposé l’an dernier pour une formation de la Drane PACA.
Dernière possibilité totalement gratuite et opensource proposée par le collègue de l’académie de Lyon, ChatMD qui offre la possibilité de créer un chatbot à partir d’un code Markdown. A l’avenir, et on y travaille, des solutions gratuites et accessibles seront possibles.
Pour conclure, au-delà de la simplification des procédures opératoires, les chatbots permettent une approche métacognitive en incitant les élèves à décomposer les étapes complexes, à expliciter clairement les gestes professionnels. En définitive, la création de chatbots avec les élèves transcende la simple acquisition de compétences techniques. Elle incarne une voie vers l’autonomie, la créativité et la déconstruction des préjugés, plaçant les apprenants au cœur de leur apprentissage et les préparant efficacement à l’évolution technologique de leur métier. Cette initiative laisse entrevoir un avenir prometteur où l’intelligence artificielle devient un « outil éducatif inclusif », participant activement à la transformation de l’éducation.
Propos recueillis par Julien Cabioch
Le projet
https://view.genial.ly/64f977a6a54c4200192685e9/presentation-une-ia-dans-mon-atelier
Les documents d’accompagnements :
Plan opérationnel
Documents d’accompagnement élèves
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