Claire Lommé, professeure de mathématiques en collège jusqu’en juillet dernier, est aujourd’hui coordinatrice ULIS. Elle partage son expérience avec les lecteurs et lectrices du Café pédagogique. Dans cette chronique, elle évoque un projet anamorphoses qu’elle investit pleinement avec ses élèves.
Depuis la rentrée de janvier, avec ma collègue Aurélie Levionnois (@segpamaclasse, sur Instagram), enseignante en SEGPA dans le même collège que moi, nous avons entamé un beau projet anamorphoses. Les anamorphoses, depuis que j’ai rencontré François Abélanet, par l’entremise de Nadine Amossé dans un magnifique projet rendu possible grâce à l’association Regards de géomètre, c’est un de mes thèmes de prédilection : par la fabrication d’anamorphoses dans les établissements scolaires, de l’école au lycée, on travaille le repérage, les transformations, la motricité fine, la coopération, et beaucoup de compétences psychosociales. Alors quand Aurélie est venue me voir en me disant « Dis, j’aimerais bien faire un projet anamorphoses, j’ai des idées et j’aimerais bien le réaliser en partenariat avec le dispositif ULIS », j’ai évidemment sauté sur l’occasion !
Des anamorphoses, j’en ai fait faire un nombre assez considérable, finalement : des anamorphoses sur des murs d’écoles maternelles, des anamorphoses dans des cours de récré, des anamorphoses dans tous les coins d’une cantine, des anamorphoses qui couvraient de longs couloirs de collèges, des anamorphoses dans des salles de permanence de lycée. Notre but, dans notre projet au collège, est d’impliquer tous les élèves possibles : des élèves de SEGPA, des élèves du dispositif ULIS, des élèves « tout court ». Nous voudrions réaliser une anamorphose dans le hall, là où tout le monde passe, qui porte un message fédérateur, un message inclusif. Une grande anamorphose qui frappe et qui soit signifiante, coréalisée par des élèves tous différents, mais qui coopèrent. Notre administration nous soutient, le matériel est acheté, tout roule. Mais avant d’arriver à des anamorphoses géantes, il nous faut faire découvrir, analyser et comprendre à nos élèves ce qu’est une anamorphose. Cela nécessite de suivre quelques étapes dont j’ai eu l’occasion de tester l’efficacité en me promenant dans les établissements que je citais plus haut. Et cette fois, en plus, nous sommes en enseignement spécialisé. Cet aspect amène à effectuer des modifications.
Il y a deux éléments sur lesquels je ne veux pas transiger : le premier, c’est l’ambition dans la réalisation. Nous devons réussir à amener nos élèves à produire une réalisation qui surprenne, qui renverse, voire qui ébahisse. Le deuxième, c’est l’accès à la compréhension qui va avec : les anamorphoses s’expliquent mathématiquement. Ce n’est pas forcément facile, mais c’est possible. Il s’agit de ne pas perdre l’aspect « savoirs » pour uniquement se concentrer sur les savoir-faire. Il faut donc rendre accessible toute la démarche.
Pour réaliser des anamorphoses, il est nécessaire de se familiariser avec la déformation d’images et le repérage, dans un premier temps. Le talent des auteurs des brochures jeux de l’APMEP est là pour nous fournir une solution clefs en mains : les fiches intitulées « glaces déformantes » nous ont permis de faire entrer tous les élèves dans le projet. J’avais adapté l’activité par des codages de repérage, de sorte que désigner une case soit facile, façon bataille navale, et que cela facilite la communication entre élèves et entre les élèves et nous. Et j’avais affiché au tableau les fiches ordonnées par difficulté, en faisant analyser et verbaliser ces difficultés par les élèves, avant de se lancer. Certains ont avancé à petit pas, d’autres ont enchaîné les réalisations, certains ont créé leur propre dessin et l’ont déformé : les fiches des brochures jeux de l’APMEP proposent des niveaux différents, et tout le monde y a trouvé son compte.
L’étape 1 avait fonctionné comme sur des roulettes. Les élèves en redemandaient, ils étaient bien compétents. Alors nous avons dégoupillé l’étape 2 : les anamorphoses cylindriques. Là, j’avais repris ma copie : j’utilisais des grilles dont les cases étaient aussi repérées chacune par une lettre et un nombre, mais j’avais observé des difficultés, dans les classes « ordinaires » dans lesquelles j’ai déployé l’activité. J’ai donc décidé de rendre la grille plus lisible, et de changer le système de repérage, en m’alignant sur ce que j’avais choisi pour les glaces déformantes. C’est un changement qui paraît insignifiant : au lieu de repérer les lignes qui séparent les cases, on repère les cases elles-mêmes. Mais cela a bien tout changé, et je n’ai pas observé les difficultés que j’avais vues ailleurs. C’était particulièrement important : d’une part nos élèves ont peu confiance en eux, et il faut veiller à rendre fluide l’entrée dans le projet, et d’autre part beaucoup ont des troubles visuo-spatiaux, et se repérer est un obstacle.
Le moment où chaque élève a posé son miroir sur le dessin réalisé et a observé l’image se reconstituer a été magique. Regarder leur émerveillement et leur fierté nous a réjouies, évidemment. Mais il y a eu encore plus réjouissant : la question est venue naturellement, immédiatement, et de la part de plusieurs élèves : « mais comment ça marche ? Comment ça se fait que ça fait ça ? ».
Voilà, nous y sommes : faire des anamorphoses parce que c’est renversant, mais aussi pour comprendre. Nous touchons le cœur de notre projet : réaliser une production qui a l’air magique, en sachant qu’elle ne l’est pas, comment et pourquoi. Nous avons commencé à expliquer, par des éléments généraux, mais j’ai eu une idée, depuis, pour donner accès plus finement aux principes de l’anamorphose cylindrique. Cela va nécessiter un peu de travail, ce à quoi je m’attèlerai pendant les prochaines vacances.
Et puis je suis repartie en formation, parenthèse de quatre semaines pour continuer de préparer le CAPPEI, pour pouvoir apprendre ce nouveau métier et rester là où je suis, parce que je m’y sens si bien. A mon retour, nous reprendrons un moment sur les anamorphoses cylindriques, et nous nous lancerons dans l’étape ultime, celle qui va transformer le collège. Toujours en assortissant ce beau travail aux explications mathématiques que méritent nos élèves, comme tous les élèves.
Claire Lommé