C’est la rentrée pour les élèves et leurs enseigant·es de la zone C. Mais pas pour toutes et tous. En Seine-Saint-Denis, de nombreux élèves ne reprendront pas le chemin de l’école, les professeur·es avaient prévenu les familles avant les vacances : ils et elles seront en grève aujourd’hui à l’appel de plusieurs syndicats – FSU 93, CGT Éduc’Action 93, SUD éducation 93, CNT éducation 93 – et avec le soutien de la FCPE 93. Une grève le jour de la rentrée, c’est une première. Même pour le 93 dont les difficultés ont donné lieu à plusieurs rapports parlementaires, le dernier publié à l’automne.
Le 93, ce sont les difficultés scolaires les plus importantes de l’hexagone en français et en mathématiques, des obstacles à l’accès à la santé, moins d’accès aux bourses, des locaux insalubres et très souvent sous-chauffés… « Le 93 est un département cobaye », explique Louise Paternoster, co-secrétaire générale de la CGT Éduc’Action 93. « Toutes les politiques qui dégradent le service public sont expérimentées dans notre département : recrutement en masse de contractuels – 1000 contractuels sur 12 000 professeurs des écoles. Une proportion qui atteint 75% en lycée professionnel ». Pour la responsable syndicale, le plan de fidélisation (une prime de 15 000 euros) a très peu d’effets sur le recrutement et la fidélisation des personnels. Et ce manque de personnel a des conséquences sur les chances de réussite des élèves. « En Seine-Saint-Denis, la situation est particulièrement alarmante pour nos élèves qui perdent jusqu’à un an de cours sur leur scolarité en raison des non-remplacements. Ce n’est pas de plusieurs milliards d’économies dont nous avons besoin, mais d’un plan d’urgence pour l’éducation », explique-t-elle.
« Il faut un plan d’urgence pour le 93. Nous sommes le département à la fois le plus pauvre, le plus jeune, mais aussi le moins bien doté en matière d’éducation. Le choc des savoirs, dans notre département, aura des conséquences désastreuses » affirme Louise Paternoster. Ce constat, les syndicats se basent sur une large enquête envoyée à destination des 1 100 écoles, collège et lycée du département en novembre dernier. De ces cahiers de doléances sont nées les revendications syndicales. « Ce mouvement est inédit. Il y a urgence à corriger le tir, les personnels arrivent à un point de rupture ». Et les revendications sont simples, assure la responsable syndicale. Les besoins les plus urgents des Séquano-Dionysiens, c’est déjà d’avoir classe estime-t-elle.
358 millions d’euros pour « sauver » le 93
Pour parer aux urgences, l’intersyndicale demande deux collectifs budgétaires : un sur les questions de postes et un sur le bâti scolaire. Elle estime à 358 millions d’euros l’enveloppe nécessaire « Il manque 5 000 enseignants et enseignantes – dont 2 000 dans le premier degré – pour les TPS, les RASED…, 2 200 postes d’AESH, 650 postes d’AED, 320 postes d’assistants et assistantes pédagogiques et 175 postes de CPE. On demande aussi que le bâti soit pris en charge par l’État. Ça peut sembler beaucoup, mais ce n’est rien au regard des 200 milliards versés tous les ans aux grandes entreprises sans contrepartie… », précise la secrétaire générale de la CGT Éduc’Action.
Si les organisations syndicales ne communiquent pas de chiffre pour l’instant, Marie-Hélène Plard, secrétaire générale de la FSU-SNUipp-93 assure que des écoles sont fermées aujourd’hui. « Ce sont des mobilisations d’équipe, des mobilisations construites avec les parents d’élèves. Fermer un jour de rentrée nécessite un long travail d’explicitation envers les familles, la courte période passée – cinq semaines seulement de classe, a empêché ce travail dans certaines écoles. Mais la colère des collègues n’en est pas moins importante ».
Mercredi 28, l’intersyndicale organise aussi une réunion d’information sur l’articulation entre plan d’urgence et choc des savoirs. « On ne veut pas plus de postes pour trier plus » nous dit la secrétaire générale de la FSU-SNUipp 93. « Il faut un changement de politique éducative, c’est une urgence ».
L’intersyndicale appelle d’ailleurs les équipes d’enseignants et enseignantes à une forme de « désobéissance ». À cette fin, les équipes pédagogiques du premier degré sont invitées à ne transmettre aucune information permettant la mise en place de groupe de niveau à l’entrée en sixième. « On invite aussi les collègues à utiliser les moyens alloués à leur école – la carte scolaire étant passée – en fonction des besoins de leurs élèves qu’ils auront recensés », ajoute Marie-Hélène Plard. « On leur propose de sortir des injonctions pour répondre aux besoins de leurs élèves. Si en maternelle, par exemple, les équipes estiment qu’il est plus pertinent d’avoir des classes multiâges que des classes à 12, on leur dit de faire confiance à leur expertise. Et puis, on leur demande de refuser de faire passer les évaluations ».
Et les responsables syndicales préviennent, cette journée n’est que le premier round d’une mobilisation sur le long cours. « Nous ne lâcherons rien. La FSU-SNUipp 93 a d’ores et déjà décidé que si nous n’obtenons pas gain de cause, nous appellerons à la grève à la rentrée de septembre 2024 » déclare Marie-Hélène Plard. « Il y a 25 ans, la mobilisation des collègues et des parents d’élève avait permis de gagner 3 000 postes », complète Louise Paternoster.
Aujourd’hui, plusieurs rassemblements sont organisés, dont un à proximité de Stanislas, « un symbole fort, le symbole d’une injustice en matière d’éducation ».
Lilia Ben Hamouda