Hier c’était la rentrée. Des millions d’élèves ont repris le chemin de l’école. Hier signait aussi l’arrivée des températures négatives dans la majorité des villes françaises. À Lyon, il faisait -2. Pourtant, 56 élèves, hébergés en hôtel par la ville pendant les vacances scolaires, se sont retrouvés à la rue, encore. Une situation que dénonce le collectif « Jamais sans toit ».
Lundi 8 janvier, quelques 56 enfants lyonnais sont retournés dormir à la rue. Des élèves, qui jusqu’au 22 décembre dernier, étaient hébergés dans le cadre d’occupation d’écoles par le collectif Jamais sans Toit. Pendant les vacances scolaires, la municipalité avait décidé d’héberger les familles de ces 56 enfants à l’hôtel, à ses frais. « C’est la deuxième année que la municipalité accepte d’héberger les familles pendant les vacances de Noël. Ça permet de soulager un peu notre collectif qui n’occupe pas les écoles pendant cette période », nous explique Allan Maria, directeur de l’école primaire Jean-Pierre Veyet située dans le septième arrondissement de Lyon qui accueille plusieurs familles. Malgré le grand froid annoncé, la municipalité a ainsi annoncé remettre à la rue les familles hébergées, même celles avec des bébés s’indigne Raphaël Vulliez, enseignant et porte-parole du collectif. « La ville nous dit que c’est de la compétence de l’État, c’est vrai. Mais zut, il serait temps que quelqu’un gère cette situation. C’est honteux ! On se retrouve à devoir dans l’urgence bricoler des solutions ». L’enseignant espérait encore hier soir que le maire change d’avis et que les enfants soient hébergés dans des bâtiments qu’il aurait requestionnés. « Il faut lancer le plan Grand froid. Réquisitionner des immeubles vides serait un acte fort de Grégory Doucet, l’acte fort d’un homme politique qui se dit indigné de ces situations. Surtout dans la séquence actuelle, au moment où une loi immigration qui instaure la préférence nationale est votée », nous expliquait-il.
Occuper des écoles pour pallier les défaillances de l’État
Au 22 décembre, ce ne sont pas moins de vingt écoles qui étaient occupées dans la métropole lyonnaise. Le nombre d’enfants sans toit, sans domicile, a explosé depuis 2021, dénonce Raphaël Vulliez. « Entre décembre 2022 et décembre 2023, le nombre d’enfants sans abri a augmenté de 35%, et de 140% par rapport à 2021. 340 gamins dorment ou ont dormi dans la rue dans l’agglomération lyonnaise, 179 sur la seule ville de Lyon ». Le Collectif, né en 2014, se veut lanceur d’alerte. Il entend faire pression sur les pouvoirs publics en alertant l’opinion pour faire appliquer la loi. Une loi qui prévoit deux principes intangibles : la situation de détresse prévaut sur la situation administrative et la continuité de l’hébergement (on ne peut mettre à la rue une personne en hébergement d’urgence). Pour pallier les manquements de l’État, le collectif organise ainsi, de façon coordonnée, des occupations d’école. 160 depuis 2014, avec la mise à l’abri temporaire de près de 700 enfants. Depuis 2021, le collectif qui était local est devenu national et a rejoint le réseau national d’aide aux enfants sans toit avec la FCPE et le collectif des associations unies. « En tant que parents d’élèves, nous sommes attachés à la défense du droit des enfants dont le premier droit est de vivre dans un logement qui permet de vivre et d’étudier dignement », nous explique Samira Dadache, chargée de mission « enfants à la rue » pour la FCPE. « Ça fait partie des missions de la FCPE, une des principales. Pour rappel, nous sommes fondateurs de RESF (Réseau Éducation Sans Frontières) qui était le premier à s’inquiéter des enfants à la rue… ». En octobre 2022, le collectif a été reçu à l’Assemblée nationale et a même réussi à faire reculer le gouvernement sur la fermeture annoncée de 14 000 places en hébergement d’urgence.
Occuper les écoles suppose un engagement des équipes éducatives et des parents d’élèves. Mais cela a aussi un prix : payer les repas, des nuits d’hôtel quand personne ne peut assurer l’occupation… En 2021/2022, le collectif assure avoir déboursé 35 000 euros. C’est le double qui a été dépensé en 2022/2023. Et en 2023/2024, à la mi-décembre, 22 000 euros avaient déjà été utilisés… Et lorsqu’on interroge le collectif sur la provenance de cet argent, Raphaël Vulliez répond qu’il s’agit là de récoltes de cagnottes ou de ventes solidaires. « La générosité citoyenne pallie la défaillance de l’État. L’institution compte sur notre solidarité. On retourne à un système de charité digne du 19ème siècle… »
Des élèves souvent réfugiés
Dans leur très grande majorité, les élèves sans domicile sont des issus de familles qui demandent l’asile à la France. Des Réfugiés, un terme, qui selon l’article premier de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, s’applique à toute personne « qui craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Cette convention, la France l’a signée. Et à ce titre, elle garantit « un droit d’hébergement à tous les demandeurs et demandeuses d’asile lors de l’étude de leur demande : leur accueil et leur hébergement, leur accompagnement administratif, social et médical, la scolarisation des enfants et l’animation du centre et la gestion de la sortie du centre » selon l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Pourtant, la France est loin de respecter ses obligations, malgré les multiples annonces du Président, qui dès 2017 affirmait qu’il n’y aurait plus de sans-abris.
Comment être élève quand on est sans abri ?
La situation des demandeurs et demandeuses d’asile n’est certes pas nouvelle, cela fait de nombreuses années qu’il n’y a pas assez de solutions d’hébergement. Alors qu’auparavant, cette situation touchait majoritairement des hommes seuls, depuis plusieurs années, on note l’augmentation du nombre de familles. Une situation qui impacte directement les écoles qui scolarisent les enfants de ces familles.
Dans l’école d’Allan Maria, depuis la rentrée, ce sont cinq familles qui ont été à la rue. Aujourd’hui, trois élèves – pour deux familles- ont encore été hébergées par le collectif lors de l’occupation de l’école primaire. « Malheureusement, l’Ofi ( Office français de l’immigration et de l’intégration) met énormément de temps à trouver des solutions pour ces familles qui demandent l’asile. Pour l’une d’elles, le dossier a été déposé en avril dernier et toujours aucun hébergement de proposé ».
L’engagement d’Allan Maria, et ses collègues, s’il est citoyen, il l’est aussi en tant qu’enseignant. « Comment voulez-vous que des élèves dont les besoins fondamentaux ne sont pas assouvis – avoir un toit sur la tête, manger, se sentir en sécurité – puissent être disponibles pour les apprentissages, être capables de se mobiliser scolairement ? » s’agace-t-il. « Et pourtant, certains élèves nous émerveillent. Comme cette petite fille brillante qui dort dans un garage depuis des mois… ».
Même si l’enseignant reconnaît que ce n’est pas fondamentalement le rôle de l’école, il est lui est inconcevable de laisser des enfants dormir dehors. « En tant qu’enseignant, en tant que directeur d’école, j’ai un devoir de protection de l’enfance. Il est important pour nos élèves qui vivent ces situations de grande détresse, mais aussi pour les autres, de leur montrer que nous n’acceptons pas ces situations ! ».
Dans trois semaines, on « fêtera » les 70 ans de l’Appel de l’abbé Pierre. « Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… » déclarait-il sur les ondes de Radio Luxembourg le 1er février 1954. 70 ans après, la situation est tout aussi catastrophique. Et dans quelques mois, elle le sera d’autant plus si la loi immigration est validée par le Conseil constitutionnel. Une loi qui remet en cause l’inconditionnalité de l’urgence, une loi qui institue la préférence nationale même dans la misère, surtout dans la misère…
Lilia Ben Hamouda