Au Québec, province canadienne, 500 000 agents de la fonction publique (éducation et santé) sont en grève. Près de 100 000 enseignantes et enseignants étaient aussi grévistes. Et si après trois semaines de grève, une partie d’entre eux a repris le chemin de l’école, une grande majorité l’est toujours – 65 000 sur les 92 000 que compte la province. Pourtant au canada, la grève, « c’est le geste ultime » explique Éric Gingras, président de la Centrale des Syndicats du Québec à laquelle est affilié l’un des principaux syndicat de l’éducation, la FSE. L’objet de leur colère ? les salaires. Néanmoins « c’est loin d’être la première revendication » explique Narjiss Aoukach. Les conditions de travail dégradées sont en tête de palmarès. Et sur ce dernier point, leur situation n’est pas sans rappeler celle des enseignantes et enseignants français.
Depuis le 21 novembre dernier, des dizaines de milliers d’enseignantes et enseignants québécois sont en grève. Un évènement loin d’être anodin. En effet, pour trouver la trace d’une grève des agents de la fonction publique dans cette province canadienne, il faut remonter à 1983. Une grève avait alors paralysé le système scolaire pendant plusieurs semaines. C’est dire comme celle en cours actuellement est historique. Près de 100 000 professeur·es grévistes, ou l’ont été puisque le front syndical s’est rompu lundi 18 décembre (l’un des syndicats, la FSE – Fédération des syndicats de l’enseignement – a repris le travail, la FAE – Fédération autonome de l’enseignement – appelle quant à elle à poursuivre le mouvement). « Ce qui est différent de ce qui s’est passé il y a 40 ans, c’est que cette fois-ci, les profs se battent pour la survie des services publics parce qu’ils croient que les services aux élèves se sont dégradés à un point tel qu’il n’y a pas d’autres solutions pour faire changer les choses», a indiqué la présidente de la FAE, Mélanie Hubert, syndicat qui mène le mouvement en continu depuis bientôt quatre semaines.
Des conditions de travail dégradées
Si les enseignantes et enseignants québécois sont en grève, c’est certes pour leur salaire mais c’est loin d’être la revendication première. L’un des principaux points de discorde est le manque de moyens.
Narjiss Aoukach est professeure dans un établissement du secondaire – scolarisant des élèves âgés de 11 à 17 ans – à Laval. En grève depuis le 21 novembre, elle n’a pas repris le chemin de l’école à ce jour. « On est en grève pour les salaires évidemment mais c’est loin d’être le premier objet de notre mobilisation » nous explique-t-elle. « Pour la plupart d’entre nous, l’objectif majeur, c’est plus de ressources pour les élèves. Nous avons des élèves en grande difficulté, qui rencontrent des troubles d’apprentissage, qui ne parlent pas français… Cela change complètement la dynamique de la classe. On manque aussi de locaux, nos classes sont surchargées – j’ai 32 élèves dans une classe, et notre gouvernement refuse d’en ouvrir de nouvelles. On fait plus de gestion de classe que l’on ne prodigue de contenu, c’est épuisant… Cette grève, c’est avant tout pour les élèves car on sent qu’on ne peut pas les accompagner ». Les revendications de l’enseignante sont celles portées par la FAE, son syndicat, qui souhaite des « changements concrets pour améliorer la répartition des élèves, en particulier ceux qui rencontrent des difficultés d’apprentissage ». Le syndicat propose la création « de classes spécialisées pour mieux répondre aux besoins des élèves ». Il demande aussi « des mesures pour évaluer la charge de travail des enseignants » pour « offrir une aide supplémentaire en classe » quand c’est nécessaire. « On souhaite aussi une réduction des tâches des enseignants », complète Éric Gingras, de la fédération des syndicats de l’enseignement. « Aujourd’hui, l’enseignant doit tout faire : instruire, encadrer, faire de l’administratif ».
Autre versant des revendications : les salaires. « Peu de reconnaissance, des conditions de travail des enseignants et enseignantes ne cessent de se détériorer, un gouvernement qui ne les valorise pas et en plus, le plus bas salaire de tout le Canada… », poursuit Éric Gingras. L’autre partie des négociations porte donc sur le volet salarial explique le responsable syndical, « c’est un enjeu important avec une inflation galopante ». Les syndicats demandent un mécanisme de protection du pouvoir d’achat, qui serait inscrit dans le contrat de travail. « En fonction de l’inflation de l’année précédente, on obtiendrait une augmentation qui permette au moins le maintien de notre pouvoir d’achat ».
Une grève soutenue par la population
Depuis le 21 novembre, Narjiss Aoukach et tous ses collègues organisent des piquets de grève tous les jours, des « piquetages ». « Les gens s’arrêtent, nous apportent à manger, du café » raconte-telle. En effet, quatre semaines après le début du mouvement, de récents sondages montrent que la mobilisation est soutenue par 75% de la population.
Pourtant lundi 18 décembre, une partie des professeur·es est retournée à l’école, mais la grande majorité – affiliée à la fédération autonome des enseignants – est toujours en grève. Mélanie Hubert, présidente de la FAE affirme d’ailleurs que « malgré la pression financière croissante sur les enseignants en grève, ils sont déterminés à poursuivre leurs actions pour obtenir de meilleures conditions de travail ». Elle a aussi exprimé « l’espoir d’une entente de principe qui permettrait aux enseignants de retourner à l’école avant les vacances de Noël, bien que cela ne semble pas encore certain ».
La grève : le geste ultime
« La grève au Québec, c’est le geste ultime » nous explique Éric Gingras. Et en effet, le doit de grève dans cette province canadienne est très différent de celui français. Le processus est long. « Ce n’est pas évident de faire grève pour les agents publics. La loi prévoit que la grève n’est possible qu’ après un long processus de négociations qui dure plusieurs mois». Ainsi, avant d’arriver à la grève débutée le 21 novembre, il s’est écoulé sept mois. Sept mois de négociations entre les organisations syndicales et le gouvernement au terme desquels aucun accord n’a été trouvé. « Face à cette impasse, nous – les syndicats – avons réuni nos adhérents en assemblée générale et leur avons proposé de mettre la grève au vote. Ils ont voté pour à 95% ». S’en sont suivies deux semaines de préavis, délai inscrit dans la loi québécoise, avant que toutes les écoles de la province ne ferment leurs portes. « Si la grève est votée, les écoles sont toutes fermées, c’est la règle » précise le président de la FSE.
La grève, au Canada, c’est donc quand toutes les discussions n’aboutissent à rien. Ce qui est assez rare. En 2021, par exemple, les syndicats avaient obtenu l’augmentation des salaires sans aller jusqu’à la grève. « Le salaire maximum est passé de 84 000 à 92 000 dollars canadiens (à peu près 63 000 euros) » raconte Narjiss Aoukach. Un salaire qu’obtiennent les enseignantes et enseignants québécois au bout de 16 ans d’exercice.
Lilia Ben Hamouda