34 % des adolescent·es déclarent rédiger des histoires ou fanfictions tous les jours, établit l’étude 2023 de Christine Mongenot et Anne Cordier. L’Ecole peut-elle se laisser gagner par cette vitalité réelle de l’écrit ? Déployée par des lecteur·ices qui réécrivent ou complètent en ligne une œuvre originale, la fanfiction apparait ainsi comme un phénomène générationnel particulièrement intéressant. C’est ce que démontre à son tour Fanny Couturier, enseignante de français au collège Léonard de Vinci à Belfort : en utilisant la plateforme Moodle, en favorisant les interactions sur des forums, elle a accompagné ses 3èmes dans l’appropriation créative du roman « Frankenstein » de Mary Shelley pour faire de la classe une vraie communauté de « sujets lecteurs » et « sujets scripteurs ».
Pouvez-vous éclairer celles et ceux qui connaîtraient mal le phénomène des « fan fictions » ?
La fanfiction est une sorte de communauté de lecteurs où chacun peut proposer d’écrire autour de l’œuvre originale, en modifiant des passages, en proposant une suite, une fin alternative, etc. Chacun peut commenter les propositions de l’autre, les faire évoluer, faire vivre l’œuvre à sa manière.
Vous avez choisi de mener le projet en créant un cours sur Moodle : pourquoi le choix de Moodle ?
Lors du PNF Lettres de 2021 (Plan National de Formation), j’ai eu la chance d’assister à une présentation de fanfiction autour des Misérables, par Sébastien Hébert, IA-IPR Lettres de l’Académie de Nice et Virginie Schol, professeur de Lettres de la même académie. Ils montraient comment ils avaient utilisé le modèle de fanfiction pour faire lire Les Misérables à la classe de Mme Schol, et présentaient le cours Moodle qu’ils avaient utilisé. Une maquette de ce cours est disponible sur la mallette pédagogique qu’ils proposent sur le site dédié à la fanfiction en cours de français. Toute une équipe travaille sur ce site qui est un vrai guide pour se lancer dans la fanfiction à visée pédagogique et didactique. Pour le choix de Moodle, j’ai donc été convaincue par ce qui avait été présenté au PNF. De plus, c’est un outil que j’utilisais déjà beaucoup avec les élèves, car il leur permet un accès facile depuis l’ENT. Le fait que chaque élève soit identifié et publie forcément avec son véritable nom et non pas un pseudo a été aussi un argument en faveur de Moodle. J’avais besoin que les élèves soient identifiables pour nous permettre des échanges plus sereins.
Vous y avez créé des forums centrés sur la lecture de Frankenstein : en quoi consistent-ils ? comment les élèves s’en emparent-ils ?
Encore une fois, je n’ai rien inventé et me suis largement inspirée de ce que propose l’Académie de Nice sur son site dédié à la fanfiction.
Dans la rubrique “Réagis au fil de ta lecture“, je propose deux forums principaux, dont le premier est : « Je pose des questions, j’aide mes camarades perdus dans leur lecture. » Les élèves peuvent ouvrir de nouvelles discussions dans ce forum, en fonction de leurs difficultés. Quand un élève est en difficulté sur un passage qu’il est en train de lire en autonomie, il peut ouvrir une nouvelle discussion et poser une question, à laquelle pourront répondre ses camarades disposés à l’aider. Ainsi, au lieu d’attendre les explications du professeur, l’élève en difficulté de compréhension peut bénéficier à tout moment de l’éclairage d’un ou plusieurs camarades.
Le deuxième forum s’intitule « Je participe à des débats, j’en crée de nouveaux. » Je lance des débats sur la lecture de certains passages, et les élèves doivent y répondre de façon argumentée. Ils peuvent commenter les réponses de leurs camarades, exprimer un désaccord et le justifier ou bien valider une réponse. Ils peuvent aussi ouvrir de nouveaux débats. Ce forum et ses discussions sont un outil assez précieux et révélateur pour évaluer la bonne compréhension des élèves et leur appropriation du texte, ainsi que leur sensibilité par rapport aux choix des personnages.
J’ai été assez surprise de constater à quel point les élèves avaient « joué le jeu » et s’étaient entraidés en utilisant ces forums, personne n’étant laissé seul dans sa lecture avec ses difficultés de compréhension. Ces forums sont, je trouve, un très bon moyen de créer du lien entre les élèves grâce à la lecture, et un très bon moyen d’accompagner la lecture autonome.
De mon côté, je consulte les forums mais je n’interviens que dans le cas où une incompréhension aurait été laissée sans réponse ou pour réguler les échanges si besoin.
Vous avez aussi créé des forums centrés sur l’écriture à partir de Frankenstein : avec quelles consignes et quelle utilisation par les élèves ?
Dans les rubriques “Imagine“, “Ajoute un épisode” et “Change la fin de l’histoire“, les élèves sont invités à produire des écrits en réponse à une consigne donnée. J’ouvre un forum, dans lequel je donne ma consigne d’écriture, qui est une consigne classique de rédaction (avec indications des critères de réussite) et chaque élève ajoute une discussion dans laquelle il tape sa production écrite. Une fois envoyée, ses camarades peuvent aller commenter sa production, et aider l’élève à l’améliorer en lui formulant des conseils et en pointant les points forts de son travail.
Ces travaux d’écritures peuvent être faits en classe, lorsque nous avons accès à la salle informatique ou aux tablettes, ou bien à la maison. Certains travaux sont évalués. Les élèves sont également libres de proposer de nouveaux sujets d’écriture, que leurs camarades traiteront s’ils en ont envie.
Une vraie communauté de sujets lecteurs et scripteurs semble s’être déployée : quelles satisfactions tirez-vous de ce dispositif ?
J’ai été absolument séduite par la fanfiction pédagogique lorsque Monsieur Hébert et Madame Schol l’ont présentée au PNF Lettres, et ai tout de suite perçu la plus-value de ce type de projet. J’ai utilisé ce dispositif plusieurs fois avec des niveaux de classe différents, et c’est à chaque fois riche et intéressant.
Globalement, les élèves se sont bien investis, en participant très régulièrement aux forums, et en se connectant de manière autonome en dehors de la classe. Les échanges ont été la plupart du temps pertinents, et toujours respectueux.
J’ai particulièrement aimé la façon dont les élèves s’entraident dans leur compréhension de lecture, avec des élèves en difficulté qui n’hésitent pas à poser des questions et d’autres qui leur expliquent et débloquent rapidement la difficulté. Le fait que l’élève n’attende pas spécifiquement une réponse de son enseignant mais de n’importe lequel de ses camarades rend la réponse souvent plus rapide. Les élèves s’expliquent les choses avec leurs propres mots.
J’ai aussi aimé la façon dont les élèves commentent les productions écrites des autres. Cela permet à chacun de repérer dans le texte des autres ce qui fonctionne, pour mieux assimiler les critères de réussite de ces travaux de rédaction, et améliorer sa propre production. Il est assez rare que les élèves aient accès aux rédactions de tous les autres lorsque nous utilisons des productions sur papier, et beaucoup ont apprécié être relus et commentés par leurs camarades. Les propositions que les élèves faisaient pour améliorer les productions de leurs camarades étaient la plupart du temps pertinentes.
Le travail semble transférable sur d’autres œuvres et d’autres niveaux : quels conseils donneriez-vous aux collègues qui voudraient s’en inspirer ?
Il est vrai que ce projet peut être mené dans n’importe quel niveau depuis le cycle 3, et sur n’importe quelle œuvre littéraire. Je l’ai mené avec des 3ème sur Frankenstein de Mary Shelley et sur Antigone de Jean Anouilh, mais aussi avec des 6ème sur L’Odyssée et sur Le Petit Prince. Cela a fonctionné à chaque fois et les élèves, pour la plupart, ont apprécié.
A chaque collègue qui souhaiterait se lancer dans un dispositif de ce genre, je conseillerais la lecture du site de l’Académie de Nice spécialement dédié : « La fanfiction à l’école ». Sur le site, les collègues trouveront une mallette complète, qui comprend un accompagnement pédagogique, un accompagnement didactique et un accompagnement technique. On y trouve, par exemple, des modèles de cours Moodle prêts à l’emploi, avec les forums déjà installés à l’intérieur. On y trouve aussi des tutoriels vidéos pour installer pas à pas son cours Moodle. Ce site est une véritable mine d’or, et il est le point de départ de chaque projet de fanfiction que j’ai pu mener.
En dernier conseil, je pourrais aussi inciter les collègues à ne pas se lancer seuls, à tenter l’expérience avec un collègue qui a le même niveau de classe. De mon côté, la première année, j’ai demandé à ma collègue de français (Clara Guillaudeu) d’étudier Frankenstein avec sa classe de 3ème en même temps que je le faisais avec la mienne. J’ai inscrit nos deux classes sur la fanfiction Moodle, pour que les échanges soient plus riches et plus variés. Nous avons trouvé intéressant que les élèves de classes différentes se retrouvent dans une même « communauté » de lecture.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Le site « La fanfiction à l’Ecole »
L’expérience de Virginie Schol dans Le Café pédagogique
L’étude de Christine Mongenot et Anne Cordier dans Le Café pédagogique
Fanny Couturier dans Le Café pédagogique