Naïma Idrissi, Fanny Gallot et Gaël Pasquier signent un livre sur l’enseignement à l’égalité filles-garçons aux éditions Dunod. Un livre qui outille enseignants et enseignantes pour un enseignement à l’égalité et la lutte contre les discriminations sexistes. Fanny Gallot l’a présenté lors de l’Université d’Automne de la FSU-SNUipp. Elle répond aux questions du Café pédagogique.
Vous êtes spécialistes des questions d’égalité fille garçons. Qu’en est-il au sein de l’Éducation nationale selon vous ?
Malgré des accélérations récentes liées aux répercussions de la nouvelle dynamique féministe mondiale à l’École, il reste beaucoup à faire pour favoriser l’égalité filles-garçons. L’institution réagit – souvent avec retard – en mettant en place des référents et référentes égalité dans les établissements. Le suicide d’une lycéenne trans conduit à l’élaboration d’une circulaire pour l’accueil des élèves en questionnement sur leur identité de genre, la question du harcèlement et du cyber-harcèlement est davantage prise en charge ici encore suite à des suicides. Cependant, les inégalités perdurent, voire se trouvent renforcées, du fait de certaines politiques mises en œuvre à l’image de la récente réforme du bac. Ainsi, malgré leur réussite scolaire, les filles continuent d’être désavantagées par leurs choix d’orientation ce qui se répercute sur le marché du travail. L’échec des garçons de milieu populaire perdure et il continue d’invisibiliser celui des filles de même milieu. En d’autres termes, l’école continue de fabriquer la desadéquation scolaire des garçons et la mésestime de soi des filles et cela se traduit dans les interactions en classe, dans les appréciations dans les contenus des savoirs enseignés. Il y a donc un véritable enjeu à adopter une approche intersectionnelle, attentive aux croisements des rapports sociaux de classe, de sexe, de race ou encore liés au validisme pour construire l’égalité.
L’institution scolaire continue d’ailleurs d’être marquée par une division sexuée du travail, comme ailleurs : 84% de femmes travaillent dans le 1er degré, mais les hommes sont davantage directeurs ou inspecteurs, et la proportion s’inverse à mesure que l’on passe du 1er au 2nd degré puis au supérieur. Les inégalités de salaire restent tangibles entre les femmes et les hommes. Cette division sexuée s’articule avec une division ethno-raciale qui cantonne les personnels non-blancs à certains emplois déqualifiés comme le révèlent les mobilisations récentes.
Selon vous il faut aborder le consentement dès le plus jeune âge. Pourquoi ?
Aborder le consentement dès le plus jeune est essentiel et passe par des actes quotidiens : accepter ou non de donner sa main, accepter ou refuser un câlin, ne pas se sentir obligé de faire un bisou à un autre enfant ou un adulte pour dire bonjour, par exemple. L’enjeu est bien de construire un discours réfléchi sur « mon corps, c’est mon corps », sur le respect de l’intimité et cela peut passer par l’usage de petites vidéos par exemple, comme la version adaptée pour enfants de la tasse de thé. Bien sûr, ce n’est pas simple et cela nécessite toute l’expertise de l’enseignant et l’enseignantes pour trouver le bon positionnement : quel positionnement adopter vis-à-vis des familles par exemple. Les recherches montrent que les violences sexuelles sur mineurs ne sont la plupart du temps pas le fait d’un individu extérieur au cercle familial mais qu’au contraire, il y est particulièrement bien inséré : c’est le plus souvent un homme, un oncle, un père, un beau-père, un frère, un ami… Il s’agit de doter les élèves de ressources pour s’opposer et dénoncer ces violences et ne pas toujours considérer que la famille est un lieu sûr pour l’enfant sans pour autant construire une défiance systématique. Dans la mesure où cela peut être difficile pour l’enfant de s’opposer, cela passe par un apprentissage du respect de l’intimité des autres et du fait que son intimité doit être également respectée, la connaissance de ce qui est interdit. Cela nécessite de penser une parole et des situations complexes, de construire un climat sécurisant de manière adaptée à l’âge des enfants.
L’éducation à la sexualité à l’école déchaîne toujours autant les passions. Comment l’expliquer ?
L’éducation à la sexualité est nécessaire, de façon adaptée à chaque âge car si l’École ne le fait pas, toutes les familles ne le feront pas. Pensons par exemple à la situation d’une petite fille qui découvre ses règles toute seule un jour en classe de CM2 ou encore à une autre à laquelle on a expliqué que c’était sale, etc. L’apprentissage de la sexualité se rapporte à l’apprentissage du corps, du consentement, des risques et de la santé, mais pas uniquement : du plaisir aussi. Cela suscite les passions car il y a une tension entre ce qui relève de l’Ecole et ce qui relève des familles. Le positionnement adéquat de l’institution ne consiste pas à porter des jugements sur ce qui se fait dans les familles, ni même d’aller à l’encontre des choix des parents. Mais l’école doit porter sa parole propre en restant sur son terrain : nommer les choses, éduquer à la vie sexuelle, relationnelle et affective de manière égalitaire, ouvrir le champs des possibles, donner confiance aux élèves fait partie de ses missions dans le cadre de l’apprentissage à la citoyenneté. Et bien sûr les passions sont également le produit de différents politiques : des courants de pensée considèrent qu’il s’agit de pathologiser les minorités ou tout au moins de les considérer comme des exceptions qui ne doivent pas interroger la norme. Les chiffres des violences faites aux femmes et des féminicides, les suicides réguliers de jeunes trans ou de jeunes gays ou de jeunes lesbiennes, doivent enfin rappeler que mettre en œuvre une éducation à la sexualité égalitaire est aussi une question de vie ou de mort pour certains élèves.
Beaucoup prônent une école de la tolérance, vous êtes pour une école d’égalité. Pourriez-vous nous expliquer la nuance?
Nous empruntons les notions de pédagogie critique de la norme et de pédagogie égalitaire à Elise Devieilhe et Isabelle Collet. Leur objectif est de questionner les normes et les catégories sociales produites par des rapports de pouvoir et qui passent souvent à tort pour naturelle. Il s’agit de construire une école qui s’adresse réellement, et non pas seulement par principe, à tout le monde. Nous nous opposons donc à ce qu’il serait possible d’appeler « la pédagogie de la tolérance » qui dit prendre acte de la diversité des individus mais qui met en place des adaptations de circonstances. Elle ne s’intéresse pas à la manière dont cette différence est produite au sein d’un rapport de force inégalitaire, qui devrait poser la question de savoir « qui tolère ? » et « qui est toléré ? ». Notre ouvrage souhaite justement donner des outils aux enseignant.es pour aborder en classe, toujours de manière adaptée à l’âge des enfants, le fonctionnement de ce système de domination.
Par ailleurs, il ne s’agit pas non plus pour nous de se contenter de « questionner les stéréotypes » comme le met souvent en avant l’institution. Certes les filles et les garçons sont confrontés à des stéréotypes de sexe qui limite leur possible. Mais ces stéréotypes ne sont pas équivalents : comme l’on montré les recherches sur le genre, ce qui est associé aux garçons a toujours plus de valeur que ce qui est associé aux filles. Les stéréotypes s’inscrivent dans des rapports de pouvoir. En outre, ce dernier ne concerne pas uniquement le domaine des représentations et des idées que nous véhiculerions malgré nous. Les inégalités ont également une dimension concrète, matérielle : l’accès à l’espace de la cour de récréation, à la prise de parole en classe, à un nombre de toilettes suffisant pour ne pas être obligé d’attendre davantage lorsque l’on est une fille, la possibilité de voir des personnes de son sexe représentées dans les manuels et les savoirs scolaires, de manière valorisée et diversifiée… Toutes ces dimensions vont bien au-delà de la simple question de la tolérance, du respect, ou des stéréotypes. Ce sont sur elles que nous souhaitons aider les enseignantes et les enseignants à travailler.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda