Il fallait oser pour remettre en cause de l’efficacité du numérique éducatif au salon Educatech qui rassemble tous les industriels du secteur. Pour Arnaud Lévy, maître de conférence associé à Bordeaux Montaigne, « le numérique n’aide pas à mieux enseigner ou à mieux apprendre », pire il tend vers « la désocialisation massive ». Cette première table ronde du salon portait sur la sobriété numérique. Au-delà de la classe, il a été question de l’empreinte écologique du numérique éducatifs et des prospectives 2050.
L’empreinte carbone du numérique
La première conférence du salon de l’éducation sur le développement de l’école numérique et la transition écologique n’a pas laissé indifférent les spectateurs. Dans une première partie, Louise Vialard de l’Ademe a exposé les études prospectives de l’agence à horizon 2030 et 2050. « L’impact environnemental du numérique va augmenter de 45% d’ici 2030. En France, 10% de la consommation électrique vient des services numériques ». Les data center représentent 16% de l’empreinte carbone du pays. Diaporama a l’appui, la spécialiste détaille l’exploitation des mines et les problèmes environnementaux sous-jacents. « La masse de matériaux déplacée est très importante ». L’exemple des mines de cuivres et de cobalt sont pointés du doigt. « Ici 40 000 enfants travaillent dans la mine ».
L’Ademe propose 4 scenarii visant à diminuer l’empreinte carbone. « Seul le scénario de sobriété permet à terme une diminution de notre impact ». L’augmentation de la durée de vie des équipements et une action sur les usages sont quelques exemples d’actions possibles. A ce propos, un indice de durabilité sera mis en place à la fin 2024.
« Ce ne sera pas dur de se priver du numérique »
Christophe Hugon, élu à Marseille, expose les solutions mises en œuvre dans sa ville. Entre recyclage du matériel et reconditionnement, l’élu prône une éducation proportionnée au numérique avec la mise en place d’ateliers. « Nous avons un long cycle de vie pour nos ordinateurs. Une première utilisation est administrative puis, avec le reconditionnement, les outils sont destinés aux enfants. Nous avons notre propre atelier de réparation ». Une durée de vie de 10 ans du matériel est visé.
Arnaud Levy, maître de conférence à Bordeaux profite du thème de la conférence pour lancer un pavé dans la mare. « Le numérique éducatif, ça ne marche pas ! Quand on regarde la littérature scientifique, à date, sur le numérique pour enseigner, on se retrouve face au constat que ce débat n’existe pas aujourd’hui. Il y a juste un tout petit peu de résultats positifs et il y a beaucoup de résultats négatifs. Le numérique n’aide pas à mieux enseigner ou à mieux apprendre ». L’enseignant-chercheur cite notamment le livre « La fabrique du crétin digital » de Michel Desmurget. « Donc, ça ne sera pas très dur de s’en priver ». Une partie du public applaudit. Christophe Hugon rejoint l’enseignant du supérieur en rappelant que « les enfants ont besoin d’interaction pour apprendre. La place du rapport humain est essentielle. La récréation, l’ambiance de classe, le travailler ensemble sont des choses très importantes ».
Le risque d’une désocialisation massive ?
Autre argument avancé par Arnaud Levy : « Le numérique est utilisé comme un symbole pour contribuer à un détricotage du service public. Le problème est là ! Je préfère qu’il y ait du chauffage dans les classes et des enseignants correctement payés et respectés plutôt que d’avoir des bidules numériques dans les placards ». Le cas de la pandémie récente et des visioconférences sont aussi évoqués. « Il faut essayer de faire sans le numérique. Cela doit être la dernière solution. Faire des cours en visioconférence est une désocialisation massive. L’école n’est pas juste transmettre des connaissances ».
Finalement, pour tendre vers la sobriété, Thomas Thibault du CNRS questionne : « Est-ce qu’il faut tout numériser ? Est-ce utile ou pas ? Le vidéoprojecteur et la télévision n’ont pas le même impact environnemental ainsi que la VR et la liseuse… ». Arnaud Lévy conclut la conférence en soulignant « la nécessité de politiser la technique ». La conférence sera visible dans quelques jours sur le site du salon.
Julien Cabioch