Quel sera le profil des futurs enseignants français ? C’est la question sur laquelle planche le ministère depuis plusieurs mois. Le manque d’attractivité des métiers de l’enseignement se confirme, les inscriptions aux concours du professorat sont prolongées d’un mois tant le vivier de candidats se tarit. Pour tenter de juguler l’hémorragie, le gouvernement a évoqué la possibilité de recruter les professeurs plus tôt. Lors de la dernière réunion sur l’attractivité regroupant les organisations syndicales et la rue de Grenelle, plusieurs scénarios ont été évoqués. L’un d’entre eux, un recrutement à bac+3 pour tous les professeurs, semble privilégié par le ministère.
La formation initiale des enseignants est au cœur du discours politique depuis la rentrée. Et même avant. Pap Ndiaye, ancien ministre de l’Éducation nationale, avait affirmé être pour un retour du recrutement des professeurs à bac+3 quelques semaines avant son limogeage. On se souvient aussi que dès le 1er septembre, lors d’un déplacement à Orange (Vaucluse), Emmanuel Macron disait « assumer vouloir le retour des bonnes vieilles écoles normales ». Gabriel Attal a quant à lui parlé « d’écoles normales du XXIe siècle » lors de la journée internationale des enseignants le 5 octobre dernier. Il promettait des propositions de refonte de la formation continue dès la fin de l’année 2023. C’est dans le cadre du chantier sur l’attractivité que la rue de Grenelle a présenté les différents scénarios aux organisations syndicales.
Si le ministère s’attelle au dossier, c’est parce que très vite , la réforme Blanquer du recrutement de 2019 (passage du concours en M2 au lieu de M1) a montré ses limites. Si 804 postes dans le premier degré et 985 dans le second n’étaient pas pourvus au concours de 2019, ils étaient respectivement 2025 et 2180 en 2022 (conséquence directe de la mastérisation).
Lors de la réunion de travail de mercredi 8 novembre, à laquelle n’assistait que le ministère de l’Éducation nationale (alors que la formation des futurs enseignants concerne au moins autant le supérieur), les représentants du ministère ont indiqué que la réforme de la formation initiale répondait à plusieurs objectifs : « répondre à l’attrition quantitative et qualitative du recrutement », « capter en amont la cible de recrutement du ministère, à savoir les jeunes chez qui il existe une vocation pour devenir enseignant sans se priver d’autres viviers », « adapter la formation pour la rendre davantage conforme aux attentes de l’institution » et « maintenir un niveau élevé de qualification », « veiller au maintien de conditions d’entrée identiques entre le 1er et le 2d degré (hors agrégés) », « veiller au maintien du lien avec l’enseignement supérieur dans le dispositif de formation ».
Trois scénarios
Trois scénarios ont donc été présentés aux organisations syndicales représentatives.
Le premier propose un recrutement à Bac+3 pour le premier degré et le statu quo pour le second degré. Cette hypothèse permettrait pour le premier degré, une entrée anticipée dans le métier, l’élargissement du vivier potentiel de candidats et le renforcement de la formation avant leur mise en responsabilité complète. La non-réponse à « l’attrition du vivier du second degré » et le décrochage entre le premier et le second degré sont les inconvénients de cette proposition que pointe le ministère.
Second scénario, un recrutement à bac+3 pour le premier degré, et bac+4 pour le second, ce qui permettrait un élargissement du vivier pour le second degré. Cette hypothèse n’est pas celle privilégiée par la rue de grenelle, le décrochage premier/second degré persistant et la charge de travail des étudiants et candidats pour les concours du second degré resterait trop importante.
Un recrutement à bac+3 de tous les professeurs
Le scénario privilégié par le ministère est un recrutement de tous les professeurs, premier et second degré, à bac+3. Il liste les avantages : élargissement du vivier, l’entrée anticipée avec une rémunération pour les étudiants souhaitant devenir professeurs et une formation initiale renforcée, puisque déployée sur deux ans. Les stagiaires, après obtention du concours, seraient en stage d’observation 25% du temps lors de la première année de formation. Ils seraient en responsabilité à mi-temps lors de la deuxième année de formation et considérés comme des moyens d’enseignement.
Exit l’idée des écoles normales puisque la formation serait organisée par les INSPE. Les lauréats seraient formés dans l’académie du concours et accompagnés dans le cadre d’un tutorat.
Le ministère prévoit également la mise en place d’un programme de « détection dès le lycée au bénéfice des lycéens intéressés par les métiers de l’enseignement » – notamment en mobilisant les stages de seconde à l’école primaire.
Sur le contenu de la formation, pour le premier degré, le ministère souhaite la création de licences pluridisciplinaires et/ou la généralisation du modèle des PPPE. Il y sera adjoint « des modules spécifiques de sensibilisation aux métiers de l’enseignement et de préparation au concours sur les licences préalablement identifiées et labélisées » dans le cadre de conventions. Pour le second degré, les licences resteraient disciplinaires et y serait adjoint le même module que pour les professeurs des écoles.
Les candidats s’inscriraient au concours lors de troisième année de licence et devront l’avoir décrochée pour être nommés élèves fonctionnaires.
Du côté de la rémunération, le ministère prévoit une rémunération à l’indice minimum de la fonction publique la première année, soit un indice majoré de 361 points, l’équivalent de 1 772 euros. Lors de leur deuxième année de stage, les lauréats toucheraient une rémunération identique à ce que touchent les enseignants stagiaires aujourd’hui. En retour, les stagiaires s’engagent à servir l’État. Peu d’informations sont données sur la forme de cet engagement. Leur statut serait celui d’élève lors de la première année – et donc pas de prise en compte pour l’avancement, la seconde année serait elle retenue dans le classement.
La question de la place du concours des Psychologues de l’Éducation nationale – bac+3 ou bac+5 fait partie des points de vigilance si ce scénario est retenu. La question d’accès pour les voies internes est aussi questionnée.
Chez les syndicats, inquiétude sur les contenus de formation
À la FSU-SNUipp, plusieurs éléments braquent. « Le ministre souhaite que dès la deuxième année les stagiaires soient considérés comme moyen d’enseignement. C’est une ligne rouge pour nous », explique Guislaine David, porte-parole du syndicat. Autre motif d’agacement, la précipitation avec laquelle le ministère entend mener cette réforme. « C’est comme en 2019, on veut aller très vite, on ne fait pas de bilan sérieux. On réforme tellement le concours qu’il n’y a plus de visibilité pour les étudiants. Le ministère souhaite que tout soit discuté en quelques mois pour une effectivité lors du concours 2025. Mais c’est dès la rentrée 2024 que les maquettes de licence différentes devront être proposées aux étudiants… ». La responsable syndicale s’inquiète aussi de l’absence de l’enseignement supérieur dans les discussions. « On ne débat pas des contenus de formation. La réforme de 2019 a abouti à une diminution des horaires de formation initiale. Va-t-on vers une formation d’exécutant avec une transmission de bonnes pratiques ? ».
Au SE-Unsa, on se dit globalement satisfaits mais à certaines conditions : maintien du niveau master, temps de formation identique quel que soit le niveau des lauréats et lauréates, contenu de formation… « Nous sommes favorables à un concours plus tôt dans le parcours universitaire en maintenant la masterisation – avec une formation de deux ans rémunérée dès l’année de concours », explique Élisabeth Allan-Moreno, secrétaire générale. « Maintenant, on attend d’avoir des temps de concertation qualitatifs ». « Le ministère n’a pas évoqué les contenus de formation qu’il va falloir travailler. Recruter dès la licence et former sur deux ans exigent un nombre de formateurs important. On est déjà en tension, qu’est-ce qui est prévu ? » interroge-t-elle. Autre point de vigilance pour le syndicat : la phase transitoire, « Qu’est-il prévu pour les étudiants engagés dans un master ? ».
Lilia Ben Hamouda