Comment faire face à la crise du recrutement des enseignants ? En abaissant le niveau de recrutement à bac +2, voir à bac professionnel +2. C’est ce que demande la proposition de loi du député Les Républicains Alexandre Portier. Arguant de la crise du recrutement, c’est bien l’abaissement du métier, et par suite des carrières et des rémunérations, que prépare la droite.
Des professeurs des écoles formés en bac pro
« Cette proposition de loi porte donc un plan d’urgence pour le recrutement et la formation initiale des enseignants qui vise à répondre à la fois à la pénurie d’enseignants et à renforcer leur niveau de recrutement« , annonce Alexandre Portier. En fait le texte prépare un spectaculaire abaissement du niveau de recrutement et, tout aussi grave, un décrochage entre professeur des écoles et professeurs du second degré (Capes, Capet, Caplp).
Le recrutement des professeurs des écoles commencerait en seconde professionnelle. L’article 1 de la proposition de loi propose la création d’une « filière d’excellence » en lycée professionnel conduisant à un bac professionnel spécifique. Pourquoi le bac professionnel plutôt qu’un bac général ? Malgré la très forte réduction des horaires dévolus aux disciplines générales en lycée professionnel, le bac pro a un avantage qui semble déterminant pour A. Portier : la durée des stages, qui va être doublée par la réforme Macron. L’idée c’est d’envoyer en stage dans les écoles les élèves de cette filière professionnelle. La proposition de loi ne le précise pas, mais ils pourraient par exemple y effectuer des remplacements. « Les futurs professeurs des écoles pourraient ainsi être repérés plus tôt et mieux formés en bénéficiant de stages dès le lycée pour mieux appréhender les enjeux du métier« , explique l’exposé des motifs de la proposition de loi.
Après le bac professionnel, le recrutement des professeurs des écoles se ferait au niveau bac +2. « Des classes préparatoires au concours de recrutement de professeurs des écoles sont créées. Ces classes préparatoires de deux ans sont accessibles après obtention du baccalauréat professionnel dans le cursus mentionné au 1° de cet article… L’obtention du baccalauréat professionnel, doublée de la validation du parcours en classe préparatoire prévu au 1° de cet article, permettent de se présenter automatiquement au concours externe de recrutement de professeur des écoles« . Au lieu d’un master (bac +5) les professeurs des écoles seraient donc recrutés au niveau bac +2, celui du BTS, après une formation très légère en lycée professionnel. Les professeurs des écoles ne seraient plus des cadres mais des employés avec ce que ca entraine en termes de carrière et de rémunération. Les écoliers n’auraient plus face à eux des professionnels ayant un haut niveau de culture général peut-être jugé inutile par Alexandre Portier pour enseigner à des enfants.
Les professeurs du second degré recrutés à bac +2
C’est guère mieux dans le second degré. L’article 4 de la proposition de loi propose l’inscription aux concours de recrutement (Capes, Capet, Caplp) dès l’inscription en année de licence. « Peuvent se présenter aux concours de l’enseignement secondaire (certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré, certificat d’aptitude au professorat d’éducation physique et sportive, certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement technique, certificat d’aptitude au professorat de lycée professionnel, agrégation) dans une discipline donnée les candidats justifiant, à la date de publication des résultats d’admissibilité, d’une inscription en troisième année d’études en vue de l’obtention d’une licence« .
Après le concours, les lauréats rejoindraient les INSPE pour une formation axée sur la pédagogie où ils ne seraient fonctionnaires stagiaires qu’une seule année.
Pourquoi cette dérive commune à droite
Cette proposition de loi intervient après le texte de Max Brisson déjà adopté par le Sénat. Elle témoigne de la volonté de la droite de faire de la réforme de l’Ecole un levier de reconquête politique. La proposition Brisson propose de privatiser l’école publique, avec des établissements publics à gestion privée, et d’abaisser la formation des professeurs des écoles en la livrant à l’administration plutôt qu’à l’université. Celle d’A Portier abaisse encore plus le niveau de recrutement des enseignants.
Mais la philosophie est la même. On y voit trois enjeux. D’une part avoir des enseignants ayant un niveau culturel trop bas pour contester les volontés ministérielles. Sans formation universitaire solide ils suivront les guides ministériels et seront peu enclins à aller voir ailleurs. D’autre part réduire les coûts. Abaisser le niveau de recrutement c’est aussi déqualifier les carrières. A la place de cadres A à niveau identique dans le premier et le second degré on aurait de simples employés ayant des qualifications différentes entre les deux degrés. On pourrait non seulement décrocher les carrières des deux degrés mais décrocher le premier degré du second. Mais l’enjeu n’est pas que la destruction du métier enseignant. Abaisser le niveau des enseignants c’est aussi ruiner l’école publique.
François Jarraud