La cérémonie de remise du prix Samuel Paty était prévue de longue date. Mais son organisation a été percutée par la terrible actualité. S’il est vrai qu’elle se fait toujours avec beaucoup d’émotion, cette nouvelle édition – le deuxième – a un goût particulièrement amer reconnaît Joëlle Alazard. « Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, le traumatisme et la douleur restent intacts. L’assassinat de Dominique Bernard par un islamiste provoque chez nous, au-delà de la douleur, de l’écœurement. Comment accepter que ceux qui forment les citoyens, que ceux qui forment à l’émancipation par les savoirs, meurent ? Allons-nous continuer à empiler les deuils qui n’auraient jamais dû être ? » interroge la présidente de l’association des professeurs d’histoire-géographie (APHG) qui organise le concours.
Dans le célèbre amphithéâtre de la Sorbonne, les parents et la sœur de Samuel Paty étaient aux côtés des organisateurs, du ministre de l’Éducation nationale et de la Première ministre. Une famille dont la douleur a été ravivée par l’assassinat de Dominique Bernard la veille. « Ma douleur et ma colère ont resurgi à l’annonce de ce nouvel attentat qui a frappé l’école hier », a déclaré Gaëlle Paty qui a salué la mémoire de son frère qui « serait sans doute dans la salle avec ses élèves s’il était encore des nôtres ».
Enseignants, élèves, historiens étaient aussi nombreux. Des enseignants accompagnés de leurs élèves lauréats du prix. Delphine Laurent, professeure documentaliste au collège Foncarrade de Montpellier, était dans la salle avec sa classe de quatrième, lauréate du troisième prix de la catégorie collège. « On est obligés de rester debout, de garder une posture d’enseignant. Pour eux, on ne doit pas vaciller. On doit les écouter, écouter leurs craintes et les rassurer », nous confie-t-elle . « L’émotion est forte aujourd’hui, plus forte que lors des deux précédentes cérémonies », reconnaît Christine Guimonnet, secrétaire générale de l’APHG. « La journée d’aujourd’hui a une résonance très particulière, car nous sommes là pour récompenser le travail des élèves et de leurs professeurs. Cet après-midi doit rester un événement pour eux, en mémoire de Samuel, en mémoire de notre collègue assassiné hier, en soutien aux blessés et à l’ensemble de la communauté éducative d’Arras. Mais c’est aussi un moment pédagogique, on est dans la construction, c’est notre cœur de métier ». « C’est à la fois un honneur et une grande tristesse d’être ici », nous confie Ismael Ferhat, chercheur et membre du jury. « L’ensemble des collègues aurait préféré ne pas remettre ce prix, surtout le lendemain de l’assassinat d’un collègue. On va faire ce que l’on fait de mieux : de la pédagogie. Le plus bel hommage que l’on peut rendre à nos collègues assassinés par le terrorisme islamiste, c’est de continuer à enseigner, de faire comprendre aux jeunes ce qu’est la liberté d’expression, le respect. Il n’y a pas d’autre voie ».
L’PAHG demande des mesures concrètes au-delà des mots de soutien
Gabriel Attal était de la cérémonie, Élisabeth Borne aussi. « Ce 16 octobre 2020, la barbarie du terrorisme islamiste et la lâcheté sans nom d’esprits malades qui ont assassiné Samuel Paty », a déclaré le ministre de l’Éducation nationale dans un discours avant la remise des prix. « Il y a 3 ans, l’obscurantisme a tenté d’éteindre la lumière. Depuis ce jour, un martyr de la République est né dans nos cœurs et dans nos consciences. Aujourd’hui, c’est la flamme de son souvenir que nous sommes venus raviver ». « Nous sommes encore une fois en deuil. Il y a tout juste 24h, on a encore assassiné un professeur. Il y a tout juste 24h, on a encore voulu éteindre la lumière » a enchaîné Gabriel Attal. « Mais les islamistes, les terroristes, les fous de Dieu n’ont pas éteint la lumière. Mais oui, nous avons été touchés. Il y a 24h, le cœur de tout un pays s’est arrêté de battre au moment où nous apprenions la mort sauvage et barbare de Dominique Bernard ». Lors de son discours, le ministre a confirmé la banalisation de deux heures de cours, de 8 heures à 10 heures, lundi matin, afin que « lundi soit une journée de solidarité pour nos professeurs ». « Je demande à tout notre pays de montrer que nous nous tenons unis, dans un élan de solidarité pour notre école… Nous ne pouvons plus nous contenter de dire l’émotion, le deuil, le choc ».
« Samuel Paty est mort parce qu’il enseignait », a à son tour déclaré Elisabeth Borne. « La haine a à nouveau parlé hier en faisant de Dominique Bernard une nouvelle victime. L’École est le lieu de l’émancipation. C’est là que sont déjoués les destins tracés d’avance. C’est le terreau de la république. On y entre élève, on en ressort citoyen. Les enseignants donnent chaque jour le goût du savoir et de l’émancipation, c’est cela que l’obscurantisme combat. Quand un enseignant est attaqué, ce n’est pas seulement la République qui est visée, c’est son avenir qui est menacé ». « Nous ne cèderons rien à la violence, nous ferons face et la combattrons. Je veux dire aux enseignants que nous serons là pour assurer votre sécurité. Vous protéger c’est protéger la république et son avenir », a conclu la Première ministre.
Si ces déclarations de soutien sont accueillies avec émotion, « au-delà des mots, ce qu’attendent les enseignants, ce sont des mesures concrètes et respectueuses pour pouvoir continuer à servir l’école de la République » a déclaré Joëlle Alazard.
Alors que dans chaque école et chaque établissement scolaire, du CM1 à la terminale, les enseignants et enseignantes s’apprêtaient à rendre hommage à Samuel Paty, la barbarie a à nouveau sonné aux portes de l’école. Par leur action, enseignants et enseignantes sont les premiers garants de notre République, de notre Nation. Mais combien de temps tiendront-ils encore ?
Lilia Ben Hamouda