« Nous sommes dans le temps de l’action ». Intervenant à l’occasion de la Journée mondiale des enseignants, le 5 octobre, Gabriel Attal lance « le choc des savoirs ». En huit semaines, il promet de trouver les solutions pour « relever le niveau » et sauver l’Ecole. C’est que les « constats » sont déjà faits et les réponses connues. Ce sont celles préconisées depuis 2017 : mettre fin aux cycles, généraliser les classes de niveau, dicter aux enseignants les méthodes à suivre, labelliser les manuels scolaires. En toute logique, le ministre veut aussi rétablir les écoles normales avec recrutement au niveau bac. Dans cette vision caporaliste de l’Ecole, nul besoin d’enseignants formés en université, le ministère pense pour eux. Des exécutants dociles suffisent. Pour légitimer cette vision, une consultation organisée par le ministère sera lancée auprès des enseignants. Vous avez aimé Blanquer, vous aimerez Attal…
Des enseignants recrutés au niveau bac
« Le 5 octobre, c’est la Journée mondiale des enseignants. Ce n’est donc pas tout à fait une date comme les autres » dit Gabriel Attal. Il choisit le cadre de la Bibliothèque nationale pour exposer son « choc des savoirs », celui des fondamentaux. « Nous aimons nos professeurs », affirme le ministre de l’Education nationale « avec bienveillance mais avec exigence ». « Garantir le bonheur » des professeurs est « un objectif prioritaire de notre école », dit-il. Et pour cela « rendre le métier plus désirable ».
G Attal cite Mitterrand, pour qui « être enseignant ce n’est pas un choix de carrière, c’est un choix de vie ». Mais le ministre n’est pas à une contradiction près. Il annonce l’organisation de trois groupes de travail sur la formation des enseignants, l’évolution de carrière et les conditions de travail qui remettront leurs propositions d’ici la fin de l’année. On ne saura rien de la dernière question. Mais, sur la formation, G Attal remet en selle une idée portée par la droite dans son projet de loi et la Cour des Comptes.
« Je souhaite inventer les écoles normales du XXIème siècle qui puissent former des élèves après le bac », dit G Attal. La formation des enseignants ne serait plus faite par l’université mais par l’administration de l’Education nationale. Avec un recrutement avancé au bac, cela garantirait la docilité des enseignants et une grille indiciaire au rabais. Abaisser le niveau de formation paraitrait ailleurs une idée folle. Mais cela ne parait pas au ministre inconciliable avec le « choc des savoirs ». Ce qui compte c’est que les enseignants appliquent à la lettre la méthode conçue par son ministère.
Pour la carrière, le ministre se contredit. Plus question de « choix de vie ». « La promesse de l’école peut-elle être de dire à tous les jeunes candidats qu’ils passeront plus de 4 décennies dans le même métier ?… Il faut qu’on soit aux avants postes d’une gestion des ressources humaines ». G Attal met l’accent sur l’autorité du professeur qu’il promet de restaurer. Il devrait faire des annonces à ce propos d’ici la fin de l’année.
Réforme générale des programmes en 2024
Mais l’essentiel de son intervention est consacré à « l’urgence de notre école » : élever le niveau. « Le rattrapage que nous avons à faire est colossal », affirme le ministre. « Les élèves français ont perdu l’équivalent d’un an en termes de niveau », assure-t-il. « Nous devons relever le niveau d’exigence que nous avons à l’égard de nos élèves ». Ce qui sous-entend que cette baisse serait due aux enseignants.
Le ministre annonce la création d’une « mission exigence des savoirs ». Composée de Stanislas Dehaene, le président du CSEN, du directeur de l’enseignement scolaire, de la doyenne de l’Inspection et du recteur Albout, elle constituera trois groupes de travail (école, collège et lycée). Chacun sera composé d’un recteur, d’un IPR, d’un inspecteur général et de deux enseignants bien choisis. Le ministre promet que cette mission « réalisera un nombre très important d’auditions ». Mais elle devra rendre ses conclusions fin novembre.
Les solutions du ministère
C’est que, affirme le ministre, « le constat, il est connu. Les solutions elles existent. Les propositions elles ont été soumises ». Notamment par les analyses du Conseil supérieur de l’Education nationale (CSEN). « Nous ne sommes plus dans le temps des constats. Nous sommes dans le temps de l’action », dit G Attal.
Les solutions sont d’ailleurs déjà soufflées par le ministre. Il annonce une nouvelle révision générale des programmes.
La fin des cycles
« L’organisation en cycles ne permet pas toujours de disposer au sein des programmes des éléments indispensables à la progression des apprentissages », affirme G Attal. Depuis JM Blanquer, le ministère a introduit des « repères annuels » et ainsi contourné la notion de cycle pourtant indispensable aux élèves pour progresser. G Attal va plus loin vers leur suppression officielle. Ce qui veut dire la révision de la loi de 2013.
Des manuels scolaires d’Etat
Les manuels scolaires sont « trop hétérogènes », explique le ministre. Là aussi le ministre reprend un combat, inabouti jusque là, du CSEN. « La question de la labellisation des manuels est posée » . L’enjeu n’est pas seulement la fin de la liberté d’édition, ce qui est déjà énorme. C’est l’imposition du manuel ministériel unique, avec ce que cela veut dire pour les pratiques enseignantes, qui s’annonce. L’Institut Montaigne récemment demandait de mettre fin à la liberté pédagogique pour plus d’efficacité. G Attal va le faire.
Le retour des classes de niveau
« Faut-il conserver le principe de classes hétérogènes ou prolonger une réflexion par niveau ? », demande G Attal. En clair il valide les classes de niveau. Ce dispositif a été combattu ces dernières années. Le ministre encourage leur généralisation alors que l’on sait que cela augmente les inégalités et les tensions au sein des établissements. C’est évidemment contradictoire avec la mixité sociale dont aime parler G Attal.
Une vision rétrograde ?
La vision de l’École de G Attal est particulièrement rétrograde. Pour lui l’Ecole vise à « empêcher l’explosion de la violence » et à « civiliser des individus » et non à les émanciper. Sa vision des enseignants est de la même eau. Avec un recrutement au niveau bac, ce qui ne s’est pas vu depuis plus d’un demi-siècle, et une formation par l’administration, il coupe les ailes des enseignants et prépare des techniciens appliquant à la lettre la méthode unique jugée bonne par le ministère.
« Le projet qui est le nôtre depuis 2017 est le bon », dit G Attal. Il assume la filiation avec JM Blanquer. Il veut juste aller au bout du projet.
On retrouve dans cette nouvelle étape ce qui réunit le CSEN, le CSP, l’Institut Montaigne, la Cour des Comptes et également la droite. On a vu ces derniers mois les rapports s’additionner, tous convergents vers cette nouvelle étape.
Mais ce n’est pas vraiment un retour en arrière que propose G Attal, même si certains cotés sont parfaitement rétrogrades, comme le retour des écoles normales. Contrairement à ce qu’il dit il ne défend pas « l’école à la française ». Il rompt avec elle. Il veut construire une nouvelle Ecole. Il introduit en France la vision anglo-saxonne du métier enseignant. Il la lie avec une conception bonapartiste de l’École, hiérarchisée socialement, excluante et invitant à la soumission. Citant les « pères fondateurs » de l’École , Gabriel Attal évoque Condorcet, Ferry, Zay. Il y ajoute Napoléon. Ce n’est pas par hasard.
François Jarraud