Peut-on transformer en événement pédagogique la rituelle visite du collège par les CM2 ? Défi relevé au collège Paul Eluard de Montreuil : pendant une matinée, des élèves des écoles primaires du secteur viennent au collège pour former des binômes avec les 6èmes et s’affronter autour d’épreuves de grammaire réalisées sur la plateforme Socrative. L’enjeu, explique Julien Léoni, professeur de français, c’est de resserrer les liens autour d’un savoir partagé : « Collaborer d’égal à égal avec des 6èmes a montré concrètement aux CM qu’ils faisaient bel et bien partie du même cycle. Je pense que cet événement aura construit de la confiance de part et d’autre, ce qui est un des objectifs d’un projet dans le cadre de la liaison écoles/collège. »
Lors de l’habituelle visite du collège par les CM du secteur, vous avez créé un événement pédagogique, les « Olympiades de la grammaire » : de quoi s’agit-il ?
Je venais de conduire des projets aussi passionnants que chronophages comme « Poétiser la ville » ou « Mapopo », qui est une application de production poétique aléatoire créée avec mes élèves. En outre, j’avais aussi initié le dispositif « Eluard à vélo » avec des collègues d’EPS qui s’est concrétisé par la dotation de 26 vélos et un voyage d’une semaine en autonomie de Montreuil à Nogent-le-Rotrou…J’avais donc sans doute besoin d’un projet plus réduit dans le temps. A l’occasion d’un conseil écoles-collège, j’ai proposé un groupe de travail pour mettre en place une activité commune CM/6ème autour de la maîtrise de la langue. J’avais l’idée d’utiliser Socrative et une proposition générale de « rencontre » utilisant cette plateforme. La discussion avec les collègues du premier degré a été facile et rapidement productive, tant l’outil est intuitif, simple et peu rebutant. Travaillant (et vivant) sur le territoire des jeux Olympiques de 2024, nous avons trouvé sympathique d’intituler cela « Olympiades de grammaire ».
Concrètement, pendant une matinée, des élèves d’écoles primaires du secteur sont venu.e.s au collège. Des binômes ont été formés avec mes élèves de 6ème et se sont affrontés autour d’épreuves de grammaire, réalisées sur la plateforme Socrative. Le programme a été décidé lors du conseil écoles/collège : Morphologie du présent et de l’imparfait.- Accord de l’adjectif. – Repérage du sujet – Nature des mots variables. On a aussi convenu que, pendant un mois, les professeurs des écoles se familiariseraient seules avec l’outil que je leur avais présenté lors du conseil. La communication s’est faite par mail pour les questions relatives à Socrative, jusqu’à ce qu’elles se lancent en classe pour initier leurs élèves. Le jour des « Olympiades », il y a eu deux phases de qualification, une finale et les six gagnant.e.s ont remporté un T-shirt du collège, remis par la principale. Tous.tes les enfants sont reparti.e.s avec un « diplôme olympique » de grammaire.
Vous avez utilisé « Socrative » pour déployer l’activité : de quoi s’agit-il ? pourquoi ce choix ?
Je trouve que le numérique à l’école, c’est souvent l’illustration de la phrase d’Hugo « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface », quand on n’anticipe pas ou mal le projet. Pour filer la métaphore, si Rimbaud était voyant, moi je préfère être prévoyant ! Lorsque j’utilise le numérique, j’ai toujours en tête les innombrables soucis que j’ai pu expérimenter depuis…mon premier MO5 dans les années 80 ! Encore aujourd’hui, combien de séances patiemment construites mais avortées le jour J, à cause d’un « problème informatique » ? Lacan pour qui « le réel, c’est quand se cogne », aurait adoré le numérique à l’école ! Je voulais donc un outil fiable, simple et efficace. C’est Socrative qui, dans ce cas de figure, s’est imposé et ce, d’autant plus que je le pratique depuis longtemps et que c’est un de ceux qui m’a le moins déçu.
Socrative est un outil de création de quiz et d’évaluations en direct. Il possède plusieurs modes dont le mode « course de l’espace », où l’on peut voir en direct la progression des candidats. Chaque bonne réponse permet d’avancer. C’est ce mode, plein de suspens, qui a été utilisé pour la finale. Tous les enfants ont ainsi pu la vivre en direct. C’était d’ailleurs très touchant de les voir encourager les finalistes, d’autant que les noms n’apparaissaient pas à l’écran et n’ont été révélés qu’à la fin. Un peu de mise en scène ne nuit pas ! En outre, cet outil ne nécessite pas d’inscription des élèves. Seul l’enseignant doit posséder un compte, ce qui rend possible la conformité RGPD. Il fonctionne soit via le site Internet, soit via l’application. Il est également peu gourmand en ressources, grâce à son interface dépouillée, ce qui rend son utilisation très stable; y compris sur nos vieilles machines. Enfin, la version gratuite autorise tous les modes et permet des archives possibles. C’est d’ailleurs une version gratuite que j’ai utilisée.
Concrètement, comment se déroule l’activité coopérative de grammaire ?
Dans mon cas, je dispose d’une salle informatique de 14 postes ( au mieux…) et j’ai prévu un événement sur une matinée. Nous avons décidé de commencer avec 2 classes de CM et ma classe de 6ème. L’idée de créer des binômes, qui est à l’origine une contrainte de postes, est finalement devenue un atout, grâce à la collaboration que permet Socrative. La faible différence d’âge et la bonne préparation des élèves, qui maîtrisaient toutes et tous l’outil, a rendu la coopération entre les binômes assez naturelle. Malgré cela, il a fallu s’organiser pour conserver les binômes, car nous considérions qu’au-delà de deux enfants, la collaboration était moins évidente ; notamment avec le risque de voir un participant laissé de côté par les deux autres. Le fait que l’épreuve soit inscrite dans un temps donné augmentait ce risque. Ce sont encore de ces contraintes de nombre, de lieu et de temps qu’est venue l’idée d’organiser des roulements simples.
En effet, pendant qu’une partie des élèves répondaient aux questions sur les ordinateurs, un autre groupe de primaires a été pris en main par des élèves volontaires de 6ème qui leur ont fait visiter le collège avec un AED et un professeur des écoles. Un autre groupe participait à un cours d’EPS dans la cour et un autre encore à un cours de mathématiques en salle. Mes collègues étaient assez enthousiastes à l’idée de rencontrer leurs futur.e.s élèves et cela n’a pas créé de difficultés. Cette organisation finalement assez simple a permis d’effectuer les qualifications sans problèmes.
Pour assurer le déroulement de la « compétition », j’avais préparé un petit tableur Excel calculant les classements et désignant les qualifié.es à chaque tour, car Socrative fournit les résultats en direct. Le fait que les CM aient pu visiter le collège et participer à un cours d’EPS et de Mathématiques est aussi le but de la liaison école/collège. Tout s’est donc parfaitement organisé. Enfin, tous les enfants ont assisté à la finale en direct, grâce au mode « course de l’espace » de Socrative.
Pouvez-vous donner des exemples de questions posées ?
Nous avons utilisé les 3 types de quiz possibles sur Socrative : le QCM, la réponse en texte et le vrai/faux. J’ai créé les épreuves (qualifications et finale) que j’ai envoyées en amont aux collègues de primaires, pour avis et amendements. Socrative permet de partager toutes ses créations par mail ou simple code/questionnaire.
Voici un exemple de « réponse par un texte » : « Conjuguez à l’imparfait le verbe suivant : «- Je m’appelle Hélène Stoner, et je (vivre) avec mon beau-père, qui est le dernier survivant de l’une des plus vieilles familles saxonnes de l’Angleterre. » Voici un exemple de QCM : « Indique la nature grammaticale du mot en gras dans le texte suivant : « Je ne parlerai pas, je ne penserai rien / Mais l’amour infini me montera dans l’âme. » Voici un exemple de vrai/faux : « Aucun verbe du 3ème groupe ne prend « e,es,e » comme terminaisons au singulier au présent. VRAI ou FAUX ? »
Quels sont les plaisirs et profits d’un tel événement pour les élèves de CM et de 6ème ?
Le premier des plaisirs fut d’avoir réussi à imaginer et organiser un événement avec des collègues d’écoles élémentaires qui nous ait permis de collaborer et donc de mieux nous connaître. Cette dimension est capitale pour moi. Les liens tissés lors de cette expérience vont permettre d’organiser plus rapidement et plus efficacement d’autres projets, au bénéfice des élèves. Nous avons longtemps été ZEP et bénéficiions de temps de concertation. Lorsque on nous a exclus de la nouvelle carte de l’éducation prioritaire en 2014, ces temps d’échanges capitaux ont disparu. Les dernières occasions de se concerter restent ces trop rares conseils écoles/collège. Les liens noués pendant ce projet permettent de palier un peu la disparition de cette concertation institutionnelle. Ce réseau informel qui renaît est évidemment un bénéfice pour les élèves ; ce qui devrait être le but de chaque projet. Pour les 6èmes, ils étaient toutes et tous très fier.es d’accueillir de futur.es camarades et de les initier à leur futur environnement. Mes 6èmes ont, je pense, pris autant de plaisir à participer aux « Olympiades » qu’à faire visiter leur collège et en quelque sorte « initier » leurs futur.e.s camarades. Cela s’est senti lorsqu’ils expliquaient par exemple aux CM la vie scolaire ou l’emploi du temps qui allait être le leur. Quant aux CM, c’était un premier pas dans leur futur collège, en immersion, ce qui est une forme de réassurance.
Pour ce qui ressortit aux épreuves en elles-mêmes, je pense que pour les CM, elles ont d’une certaine façon permis de dédramatiser un peu l’entrée en 6ème. En effet, collaborer d’égal à égal avec des 6èmes, leur a montré concrètement qu’ils faisaient bel et bien partie du même cycle. Là encore, je pense que cet événement aura construit de la confiance de part et d’autre, ce qui est un des objectifs d’un projet dans le cadre de la liaison écoles/collège.
L’Olympiade présente par nature une dimension de compétition : les élèves y sont-ils sensibles ? la dimension de coopération vous parait-elle plus essentielle ?
C’est là un point qui a davantage occupé les enseignants que les élèves. Cette dimension de compétition, et donc d’élimination possible, a été un point de discussion entre collègues. Personnellement, je pense que la dimension de compétition est intégrée par les élèves de façon assez naturelle. Ils analysent tous.tes de façon fort pertinente le système dans lequel ils sont plongés, bien que nous essayions chaque jour de les en protéger. Il n’est qu’à songer à leur environnement extra-scolaire pour s’en convaincre. Les jeux vidéos qui prennent (trop) beaucoup de place sont majoritairement et intrinsèquement compétitifs, tout comme les sports éventuellement pratiqués ; sans compter les réseaux sociaux et leurs boucles de gratifications qui participent des mêmes ressorts psychologiques. Nous vivons de fait dans un monde compétitif. Pour autant, constater cette omniprésence n’implique pas une acceptation générale de ce modus vivendi. C’est sans doute notre rôle de pédagogues de protéger nos élèves, en les plaçant dans des activités qui leur permettent de ne pas en souffrir.
Dans les « Olympiades de grammaire », nous avons bien sûr préféré retenir de l’olympisme la dimension participative. Ainsi, les binômes ont été faits de façon aléatoire, pour contrer un éventuel « effet compétition », que nombre d’élèves appelaient pourtant de leurs vœux ! En outre, pouvoir assumer le rôle de tuteur et de guide, sans considération de performance scolaire lors de cette demi-journée a permis de construire un capital de confiance, dénué de toute référence chiffrée. Pour être très honnête, nous n’avons pas constaté de situation de mal-être lors de ces épreuves. Les collègues avaient parfaitement « déminé » le terrain, en présentant cette expérience comme une activité ludique. L’enthousiasme des non-qualifiés à encourager les finalistes en est la meilleure preuve.
L’événement favorise-t-il aussi la coopération entre enseignant·es ?
Conduire un projet en commun permet de tisser des liens effectifs et pérennes. La dimension collaborative est évidente dans la mesure où Socrative permet de partager très simplement son travail. Nous avons pu ainsi consulter les créations de tous.tes, de façon à harmoniser notre travail en amont des « Olympiades ». Dans la mesure où cela s’est très bien passé, les collègues du premier degré ont pu « dédramatiser » auprès de leurs propres collègues qui sont par conséquent plus volontaires désormais. Il en a été de même pour ma part. J’avais invité les collègues qui souhaitaient découvrir l’événement ( et Socrative en action) à venir y assister. En tant que référent numérique, je trouvais que c’était une proposition intéressante et concrète.
Quels prolongements et déclinaisons vous semblent possibles pour un tel événement ?
J’espère que les collègues du premier degré vont poursuivre leur utilisation de Socrative. Cela nous permettra de gagner en agilité pour de nouvelles « Olympiades » qui pourraient se dérouler en Mathématiques ou en Histoire-Géographie. En outre, cette plateforme permet d’évaluer avec beaucoup de précision nombre de connaissances (en grammaire notamment). En effet, Socrative propose des bilans par élève, par classe et par item évalué. Cela offre l’occasion de repérer les profils en difficulté ou en réussite, mais surtout d’analyser avec plus d’acuité l’acquisition des connaissances et de certaines compétences. Ainsi, par exemple, sur l’utilisation du présent de l’indicatif, le bilan (en pourcentage de réussite par item) permet de préciser les points les mieux acquis et à l’inverse les difficultés sur des groupes donnés. La remédiation est alors infiniment plus précise, et j’espère plus efficace, qu’avec des copies traditionnelles, dont l’analyse en données se révèlent trop chronophage, voire peu productive. Enfin, ayant cet objectif avant de rédiger l’évaluation, sa conception en devient plus cohérente. Dans cette logique, je vais sans doute suggérer aux collègues d’élémentaire de proposer à leurs élèves des évaluations de grammaire, via Socrative, et dans un contexte aussi ludique que les « Olympiades ». Les bilans partageables et générés automatiquement par Socrative pourraient devenir un élément supplémentaire d’appréciation dans le cadre de la liaison CM2/6ème, qui s’effectue en fin d’année. Ce serait sans doute plus précis et réaliste qu’une simple lettre comme on l’habitude d’en voir. Enfin, si toutes les écoles de secteur s’accordent sur une même évaluation, cela permettrait d’avoir un retour très objectif, en veillant bien sûr à ne pas verser dans une mise en concurrence des établissements.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Julien Léoni dans Le Café pédagogique
Présentation sur le site Lettres de l’académie de Créteil