« On a fait le choix historique de réinvestir massivement dans l’Ecole de la République… L’humain c’est le cœur de ce budget exceptionnel ». Gabriel Attal a présenté le 27 septembre le budget 2024 de l’Education nationale. Le ministre se décerne les félicitations avec un budget en hausse de 6.5%, une amélioration de l’encadrement des élèves, de leurs résultats et un effort de rénovation du bâti. Pourtant l’ancien ministre du budget n’était pas capable de donner les plafonds d’emploi par degré d’enseignement pour 2024. Bercy lui les connait : en pleine crise du recrutement 2511 postes sont supprimés au budget 2024 pour ces deux niveaux dont 501 dans le privé. Finalement ce budget rappelle les précédents…
Un budget en hausse pour un Etat qui fait des économies
« Ce budget je l’ai travaillé d’un coté et de l’autre de la Seine. Ancien ministre du Budget, je suis aujourd’hui à la tête d’un ministère dont le budget est le premier de la nation« , explique Gabriel Attal le 27 septembre. Accompagné de Prisca Thévenot (Carole Grandjean est absente pour cause de covid), Il a tenu à présenter lui-même le budget de l’Education nationale car « tout budget est un acte politique« .
Gabriel Attal met en avant la hausse du budget. De 60 milliards en 2023, il passe à 63.6 milliards soit +6.5%, une hausse identique à celle de 2023. « C’est prêt de 15 milliards de plus qu’en 2017″, souligne G Attal. « En seulement deux années, mon ministère aura vu son budget croître de 7.6 Mds. C’est comme si nous avions intégré un autre ministère ! »
Cette hausse est d’autant plus remarquable qu’elle se situe dans un budget global de l’Etat en baisse de 5 milliards malgré l’inflation. Dans un rapport publié début juillet, la Cour des Comptes estimait que “la période qui s’ouvre à partir de 2023 doit être mise à profit pour retrouver des marges de manœuvre budgétaires et redresser nos finances publiques“. Elle a été entendue. L’objectif gouvernemental affiché est le “rétablissement des comptes publics” et “la diminution de la dépense de l’Etat“. La Cour des Comptes a fixé comme objectif de ramener le déficit public en dessous des 3% en 2027 alors qu’il frôle les 5% en 2023. Pour la Cour “la plus grande partie du déficit , à hauteur de 4 points de PIB, est de nature structurelle et ne se résorbera pas du seul fait du redressement de l’économie“. Elle a publié début juillet un rapport appelant à privatiser l’enseignement. L’Education nationale fait partie des trois ministères qui bénéficient d’une hausse budgétaire. C’est aussi le cas de la Défense (+7.6%) et de l’écologie (+11.5%). L’essentiel des économies est fait par la suppression des aides énergétiques (14 milliards), la baisse du plan de relance, et la réduction des budgets de l’Outre-Mer, de l’économie, de la Santé et du Travail.
Encore des suppressions de postes d’enseignant
La publication des plafonds de dépense nous avait conduit en juillet 2023 à estimer que des emplois d’enseignants seraient supprimés pour pouvoir tenir le budget. C’est confirmé par Gabriel Attal qui annonce 2500 postes supprimés. Interrogé, le ministre était incapable de préciser dans quel degré ils seront supprimés.
Mais le ministère des Finances n’a pas ces pudeurs. Le projet de loi de Finances 2024 affiche les seuils d’emploi 2024 (EPT). 1331 postes sont supprimés dans l’enseignement du premier degré et 680 dans le second degré. Le privé voit partir 501 emplois. Au total ce sont 2512 postes qui sont supprimés. D’autres postes sont créés ailleurs : 24 000 pour la vie de l’élève (des postes d’AED et d’AESH) et 104 pour la Jeunesse pour accompagner le développement du SNU.
Pour Gabriel Attal, le ministère aurait du compte tenu de la baisse démographique (près de 100 000 élèves en moins sur 12 millions) supprimer 5000 postes. Le bilan serait donc positif. On peut aussi penser que ces suppressions sont un très mauvais signal en pleine crise de recrutement et que cette rente démographique peut permettre de diminuer le nombre d’élèves par classe, nettement plus élevé en France que dans les autres pays de l’OCDE.
Le privé favorisé
Le budget 2024 continue aussi à favoriser le privé. En termes de crédits de paiement 2024, selon Bercy, la hausse est de 4.6% dans le premier degré public, 5.4% dans le second degré public et 6.7% pour le privé. Cette année encore, le privé s’en tire fort bien. Son budget croit plus vite que l’inflation ce qui n’est pas le cas du public.
Des trous dans la revalorisation
Moins d’enseignants mais mieux rémunérés. Gabriel Attal évoque « une augmentation salariale sans précédent » des enseignants. « Avec ces revalorisations et celles engagées depuis deux ans, nous effaçons près de 25 années de déclassement salarial des professeurs dans notre pays« , dit le ministre. « Durant la campagne présidentielle, nous avions pris un engagement clair et ambitieux : revaloriser les professeurs de 10 %. Cet engagement est non seulement tenu mais il est dépassé« . En 2024 1264 millions sont consacrés à la revalorisation des 860 000 enseignants et 498 millions au Pacte. D’après le ministère « entre avril 2022 et janvier 2024 les enseignants gagneront en moyenne 258 euros nets de plus par mois, soit une progression de 11% sur la période« . La promesse serait tenue ainsi sur plus de 2 ans… et en misant sur une hausse de 5 points d’indice qui aura lieu en 2024…
Mais il y a d’autres chiffres du ministère. Ainsi la hausse de 10% et plus ne concerne que les échelons 1 à 6 de septembre 2022 à septembre 2023. Après, c’est le décrochage. Les enseignants des échelons au dessus de l’échelon 8 voient leur salaire augmenter moins vite que l’inflation. En clair , la revalorisation est pour eux une perte sèche. Et la courbe salariale s’annonce particulièrement décourageante pour ceux qui voudraient faire carrière dans l’enseignement. Comme le remarque le Snes, « cela crée une mécanique d’écrasement des hiérarchies salariales. Nous assistons à une remise en cause de la fonction publique de carrière« . Cette évolution est dans la droite ligne de la philosophie de la loi de transformation de la fonction publique qui veut faire des postes publics des emplois de passage occupés éventuellement par des contractuels. Rappelons aussi que la revalorisation repose en grande partie sur des primes ce qui n’est pas sans conséquences sur les retraites. Nous renvoyons pour le Pacte à un précédent article.
Une politique scolaire qui patine
Gabriel Attal vante aussi la réussite de la politique scolaire mise en place depuis 2017. « Le dédoublement, c’est plus de moyens d’enseignement et c’est logiquement plus de chances de réussir pour les élèves : une évaluation de la DEPP a montré qu’en français comme en mathématiques, les écarts entre un élève de REP+ et un élève hors REP s’étaient réduits de 15 à 40 % en fin de CE1, à l’issue du dédoublement. Nous avons accompli avec ces dédoublements un premier choc des savoirs et d’égalité des chances« . Malheureusement le bilan réel dressé par la Depp est nettement moins positif. Les études de la Depp montrent surtout une progression très faible des élèves. Les données montrent un véritable fiasco en Rep+ et des classes dédoublées qui ne font pas mieux que des non dédoublées.
Mesquineries sociales
« Avec son budget pour 2024, mon ministère assume pleinement son rôle de ministère social et de ministère contribuant à la transition écologique« , affirme Gabriel Attal. En fait les fonds sociaux , qui servent à venir en aide aux élèves les plus en difficulté, seront de 54 millions en 2024. En 2023, le ministère leur consacrait 55 millions. Pour G Attal, il ne s’agit pas d’une baisse mesquine en pleine crise sociale mais d’une « sanctuarisation de l’enveloppe« . Par comparaison le ministère consacrera 60 millions à la construction de deux lycées à La Réunion, 96 millions à la rénovation des bâtiments patrimoniaux du ministère et 180 millions à l’informatique de la centrale.
Un peu d’espoir
G Attal distribue aussi de l’espoir. Salarial. « Le chemin n’est pas terminé : nous allons continuer à travailler sur cette progression et ces évolutions en milieu de carrière, là où nous devons encore mieux reconnaître et soutenir nos professeurs, à travers la concertation sur l’attractivité du métier, dont je présenterai les conclusions d’ici la fin de l’année« . Notons que 800 millions sont inscrits au budget pour le dialogue social. A qui iront-ils ?
Ecologique. « Nous ne devons plus avoir des salles de classes où il fait trop chaud l’été et trop froid l’hiver. C’est un enjeu écologique, c’est un enjeu de santé publique et c’est un enjeu de réussite scolaire« . 500 millions sont inscrits dans un « fonds vert » avec l’objectif de rénover 10 000 écoles d’ici 2027. Mais toutes ne seront pas à égalité : les écoles adhérant au CNR macronien seront prioritaires. Les autres vont en suer…
François Jarraud
Le projet de loi de finances 2024