Selon Claude Lelièvre, les actuels « républicains de droite » se comportent tels de « petits bonapartes ». Ils souhaitent renforcer le contrôle des enseignants, par le renforcement du pouvoir des chefs d’établissement et par la limitation de la liberté pédagogique. « Notre nouveau ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal apparaît être tout à fait dans cette lignée-là » écrit l’historien. Prenant l’exemple de l’apprentissage de la lecture, Claude Lelièvre démontre que déjà en 1923, les républicains « les vrais » » ne préconisaient aucune méthode, l’essentiel étant « que l’enfant prenne plaisir à cet apprentissage difficile ».
C’était il y a un siècle ! Marqué noir sur blanc dans le texte des Instructions pédagogiques parues le 20 juin 1923 après celles datant de 1887.
«Nous ne préconisons aucune méthode – la meilleure sera celle qui donnera les résultats les plus rapides et les plus solides. Entre la méthode d’épellation et la méthode syllabique ou la méthode globale, nous ne faisons aucun choix ; des expériences se poursuivent qui décideront. Toutefois, les procédés qui nous paraissent devoir l’emporter sont ceux qui amènent l’enfant à s’intéresser à cette tâche ingrate qui consiste à associer des sons et des formes sans rapport apparent. Par suite, ceux qui font appel à son besoin de mouvement ont les plus grandes chances d’être féconds. Et telle est probablement la raison du succès de la méthode phonomimique, malgré sa bizarrerie. L’essentiel est que l’enfant prenne plaisir à cet apprentissage difficile »
On aura remarqué la position très nettement affirmée en l’occurrence par le plus haut niveau du pouvoir politico-administratif à la tête du ministère de l’Instruction publique : « nous ne préconisons aucune méthode […] ; nous ne faisons aucun choix ».
Si l’évocation de «la méthode syllabique» ou de la «méthode globale» nous dit encore immédiatement quelque chose, il n’en va pas tout à fait de même pour ce qui concerne « la méthode d’épellation » et surtout la « méthode phonomimique »
L’opposition entre la « méthode d’épellation » et la « méthode d’appellation» a longtemps été la controverse la plus importante en matière de méthode d‘apprentissage de la lecture. Il ne faut pas confondre le nom des lettres (a, bé, cé, dé, é, effe, etc) avec la prononciation qu’elles ont quand elles sont réunies en syllabes (a, be, que , de , e, fe, etc). Dans le premier cas, il s’agit de « l’appellation » ; dans le second de « l’épellation ». L’épellation avait été préconisée comme procédé à employer dès le début de l’apprentissage de la lecture par Blaise Pascal et mise en application à Port-Royal dans la deuxième moitié du XVII° siècle, mais s’est heurtée longtemps aux partisans de l’apprentissage commençant par « l’alphabet » ( le nom des lettres).
Quant à la « méthode phonomimique », il s’agissait d’associer une mimique ou un geste à un son et sa graphie. Comme le souligne le célèbre auteur d’exercices d’orthographe Edouard Bled qui a pratiqué comme élève cette méthode ; « Pour apprendre la lettre r, nous mettions nos poings sur le front, les pouces dressés et en chœur nous répétions ‘’les cornes du bœuf’, ‘’les cornes du bœuf…’’. Avec le bras droit, nous imitions les reptations du serpent et nous faisions’’ss, ss…’’. En nous amusant, en satisfaisant notre besoin de mouvement, nous nous initions à la lecture » (« Mes écoles », Robert Laffont, 1977, p. 46)
En 1923, le pouvoir politique appartenait à des républicains de droite (la fameuse ‘’Chambre bleu horizon’’) qui étaient alors vraiment républicains (opposés fermement à tout pouvoir ‘’monarchique’’ et plus généralement au pouvoir d’un seul, au ‘’pouvoir personnel’’ ).
Un siècle après, et plus de soixante ans de Cinquième République interprétée dans un sens avant tout ‘’bonapartiste ‘’, il n’en va plus de même. Certes nombre des soi-disant républicains de droite actuels multiplient les références ’’républicaines’’ et vont jusqu’à parler de baccalauréat ‘’républicain’’ ou de tenue ‘’républicaine’’ (doit-on dire alors A-level ‘’royaliste’’ ou uniforme scolaire ‘’royaliste’’ pour l’Angleterre, on voit le nonsense). Mais ils ont surtout tendance à se comporter en ‘’petits bonapartes’’, à vouloir renforcer les pouvoirs des chefs d’établissement et à se prononcer directement sur les questions pédagogiques (au nom du ‘’républicanisme’’ bien sûr…). Notre nouveau ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal apparaît être tout à fait dans cette lignée-là.
Le contraste avec les républicains même de droite mais vraiment républicains de 1923 est patent. Et l’on aura remarqué que ce qui était mis en avant en l’occurrence ce n’était pas « l’autorité» et encore moins « l’austérité des apprentissages » . « L’essentiel – est- il écrit dans le texte même des Instructions pédagogiques de 1923 – est que l’enfant prenne plaisir à cet apprentissage difficile ». Mais c’était il y a un siècle. En 1923.
Claude Lelièvre