Comment en finir avec l’Éducation nationale ? En la territorialisant. C’est ce que demande Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, dans un projet de délibération. S’appuyant sur la loi « 3DS » de février 2022, la majorité Les Républicains du Conseil régional demande la création d’écoles primaires sous contrat totalement autonomes, la mise sous tutelle régionale des lycées professionnels, la redéfinition par la région des conseils d’administration des lycées, le droit de recruter des professeurs associés de lycée et la prise de contrôle de l’orientation et de la médecine scolaire. Des propositions qui marient les projets d’Emmanuel Macron avec le projet de loi sur l’Ecole déposé par Les Républicains dans une configuration régionale. Un projet qui scellerait la constitution d’une nouvelle majorité , macronistes et Les Républicains, sur le dos de l’école publique.
Un « choc de décentralisation »
« Cette délibération pour un choc de décentralisation en Île-de-France est donc une main tendue au Gouvernement pour initier une véritable révolution girondine des libertés locales« , explique Valérie Pécresse en introduction au « Choc de décentralisation » qu’elle propose au conseil régional d’Ile-de-France. Son projet ne concerne pas que l’Ecole, mais aussi le Smic, l’assurance chômage, Pôle emploi, le système de santé, les transports en commun, qui seraient eux aussi régionalisés.
La présidente de la première région française demande « une véritable gouvernance partagée du système éducatif, comme en Allemagne, qui comprendrait la gestion totale des lycées professionnels ; le recrutement de professeurs issus de la société civile dans les lycées ; et le droit de créer des écoles primaires régionales sous contrat avec l’État dans les quartiers prioritaires de la ville, avec une liberté et une autonomie assumée dans le recrutement des enseignants et le projet pédagogique« .
S’attaquer aux plus faibles : les L.P.
Pour détricoter l’Éducation nationale, V Pécresse attaque d’abord là où c’est le plus facile : les lycées professionnels. Ils deviendraient des « établissements publics locaux d’enseignement régional sous pilotage de la région« . Pour ce faire, V Pécresse reprend l’argumentaire d’E Macron sur l’inadéquation entre la carte des lycées et le marché de l’emploi. « La grande réforme du lycée professionnelle annoncée par le Président de la République au mois de mai 2023 va dans le bon sens mais elle n’est en réalité qu’un toilettage ponctuel« , affirme le projet de V Pécresse. « Une réforme ambitieuse ne devrait donc pas reposer sur une grande opération ponctuelle de fermeture des formations n’offrant pas suffisamment d’opportunités d’emploi ou de poursuite d’études, mais sur la construction d’un nouveau modèle de gouvernance qui permette au fil de l’eau et durablement de connecter en permanence la carte de formations avec les secteurs d’activité les plus prometteurs« . Et pour cela, la région est la mieux placée. Elle demande donc « la fin de la double tutelle Etat/Région des lycées professionnels« . Concrètement, cela voudrait dire que les personnels de l’éducation deviendraient personnels régionaux (sur le modèle des TOS en 2004), que la carte des formations dépendrait de la seule région et que les lycées professionnels sortiraient du code de l’éducation. V Pécresse revendique l’autonomie pour le recrutement des enseignants, celui-ci étant effectué par les chefs d’établissement, une totale liberté pédagogique y compris pour l’organisation des enseignements et l’accompagnement des élèves.
Des écoles primaires « libres » payées par l’Etat
Valérie Pécresse n’ose pas s’attaquer aux départements et aux collèges. Mais elle attaque frontalement les maires en demandant la création d’écoles primaires autonomes sous contrat. Ce point était dans son programme des présidentielles et il est aussi inclus dans le projet de loi Brisson sur l’Ecole, récemment adopté au Sénat. Le projet régional copie le modèle des charter schools anglo-saxonnes pour proposer des écoles primaires financées par l’Etat mais ayant une totale liberté pédagogique. Cela va plus loin que les écoles primaires privées sous contrat actuelles puisque ces écoles auraient une large autonomie pédagogique, y compris le choix des élèves, celui des enseignants, l’organisation pédagogique, les horaires et les programmes. Pour V Pécresse, « la concurrence des méthodes et la liberté d’expérimenter des pédagogies et des contenus d’enseignement différenciés peut être un outil de redressement de notre système éducatif« . Son projet rappelle l’exemple des écoles scandinaves qui ont pourtant remarquablement échoué en Suède. Le modèle n’a d’ailleurs pas plus réussi en Angleterre.
En finir avec les professeurs des lycées
V Pécresse attaque aussi , mais moins frontalement, les lycées techniques et généraux. Elle demande le droit de recruter des « professeurs associés ». Là aussi, elle s’appuie sur l’insistance mise par E Macron dans sa réforme du lycée professionnel pour faire entrer des professeurs non-éducation nationale dans les L.P. Dans des termes proches d’E Macron, la présidente de la région IDF estime que « l’ouverture du corps enseignant à la société civile et à des profils souhaitant s’engager professionnellement dans l’Education nationale sur un temps plus court durant leur carrière peut être un remède à la crise des vocations, et peut contribuer à élargir le vivier d’enseignants potentiels« . La région recruterait « des citoyens émérites » pour faire un métier qui, semble-t-il, ne demande aucune compétence particulière… Les chefs d’établissement seraient chargés de recruter les professeurs associés.
Plus frontalement, V Pécresse demande que la région puisse fixer la composition des conseils d’administration des lycées généraux et technologiques (c’est déjà prévu pour les LP). « Le Conseil régional serait libre de définir un mode de gouvernance, éventuellement différencié en fonction des lycées : cette concurrence permettrait de faire émerger des solutions innovantes« , écrit la région. Il serait surtout débarrassé d’une instance où le personnel est représenté et d’un fonctionnement démocratique des lycées.
La majorité régionale demande aussi la suppression de l’Onisep, déjà fortement réduit par E Macron et JM Blanquer, et la mise sous tutelle régionale de la médecine scolaire.
Un texte accepté sous condition par les macronistes
Tout cela fait beaucoup. La plus grande partie de ce « choc de décentralisation » suppose le vote de lois spécifiques autorisant la délégation soit au titre de la loi 3DS, soit en fonction du droit d’expérimentation inscrit dans la constitution et élargi par la loi 3DS. L’Etat a l’obligation de répondre dans un délai d’un an à cette saisine régionale.
L’opposition régionale a dénoncé ce texte. PS et écologistes se disent « très clairement opposés à la régionalisation de l’enseignement primaire et des lycées (qui)… constituerait une rupture grave dans l’égalité de l’enseignement« . Le groupe LFI régional dénonce un projet qui « ouvre la porte d’une République démembrée où l’égalité de l’accès aux droits des citoyen.nes sera à géométrie variable » et « la mise en concurrence effrénée des territoires« .
Mais il y a une autre opposition régionale qui semble hésiter. Il s’agit des conseillers régionaux de la majorité présidentielle. « Nous sommes pleinement favorables à un examen au cas par cas des propositions de décentralisation qui pourront être faites« , écrit Aurélie Taquillain, présidente du groupe régional de la Majorité présidentielle, « dès lors que le cadre juridique sera suffisamment stabilisé pour l’envisager sérieusement« .
Vers une alliance droite – macronistes sur l’Ecole ?
C’est que dans ce projet, « on retrouve la logique de l’Ecole du futur de Macron« , comme le remarque la CGT Education. Toute la force de ce projet c’est qu’il vient de très loin. Il réutilise les argumentaires et les idées d’Emmanuel Macron. Ce dernier a largement vanté la nécessité d’adapter localement l’Education nationale. C’est la logique du Pacte qui d’une part réduit à un strict minimum le cadre d’enseignement offert aux élèves et d’autre part offre à la hiérarchie locale des moyens de contrôle efficaces des enseignants puisque leur paye dépendra non plus du statut mais de leur bon vouloir. La mise en concurrence est aussi clairement à l’œuvre dans le Pacte.
Le projet régional francilien s’appuie aussi sur le projet de loi sur l’Ecole déposé par le sénateur Les Républicains Max Brisson qui a été adopté par le Sénat en avril 2023. Il prévoit des établissements publics autonomes sur le modèle des charters schools avec des enseignants sous contrat local.
Mais ce projet s’appuie aussi sur plusieurs rapports de la Cour des Comptes. Dans un rapport de juillet 2023, intitulé « Privilégier l’approche territoriale et l’autonomie dans la gestion des dépenses d’éducation », la Cour demande une territorialisation de l’éducation. Là dessus la Cour se fait de plus en plus pressante : 3 rapports en 2023, 4 depuis 2022.
On voit ainsi se dessiner la convergence d’une vision commune sur l’Ecole. Elle introduit en France les idées du New Public Management avec l’introduction d’une gestion privée de l’enseignement et une redéfinition totale du métier enseignant aussi bien dans sa durée (d’un métier à vie à un job de passage) que dans sa conception (d’un libre artisanat éducatif à un travail d’application rémunéré à la tâche). Peu importe que là où il est appliqué le New Public Management n’ait pas fait progresser les élèves. Il a permis aux populistes de se maintenir au pouvoir et aux plus fortunés de payer moins d’impôts.
Avec deux décennies de retard, nous arrivons en France au moment de rupture. Jules Ferry est dénoncé par les « libéraux » comme « wokiste ». Ils s’en prennent maintenant à l’idée même d’une éducation nationale. Pour l’Ecole et les enseignants, c’est l’heure de l’hallali.
François Jarraud
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