Dans une nouvelle « Note d’enjeux », l’Institut Montaigne affiche des objectifs pour « refonder » l’Ecole : des enseignants dont l’affectation dépendra de leur « efficacité », des inspecteurs imposant leur démarche pédagogique aux enseignants, le tri des élèves orientés vers des collèges différents, une gestion des personnels par les cadres locaux. Cette vision de l’Eole n’est pas soutenue que par 200 grandes entreprises françaises et étrangères. Elle est aussi proche du pouvoir aussi bien à l’Elysée que rue de Grenelle.
Piloter par la preuve
« Notre pays a fait des choix à rebours des enseignements communément reconnus par la recherche » estime l’Institut Montaigne dans une nouvelle « Note d’enjeux » signée par Baptiste Larseneur, un ancien cadre UMP, diplômé en droit privé, présenté comme un expert éducation par l’Institut Montaigne. N’y voyez aucune critique du quinquennat Macron : l’Institut valide la politique menée sous le premier quinquennat et les mesures annoncées par G Attal. Le rapport prétend parler au nom de la science. Il défend une politique qui serait validée par la recherche scientifique, celle des « données probantes ». Parmi d’autres, Hugues Draelants a pourtant montré les limites de ce raisonnement qui se prétend scientifique.
En finir avec la liberté pédagogique
Pour les enseignants, le rapport fustige la liberté pédagogique et le « pédagogisme ». « Aujourd’hui, l’idéologie prend souvent le pas contre les enseignements de la recherche. Elle dicte ainsi le remplacement de tous les processus d’enseignement traditionnel qui ont fait leur preuve dans le passé et dans d’autres pays, par des « processus inductifs tâtonnés » à partir de l’expérience des élèves − le fameux « pédagogisme ». Ce pédagogisme semble aujourd’hui à l’origine de la grande détresse de l’apprentissage des élèves et des enseignants eux-mêmes« , écrit B Larseneur. « Une majorité d’enseignants pratique une pédagogie constructiviste sans nécessairement avoir conscience qu’elle contribue à redoubler les difficultés d’apprentissage des élèves« .
Il faut donc en finir avec la liberté pédagogique. » Celle-ci permet aux professeurs de choisir les méthodes pédagogiques et exercices qu’ils souhaitent pour s’adapter à la diversité et aux profils de leurs élèves. De facto, les inspecteurs n’étant plus prescripteurs des bonnes pratiques pédagogiques à mettre en œuvre, leur rôle s’avère d’autant plus limité. Une réflexion sur le rôle des inspecteurs, non plus tant dans leur rôle administratif mais en tant que véritable tuteur des enseignants par le partage des meilleures pratiques pédagogiques et un accompagnement personnalisé paraît donc nécessaire« .
Piloter les carrières enseignantes par les évaluations
Mais c’est aussi leur carrière qu’il faut revoir. « Ceux-ci ne sont ni récompensés, ni sanctionnés pour leurs performances« , déplore le rapport. Mais comment établir ces performances ? Grâce aux évaluations nationales. « Performance, plus-value scolaire, évaluation sont des mots tabous« , regrette l’Institut. « Le système d’évaluations nationales introduites durant les premières années de scolarisation pourrait offrir le support nécessaire à une affectation plus adéquate des enseignants eu égard aux besoins des élèves. C’est dans cette logique que les évaluations nationales pourraient prendre tout leur sens. Car il est techniquement possible, à partir d’elles, de mesurer la valeur ajoutée de tel ou tel paramètre de scolarisation« . C’est d’ailleurs dans cet esprit que les évaluations nationales ont été mises en place sous Sarkozy comme l’avait révélé un article de la Depp.
Avec des évaluations nationales déclinées d’année en année (et on y est presque !) on peut mesurer « scientifiquement » la plus value apportée par chaque enseignant dans chaque niveau. « Donner leur pleine mesure aux évaluations nationales supposerait donc qu’elles soient utilisées pour permettre une affectation plus adéquate des enseignants« , affirme le rapport.
La même règle s’appliquerait aussi aux cadres qui sont responsables de la plus value globale des écoles et établissements. « Cette plus-value scolaire s’entend comme la capacité des structures à faire progresser les élèves dans leurs acquis. En recoupant les résultats des évaluations des établissements avec les indices de positionnement social (IPS) des élèves de chaque école, il est possible d’établir la plus value pédagogique d’une école ou d’un établissement. Et cette mise en valeur de la plus-value de certaines écoles doit permettre tout à la fois de mieux détecter les bonnes pratiques, de mieux valoriser et récompenser ceux qui contribuent au succès de leurs élèves« .
Le rapport veut aussi « redynamiser » la carrière des enseignants en en finissant avec « le mythe d’un mode unique de recrutement » , c’est à dire le concours. « La voie contractuelle pourrait permettre d’attirer un vivier d’enseignants supplémentaires« . Elle permet aussi de ne pas revaloriser les salaires… La détention du master est jugée source de difficultés particulièrement pour le premier degré. On voit poindre aussi une formation particulière pour le premier degré et son dételage avec les carrières du 2de degré.
En finir avec le collège unique
L’autre axe du rapport concerne le collège unique. Fortement décrié, le rapport envisage sa suppression. « Eu égard aux difficultés inhérentes induites par le collège unique, une réorganisation systémique devrait a minima reposer sur trois piliers » dont « la diversification des parcours, afin de mieux répondre aux besoins et aux capacités des élèves à partir d’enseignements plus approfondis et plus opérationnels ; la personnalisation des parcours« . On aurait donc un tri à l’entrée en CP avec des affectations dans des collèges différents. Une politique supprimée depuis plus d’un demi-siècle ! Le troisième pilier consiste à affecter des professeurs des écoles en collège sous prétexte d’atténuer la rupture. Par exemple dans les structures qui accueilleraient des élèves faibles…
Les recettes du New Public Management
Rien de neuf dans cette prétention. L’Institut Montaigne porte en France le discours des adeptes du New Public Management. Une idéologie qui n’a pas fait ses preuves en termes de résultats. Mais qui permet , en alignant des argumentations simplistes, de tromper l’opinion publique et de réaliser une sérieuse baisse de la dépense publique.
L’Institut Montaigne est financé par des grandes entreprises comme Amazon, Bolloré, Bouygues, Google, Microsoft, Dassault, Orange, Total, des entreprises de l’enseignement privé (Ionis, Kedge) et aussi la Maif.
Mais l’intérêt de ce rapport c’est la proximité de l’Institut Montaigne avec le gouvernement. C’est sur les conseils de son directeur d’alors, Laurent Bigorne, qu’Emmanuel Macron a nommé ministre de l’éducation JM Blanquer. Sa conseillère spéciale, Fanny Anor, venait de l’Institut. Aujourd’hui elle dirige le cabinet de Gabriel Attal.
François Jarraud
La politique des preuves en éducation
L’école du futur et le nouveau management public
L’échec du nouveau management public