Le plaisir de lire passerait-il par la créativité et le partage ? Enseignante de français à Courçon en Charente-Maritime, Stéphanie Tardy a choisi de donner à ses 6èmes le gout de L’Odyssée en les invitant à préparer, habiller et enregistrer des dialogues inspirés de l’épopée d’Homère. Pour les élèves, la réalisation des podcasts s’avère particulièrement stimulante : ils « ont conscience qu’ils seront écoutés au-delà du moment et du cadre de la classe » ; ils « se sentent véritablement acteurs du projet et déploient des trésors d’énergie pour le mener à bien » : quand ils sortent ainsi des sentiers battus, « ils expriment le meilleur d’eux-mêmes ». Et l’enseignante juge le projet « fabuleux » : « allier plaisir et efficacité pédagogique donne le sentiment de la mission accomplie ! »
Vous avez amené vos 6èmes à produire des podcasts inspirés d’adaptations BD de l’Odyssée : quelles ont été les bandes dessinées supports de l’activité ? pourquoi le choix de partir de bandes dessinées ?
Pour réaliser ce travail, j’ai utilisé la bande dessinée « La colère de Poséidon » issue de la collection « La sagesse des mythes » de Luc Ferry des éditions Glénat. Choisir le format de bandes dessinées m’a paru pertinent pour éclairer différemment l’œuvre étudiée en classe. Ainsi, les élèves ont pu confronter leur propre vision de l’œuvre à celle proposée par la BD. Par ailleurs, la bande dessinée a rendu plus accessible le texte d’Homère qui peut être perçu comme relativement hermétique par certains élèves. Pour ceux-là, l’accès au sens a pu être facilité. Enfin, travailler à partir de la bande dessinée a offert une formidable opportunité de faire écrire les élèves. En effet, les cases comportant des dessins sans texte ont du être mises en mots pour être comprises de nos auditeurs ! L’occasion rêvée de donner une véritable raison d’être à l’écriture !
On imagine un minutieux travail préparatoire : quelles ont été les étapes et modalités de travail ?
En effet, le travail préparatoire doit minutieux. C’est du sur-mesure ! Pour ce faire, j’ai d’abord choisi les épisodes de l’œuvre qui seraient présentés dans le Podcast. J’ai ensuite constitué des groupes d’élèves (4 élèves maximum par groupe) et attribué à chaque groupe des planches de BD sur lesquelles il devrait travailler. Le nombre de planches attribué est modulable en fonction du niveau de compétences des élèves au sein des groupes. J’ai également constitué un groupe de « présentateurs » chargé d’introduire et de conclure chaque épisode du Podcast. Pour cela, deux ou trois élèves suffisent.
Pour faciliter l’autonomie des élèves, l’utilisation d’une feuille de route est pertinente. Elle permet à chaque groupe d’avoir une vision claire et complète des différentes étapes à effectuer. Elle facilite également la répartition des tâches au sein du groupe : attribution des rôles (personnages et narrateur), mise en récit des cases sans texte, rédaction d’un titre et résumé de l’épisode (qui sera utilisé pour introduire l’épisode suivant), choix des bruitages…
Comment est réalisé, puis diffusé l’enregistrement du podcast lui-même ?
Le travail préparatoire effectué, vient le moment de l’enregistrement du Podcast. Pour cela, la création d’un mur collaboratif a constitué une aide précieuse. Chaque groupe y a déposé son travail et y a eu directement accès lors de l’enregistrement. Ce mur m’a également permis de voir l’avancée des réalisations. Efficacité redoutable !
L’enregistrement du Podcast se fait « en direct ». Chaque groupe suit le déroulé de son épisode sur le mur collaboratif. Les élèves ont disposé de l’ordinateur de la salle de classe pour « lancer » les bruitages et le générique des épisodes ainsi que d’une tablette pour enregistrer leur prestation. Chaque groupe enregistre son épisode en une seule prise devant la classe. Cela présente un double intérêt : dévoiler le contenu de chaque épisode à l’ensemble de la classe et ne pas perdre de temps lors de l’enregistrement.
Les différents épisodes ainsi enregistrés sont présentés aux auditeurs sous forme de fichiers audio dans l’ENT.
Quelle vous semble la « plus-value » d’une écriture radiophonique par rapport à une simple lecture à voix haute ?
L’enjeu ! Les élèves ont conscience qu’ils seront écoutés au-delà du moment et du cadre de la classe. Cela constitue pour eux une certaine pression et déclenche une volonté de très bien faire ! Lors d’une lecture à haute voix, les élèves n’ont pas toujours l’exigence de bien comprendre le texte. Lors de cette activité, j’ai été surprise de constater combien il était important pour eux d’en saisir pleinement le sens ! Il y a un véritable questionnement des élèves autour de l’oeuvre, quel bonheur ! Cette réflexion sur le sens de l’oeuvre est liée à la volonté des élèves de proposer la meilleure interprétation possible du texte qu’ils enregistreront. Il est impressionnant de voir le soin qu’ils apportent à la lecture lors des phases de « répétitions » en amont du grand moment : l’enregistrement du Podcast !
Au final, quels vous semblent les plaisirs et intérêts d’une telle activité pour les élèves ?
Les élèves se sont très vite emparés du projet. Ils ont apprécié d’avoir un éclairage nouveau sur l’oeuvre que nous avions étudiée en classe de manière plus conventionnelle. L’optique de diffuser le travail accompli a largement motivé les troupes. Le fait aussi que les élèves élaborent eux-mêmes des stratégies pour réaliser les différentes tâches le plus efficacement possible a été un élément moteur. Ils ont adoré se sentir véritablement acteurs du projet et ont déployé des trésors d’énergie pour le mener à bien. Les élèves ont besoin de sortir des sentiers battus et il me semble qu’en ces moments-là, ils expriment le meilleur d’eux-mêmes.
Et quelles satisfactions pour l’enseignante ?
Voir l’enthousiasme, l’implication et parfois même la grande créativité des élèves a été absolument génial ! La création d’un Podcast, si motivante pour les élèves, m’a permis de mettre en oeuvre des compétences nombreuses et variées : coopération, autonomie, lecture, écriture, contextualisation, utilisation d’outils numériques, expression orale devant un « public » … D’autre part, ce projet permet de mettre en place de l’individualisation, ainsi chaque élève apporte à sa mesure une pierre à l’édifice. Allier plaisir et efficacité pédagogique donne le sentiment de la mission accomplie ! Fabuleux !
Le dispositif vous semble-t-il transférable sur d’autres œuvres ou dans d’autres domaines ?
Nous pouvons bien entendu utiliser ce dispositif pour étudier d’autres œuvres ! Etant donné le succès qu’il a rencontré, je n’hésiterai pas une seconde à renouveler l’aventure !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Stéphanie Tardy dans Le Café pédagogique