SES, comment changer d’ère ? Si Benoît Guyon, co-président de l’association des professeurs de SES (APSES), applaudit au report des épreuves de spécialités en juin, la réforme Blanquer pèse encore lourd sur cette discipline fort prisée des élèves. L’APSES, reçue cet été à l’Elysée, dénonce l’entrisme du patronat à l’Education nationale et son influence sur les programmes des élèves et la formation des professeurs.
Vous avez été reçu cet été par Anne Laude, conseillère éducation du président de la République. Pourquoi frapper à la porte de l’Elysée et pas à celle de la rue de Grenelle ?
Depuis la mise en place de la réforme du lycée, on a souvent passé la porte de la rue de Grenelle. On ne nous a pas écouté et on n’a pas pris en compte nos remarques, d’ailleurs partagées avec de nombreuses associations d’enseignants de toutes disciplines. Elles portent par exemple sur l’absurdité des épreuves du bac en mars ou sur la regrettable disparition du groupe classe. On a toujours eu des fins de recevoir au ministère. On a donc choisi une autre voie pour faire entendre raison.
Dans cet échange il y avait le calendrier du bac. Etes-vous satisfait du report des épreuves ? Savez-vous comment elles vont être organisées ?
Il faut être clair : le report des épreuves de spécialités en juin est un pas dans la bonne direction. On a constaté que les épreuves en mars, comme l’a institué JM Blanquer, ça ne marche pas. D’une part ce calendrier met en difficulté les élèves. De l’autre, les notes données aux élèves étaient peu solides car les élèves manquaient de préparation. Elles ne prédisaient pas la réussite dans le supérieur. Remettre les épreuves en juin est un premier pas, positif, dans la réforme de la réforme.
Mais ça ne suffit pas. On demande aussi une réduction des programmes qui sont vraiment trop volumineux. Il faut aussi mettre fin à une autre absurdité : celle qui fait que deux élèves du même groupe n’aient pas le même sujet. On demande que le report des épreuves permette d’avoir un seul sujet national sur une seule même journée.
Souhaitez-vous d’autres améliorations de la réforme du lycée ?
On a constaté que le Grand Oral est peu formateur. Il ne fait que valider des inégalités sociales liées à la prise de parole. Sans véritable horaire dédié à sa préparation, sans réécriture du format de l’épreuve on craint qu’il ne permette pas de répondre à l’objectif de former les élèves aux compétences orales en mobilisant une argumentation basée sur des savoirs disciplinaires. Nous demandons que l’épreuve soit repensée pour devenir vraiment formatrice. Pour nous les compétences orales sont très importantes et il appartient bien à l’Ecole d’y former les élèves.
Je dois aussi évoquer l’horaire de seconde. Les élèves ne disposent que d’une heure et demi de SES, l’horaire le plus faible du tronc commun. Cela alors que les SES sont une des spécialités les plus choisies en première et que les élèves qui ne prennent pas cette spécialité n’auront pas d’autre contact avec nos disciplines.
Vous avez dénoncé l’entrisme des entreprises dans l’Education nationale. N’est ce pas un paradoxe pour un enseignement de l’économie ?
Pas du tout. Nous sommes attachés au pluralisme des idées et à une forme de neutralité de l’enseignement. On ne présente pas de dogmes en classe mais des théories fondées scientifiquement mais qui s’appuient sur des hypothèses. Les SES visent aussi à développer l’esprit critique. Le problème du partenariat de l’Education nationale avec l’Institut de l’entreprise, le lobby des 120 plus grandes entreprises, c’est qu’il sert parfois de relais à la communication de ces groupes. Par exemple certaines fiches proposées valorisent le rôle de Total dans la transition écologique. Nous portons un enseignement qui présente plusieurs points de vue. Et là nous sommes face à un lobby qui sous couvert d’activités pédagogiques relaie des contenus très orientés.
Dans nos cours de SES, nous traitons de l’entreprise et on veut continuer à le faire. Mais en permettant aux élèves d’en appréhender les aspects économiques, sociaux et politiques. Et pas seulement un seul aspect.
Les SES sont probablement la discipline la plus réformée ces dernières années par les politiques avec l’histoire et l’EMC. Craignez-vous de nouvelles évolutions et pourquoi cet acharnement ?
Les SES peuvent subir les pressions des milieux patronaux. Ce fut le cas début 2000 lorsque le lobby patronal a essayé de façonner les contenus d’enseignement à son goût. C’est au ministère de résister à ces pressions et d’en protéger les élèves. Il doit élaborer des contenus plus neutres qui permettent aux élèves de participer aux débats contemporains. Nous avons vu une dérive dans les programmes de 2019 et on souhaite une réforme de ces programmes qui les rendent plus ouverts à la confrontation des idées. Nos programmes visaient à préparer l’élève à l’exercice de son esprit critique et à développer une argumentation. Les programmes de 2019 et les épreuves actuelles au bac visent d’abord la restitution pure de connaissances. Il y a là une contradiction avec les pratiques et les principes fondateurs des SES.
Quels projets pour l’Apses cette année ?
Nous préparons notre stage national de fin janvier qui traitera « des espaces ». Il mêlera des savoirs pluralistes en économie, sociologie, science politique et venus d’autres sciences sociales. On est d’autant plus attaché à ce stage national qu’on voit la réduction de la formation continue des académies. Diminuer la formation continue c’est aussi laisser plus de prise à des lobbys comme l’Institut de l’entreprise, Melchior ou le Medef qui proposent des formations aux enseignants.
Propos recueillis par François Jarraud