Lors de son déplacement dans un lycée professionnel d’Orange dans le Vaucluse, Emmanuel Macron a annoncé vouloir réformer la formation des enseignants. Toujours dans une vision passéiste et nostalgique, le Président assume vouloir le retour des « bonnes vieilles écoles normales ». Autre déclaration du chef de l’État, la fermeture de 15% des filières du baccalauréat professionnel dès la prochaine rentrée.
« Nous avons besoin de changer complètement le système de recrutement des enseignants, c’est-à-dire de pouvoir le faire postbac » a déclaré le chef de l’État. Une annonce que l’on pourrait qualifier d’assez ironique. On se souvient que c’est sous Blanquer et donc son premier mandat que les concours de professorat sont passés à bac+5. Pour Emmanuel Macron, si les candidats boudent les concours, cela serait à cause du niveau de recrutement. Un recrutement qui créerait de la « frustration » car « certains de nos enseignants rentrent après un cursus universitaire qui est totalement disproportionné et parfois décorrélé de ce qu’ils vont faire ». Que les enseignants et enseignantes se le tiennent pour dit, avoir un cursus universitaire n’est pas forcément pertinent au regard des fonctions qui les attendent. Emmanuel Macron estime aussi qu’organiser un recrutement dès après le baccalauréat donnerait de la « visibilité à des bacheliers ».
Mais que signifie vraiment cette annonce ?
Recruter les enseignants en formation postbac laisse entendre la fin d’une formation universitaire pour aller vers une formation administrative. On peut s’interroger sur la valeur de celle-ci si l’enseignant souhaite se reconvertir ?
Recruter des enseignants au niveau bac, ne serait-ce pas aussi la possibilité d’avoir sous la main des personnels qui prendraient la classe pour palier au manque d’enseignants ? Des personnels qui devraient, dans le cadre de leur formation, effectuer des stages en responsabilité devant élèves, libérant les enseignants qui pourraient avoir – enfin – une formation continue (mais à quel prix…).
On pourrait aussi interpréter la sortie du président sur le trop haut niveau de qualification académique par une forme de reconnaissance qu’être payé si peu pour un tel niveau ne soit pas attractif et donc envisager des rémunérations moins importantes pour les futurs enseignants.
Et puis, on se sait pas vraiment si le Président parle de l’ensemble des professeurs ou s’il revient sur l’idée lancée par Pap Ndiaye – avec l’accord de l’Élysée et de l’hôtel Matignon avait-il indiqué – de ramener le recrutement des professeurs des écoles à bac+3 en 2025.
Autant de questions auxquelles le Président – et accessoirement le Ministre officiel de l’Éducation nationale, Gabriel Attal – devront répondre rapidement puisqu’Emmanuel Macron a affirmé avoir demandé que ce dispositif soit réfléchi dans les mois à venir afin qu’il puisse être « monté » et déployé au printemps.
Du côté des syndicats, on fulmine
« Déjà sur la méthode, ça ne va pas » déclare Guislaine David, co-secrétaire générale de la FSU-SNUipp. « Cela ne va pas être possible si le Président fait des déclarations toutes les semaines, où il dit je veux que. Quel sera l’objectif des concertations avec les organisation syndicales ? On se réunit juste pour mettre en œuvre ce que décide le Président ? Le dialogue social, c’est se poser et discuter. Il faut vraiment arrêter avec ces déclarations à l’emporte-pièce qui déstabilisent l’École et le monde enseignant ».
Sur le fond, Guislaine David s’étonne que le Président puisse avoir pour modèle les écoles normales qui fonctionnaient il y a trente ans, « depuis les élèves, la société, l’école a changé ». Elle craint aussi de restreindre le vivier de candidats, « les jeunes bacheliers qui sortent du lycée ne savent pas ce qu’ils veulent devenir généralement ».
« Il y a une volonté de recentrer sur les fondamentaux, de former les futurs enseignants en axant sur les maths et le français. C’est quoi le but ? avoir des enseignants formatés très jeunes ? » interroge aussi la porte-parole de la FSU-SNUipp. « Il faut faire un bilan des réformes de la formation parce que selon nos remontées, ce qui pèse sur les jeunes collègues, c’est l’alternance, la préparation au concours et Master 2, tout cela en même temps. Tant qu’on utilisera les étudiants en moyens d’enseignement, cela ne fonctionnera pas » selon elle.
« Le SE UNSA déplore cette nouvelle confirmation d’une vision plus que nostalgique, c’est à dire passéiste, de l’École et de la formation des enseignants. Comme si l’école normale qui correspondait aux besoins d’une École du 20ème siècle pouvait être transposée un siècle après et répondre aux enjeux de l’École d’aujourd’hui, aux besoins différents, complexifiés et diversifiés » nous dit Élisabeth Allan-Moreno, secrétaire générale du SE-Unsa qui regrette une nouvelle annonce sans concertation alors que « des discussions sur l’attractivité et la formation doivent débuter le mercredi 13 septembre ». « Des concertations avec le ministre celui même nommé pour décider et annoncer… » précise la responsable syndicale qui voit plusieurs difficulté à la mise en place d’un recrutement postbac dont elle interroge le sens. Est-ce pour rendre le métier plus attractif ? « Ce sont justement les multiples changements d’exigences pour devenir enseignant qui perdent, perturbent les jeunes qui éventuellement pourraient vouloir entrer dans le métier. Est-ce qu’une telle annonce est une priorité pour rendre le métier plus attractif ? Non, il y a une urgence à poursuivre l’amélioration de la rémunération toujours insuffisante et les conditions de travail dégradées dont la mobilité géographique !».
Et puis, le SE-Unsa interroge le message derrière un retour à une formation postbac « Il en faudrait peu pour enseigner ? ». « Pourtant le bagage universitaire commun à tous les enseignants est indispensable, il doit rester en alternance avec une découverte du métier où la responsabilité de classe est progressive et analysée » explique Élisabeth Allan-Moreno. Et quant aux moyens, le syndicat doute de la capacité de l’institution à mettre en œuvre cette énième réforme, « formateurs, inspecteurs, conseillers pédagogiques … , sont déjà en déficit important ». « Bref toujours des nouvelles annonces sans fin et sans fond. En une veille de rentrée où chacun a autre chose à travailler et surtout veut de la sérénité ! » s’exaspère-t-elle.
Au SNES-FSU, on ne pense pas du bien non plus de cette nouvelle annonce. « Emmanuel Macron fantasme un passé mythifié et reste coincé au 19ème siècle en recyclant les souvenirs des Écoles normales sans même prendre le temps de faire le bilan des dernières réformes qu’il a lui-même portées ! » nous déclare Sophie Vénétitay, secrétaire générale. « En réalité, Emmanuel Macron réussit le tour de force de proposer une solution qui pourrait aggraver la crise de recrutement ». Selon la responsable syndicale, « baisser le niveau de recrutement, cela pourrait vouloir dire être moins payé – puisque moins qualifié, et entraîner une perte de prestige et d’attractivité ». Et quant au fait qu’être trop diplômé créerait de la frustration chez les enseignants et enseignantes, « il est indispensable d’avoir une formation de haut niveau pour maîtriser les savoirs et les connaissances qu’on transmet aux élèves, c’est aussi source de crédibilité. Le problème de la crise de recrutement ce n’est pas qu’on sait trop de choses parce qu’on est recruté à bac+5, mais ce sont les salaires et les conditions de travail » argue-t-elle. Elle s’interroge aussi sur la pertinence d’un « cursus très tôt, peut-être trop tôt ». « De manière plus générale, le discours du moment avec Guérini qui insiste sur la formation autour des compétences est assez inquiétant pour le statut… » alerte Sophie Vénétitay.
15% des filières professionnelles disparaitront à la prochaine rentrée
Lors de son déplacement dans ce lycée d’Orange, le chef de l’État a aussi confirmé que plusieurs filières du lycée professionnel seraient fermées à la rentrée. 15% a-t-il déclaré. C’est une énième attaque contre le lycée professionnel pour le SNU.EP-FSU. « Les filières du tertiaire administratif et commercial sont les premières cibles des fermetures annoncées et sans même attendre le prétendu outil de diagnostic ORION le chiffrage est déjà calé : 15% fermeront à la rentrée » dénonce Sigrid Gérardin, co-secrétaire générale du syndicat. « Pour Emmanuel Macron, l’avenir des personnels et des élèves qui n’auront plus accès au bac pro vente commerce accueil et Gestion Administration, c’est Hôtellerie restauration, le soin à la personnel et le tourisme. Pour rappel, le baccalauréat tourisme n’existe même pas ! ». Autre point de mécontentement, la situation des enseignants des filières vouées à disparaître. « Les collègues victimes de ces fermetures seront donc forcées de se reconvertir dans des secteurs d’activité qui leur sont inconnus ou de démissionner. Peut-être est-ce ou but recherche par le président dans une période où la pénurie s’aggrave de manière alarmante ? » se demande la responsable syndicale.
Pour les élèves qui se destinaient à ces filières, concrètement, cela signifie que faute de formation publique en lycée professionnel, « ils se dirigeront vers les CFA donc vers l’apprentissage. Une belle opportunité pour toutes les officines privées qui ouvrent et qui peinent à trouver des clients (comme le CFA mac do). En réalité la réforme permet de couper le robinet du public pour alimenter l’apprentissage » explique Sigrid Géaradin. «Ils peuvent aussi finir par concéder de s’orienter vers des formations proposées, telles que l’accompagnement, le service et le soin à la personne. Mais c’est méconnaître les parcours scolaires et professionnels des jeunes ou une duperie de plus. Une fois le bac en poche ils chercheront un emploi dans un autre secteur ». « Ces politiques adequationistes ne fonctionnent pas ! » tempête-t-elle « Ça fait 20 ans que les régions s enferrent dans l’adequationisme renforcé. Résultat, on est passé de 300 000 emplois non pourvus à plus d’un million ».
Dès qu’Emmanuel Macron prend la parole sur l’Éducation, il crispe le monde enseignant. Peut-être devrait-il laisser le sujet de l’École à son Ministre qu’il a nommé il y a à peine quelques semaines.
Lilia Ben Hamouda