Depuis qu’Emmanuel Macron a inscrit l’éducation dans son « domaine réservé », il y a deux voix pour l’Ecole. Une qui appelle à « l’ordre , l’ordre, l’ordre ». Et un ministre qui tente de traduire « en même temps » ces glissements en termes acceptables pour les enseignants. Gabriel Attal montre le 28 août qu’il connait ses dossiers. Il réussit à rendre les orientations présidentielles audibles. Parmi les points encore flous : les abayas et la formation des enseignants hors temps scolaire.
Flou sur les remplacements
« C’est avec bon sens et sans idéologie que je veux bâtir l’école de demain« . Gabriel Attal, Carole Grandjean et Prisca Thévenot présentent le 28 août les points forts de la rentrée. Le nouveau ministre appelle à « reconstruire l’Ecole« , comme si une nouvelle majorité était aux affaires. A la différence de son principal prédécesseur, il ponctue aussi son discours d’appels au dialogue social.
La grande affaire de la rentrée est bien sur le Pacte avec notamment les remplacements de courte durée dans le second degré. « Je ne fais pas de pronostic sur le Pacte » prévient G Attal qui reconnait « qu’il va falloir convaincre« . Pour le ministre, « on doit au maximum éviter que les heures de formation ou de réunion pédagogique soient sur les heures de cours » ce qui veut dire « positionner le maximum de formations et réunions hors temps de cours« . G Attal veut que à la rentrée 2024 « aucun élève ne soit privé de cours pour ces raisons« . 100% de la formation continue devra avoir lieu hors temps devant élèves, dit-il. Mais le ministre est moins précis quand on l’interroge sur la façon dont il compte s’y prendre. Il annonce « des formations sécables en modules pouvant être faits sur site ou à distance ». En fait, G Attal suit une demande d’E Macron. Mais, si la loi Blanquer a bien prévu les formations hors temps scolaires et si un décret prévoit l’indemnisation des enseignants en ce cas, selon un récent rapport sénatorial seulement 2261 enseignants (dont 652 du second degré) en ont bénéficié en 2021-2022. C’est dire que « les réticences » des enseignants risquent d’être grandes. Et on ne sait pas si le ministère a un budget suffisant pour une généralisation.
Pas convaincant sur les abayas
Même flou sur l’interdiction des abayas. Cette fois, le ministre répond à une demande des chefs d’établissement. « L’abaya n’a pas sa place dans l’école pas plus que les signes religieux« , dit G Attal. « L’Ecole doit être protégée du prosélytisme religieux et du communautarisme ». Le ministre précise que « l’école de la République accueille tout el monde sans stigmatisation » et « qu’il ne fera jamais de ce sujet un objet de conflit. Ma conviction absolue c’est que dans l’écrasante majorité des cas les choses se régleront par le dialogue. Les chefs d’établissement savent faire cela« .
Au delà de ces déclarations, on entre dans le flou. Le ministre va « outiller » les chefs d’établissement qui recevront la précédente circulaire, une note de service et une lettre du ministre qui pourra être adressée aux familles. C’est que la décision présidentielle se heurte à la loi de 2004. Il faudrait pouvoir définir l’abaya précisément. Et le ministre lui même parle de communautarisme pas de prosélytisme. Or la loi de 2004 interdit « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit » et rappelle « que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève« . Autrement dit, les chefs d’établissement devront continuer à dialoguer avec chaque élève pour prouver, ou pas, la volonté de prosélytisme religieux.
Dans la foulée, le ministre confirme la refonte des programmes d’EMC car « après les émeutes le rapprochement des jeunes avec les institutions est vital pour la République« . Cette refonte, qui mettra au premier plan la très traditionnelle découverte des institutions, a été annoncée par E Borne en juin.
La revalorisation déjà terminée…
Autre point fort, la revalorisation des enseignants. Revalorisation financière « inédite » selon le ministre qui répète que chaque enseignant percevra en septembre entre 125 et 250€ net de plus chaque mois. En fait dans cette somme, le ministère compte la revalorisation du point fonction publique et d’autres avantages comme la prise en compte des abonnements domicile travail. On reste loin des 10% promis. Le gouvernement invite les enseignants à s’inscrire au Pacte pour gagner plus. Or les professeurs travaillent déjà beaucoup. Et l’expérience des heures supplémentaires montre que ces heures en plus augmentent les inégalités entre les corps et entre les genres. Le Pacte est un instrument de division. C’est aussi une très bonne affaire pour le ministère. G Attal n’entend pas aller plus loin sur la revalorisation financière. Il préfère parler de revaloriser l’autorité du professeur. « J’assume de dire que la relation entre professeur et élève n’est pas une relation d’égal à égal car il y a celui qui sait. Celui qui apprend doit respecter l’autorité de celui sui sait« , dit le ministre. Une formule qui ne coûte pas cher…
Les annonces par niveau
Pour G Attal, tous les niveaux scolaires vivront des transformations à cette rentrée. En maternelle, c’est le plafonnement de toutes les GS à 24 élèves et la poursuite des dédoublements en éducation prioritaire. Le ministre lance un « plan maternelle » annoncé par son prédécesseur qui concernera tous les enseignants de maternelle d’ici 2027.
En élémentaire, ce sont les Cp et Ce1 qui seront plafonnés à 24 élèves. Le ministre annonce 2 heures de lecture par jour et un travail d’écriture par semaine en Cm2. Des référentiels annuels publiés en 2018 ont déjà largement alimenté l’obsessions, renouvelée par G Attal, envers les fondamentaux. Rappelons que l’école élémentaire française est la championne européenne des heures consacrées au français et aux maths. Les stages de réussite, organisés durant les vacances, seront généralisés. Du moins si le Pacte réussit…
Au collège, G Attal revient sur les changements en 6ème avec l’heure de soutien et la généralisation de Devoirs faits en 6ème. Là aussi cela dépendra de l’accueil du Pacte. Le ministre confirme l’introduction du Pass Culture en 6ème et 5ème. Cette mesure devrait faciliter les visites scolaires.
En lycée, la grande nouveauté c’est le retour à des épreuves en juin pour les épreuves de spécialité. « C’est le dialogue social qui m’a conduit à prendre cette décision« , dit G Attal. Les syndicats demandaient depuis des mois cette mesure. Pour le ministre, cela permettra la reconquête du 3ème trimestre pour les terminales mais aussi les secondes. Au Grand Oral les 5 minutes sur le projet d’orientation sont supprimées. En 1ère en français , le nombre de textes est ramené de 20 à 16 en enseignement général. Finalement le bac Blanquer n’aura fonctionné qu’une seule année avant d’être remis en question. Le ministre confirme le rétablissement des maths au tronc commun en 1ère générale. Leur suppression « fut une erreur« .
En lycée professionnel, C Grandjean a vanté sa réforme. Les lycéens percevront une gratification lors des stages dès cette rentrée. La ministre promet que chaque établissement disposera d’un Bureau des entreprises. Selon le Snuep Fsu, ce Bureau sera parfois partagé entre plusieurs établissements. La ministre annonce aussi des « spécialisations » à la place des « mentions complémentaires« . Cela concernerait 5000 jeunes cette année. Elle relance ainsi un vieux projet de formation bac +1 lancé par F Vidal. L’objectif reste l’insertion rapide et l’éloignement des bacheliers professionnels du vrai supérieur.
Le projet macronien en panne ?
Reste à évoquer l’Ecole du futur et le CNR voulu par E Macron. Pou G Attal c’est l’occasion pour le terrain d’innover. Mais il annonce 8400 projets déposés ce qui est mince pour 58 910 écoles et établissements. Mais le Sénat avait déjà dégonflé l’ambition présidentielle…
« J’appelle a l’union nationale autour de l’école« , lance G Attal. « Ma porte sera toujours ouverte à ceux qui veulent faire progresser la cause de l’Ecole« . Entre un président qui entend régir l’éducation nationale et des syndicats très sceptiques, il faut toute l’énergie d’un jeune ministre pour y croire.
François Jarraud