La ministre des solidarités et des familles vient d’annoncer la création d’un pass colo ouvert à toutes les familles gagnant moins de 4000€ et d’un montant de 200€ à 350€, uniquement pour les enfants de 10 à 11 ans. Les CAFs seront chargés de l’exécution. Ce pass-colo est une demande des gros organisateurs de colos depuis longtemps et cette idée est reprise dans la proposition de la NUPES sur le droit aux vacances. A priori, le pass-colo peut apparaitre comme une bonne idée. Mais cette création montre surtout que les organisateurs de colos font le choix d’une régulation du secteur par le marché, le choix d’un modèle touristique, alors que les colos sont un outil qui devrait être utilisé par des politiques publiques pour construire égalité, citoyenneté et émancipation.
Un pass-colo qui n’aidera pas les plus fragiles
Les colonies de vacances sont devenues au fil du temps un produit de consommation comme les autres. Une famille achète une colo sur site internet, via des interfaces qui mettent en valeur les activités, la qualité de l’hôtellerie ou les normes de sécurité. Tout est fait pour attirer le client : marketing, réseaux sociaux, produits dégriffés, soldes voire même ventes privées. Pour la grande majorité des situations familiales, les colos sont co-financées par des acteurs sociaux : mairies, CE, chèque-vacances ou CAF. Le client choisit, la famille paie une partie et le complément est versé à l’organisateur directement. La première question sur ce pass est de savoir s’il s’ajoute ou se substitue aux autres aides, pour le moment, la ministre n’a rien dit. Et donc quelle différence avec les aides existantes ? Et est-ce que ce pass simplifiera les aides existantes comme le demande le collectif camps colos ?
Une colo coute entre 500 et 2000€ la semaine. Ces prix permettent aux organisateurs de trier les enfants qui seront accueillis dans tels ou tels séjours. Les thèmes et activités permettront aussi de savoir qui vient dans une colo. Une colo musique/danse classique, n’accueillera pas les mêmes enfants qu’un séjour hip-hop. Si on ajoute les tranches d’âge et le non-accueil universel d’enfants en situation de handicap, les organisateurs peuvent tranquillement séparer les enfants et construire des séjours en non-mixités. Le pass changera-t-il cette situation ? Non, bien sûr. En faisant le choix, d’une somme d’argent donnée aux familles, le gouvernement et les organisateurs maintiennent le système en place régulé par le marché et donc créateur de discriminations.
Enfin, est-ce que 350€ permettra aux familles en situation de grande pauvreté d’envoyer leurs enfants en colos ? La réponse est là-aussi non. Ou au mieux du pire, le pass permettra à ces familles d’envoyer leurs enfants dans les colos bon marché. C’est-à-dire que les colos de riches resteront entre riches. Les 350€ permettront sans doute à un peu plus d’enfants de classe moyenne de partir en colo ou d’accéder aux colos de riches. Cette bascule renforce donc l’isolement des enfants issus de famille en grande pauvreté. Le pass ne règle pas la question de l’apprentissage au départ et à la séparation.
Un pass qui poursuit la logique libérale, celle qui tue les colos
La création du pass ne se traduit pas par une obligation faite aux organisateurs de changer des pratiques, les manières de faire colo. Aucune obligation de mixité, mais aussi aucun changement quant à ce que devraient être des colos payées en partie par l’état. Les nombreux incendies actuels en Europe, signe de l’urgence climatique, devraient alerter les organisateurs de colos. Des enfants ont été évacués de Rhodes ou de Grèce cette année, mais l’année dernière les enfants en colos ont souffert dans les Landes ou en Corse. A l’image de l’industrie touristique, qui est leur modèle, les organisateurs de colos maintiennent dans leur catalogue des séjours à fortes émissions de carbone pour familles favorisées, mais à forte rentabilité. En finançant ce type de colo, l’état contribue à détruire la planète et encourage des politiques de mises en danger des populations. L’argent des organisateurs avant la sécurité des enfants, des habitants locaux et de l’avenir commun.
L’état pourrait imposer des finalités aux colos contre un financement de 350€ puisqu’il impose une tranche d’âge : 10-11 ans. Sur ce sujet, hormis une logique budgétaire permettant de limiter les couts de la mesure, on ne sait pas pourquoi cet âge est choisi. L’état pourrait travailler avec les organisateurs pour construire des colos inclusives à l’accueil universel, des colos qui prendraient soin des enfants vulnérables et de la planète, des colos dont les formes de vie collectives permettraient de s’essayer et d’éprouver la démocratie, des colos safe permettant l’accueil de tous-tes, mais non. L’état fait le choix, comme pour tant d’autres secteurs économiques, d’une politique libérale et de soutien financier aux organisateurs sans leur demander quoi que soit en contrepartie, sans contrôle et surtout en n’écoutant que certains organisateurs regroupés dans deux organisations défendant leurs intérêts économiques. Le discours de ces organisateurs est bien rodé et s’appuie sur l’ambiguïté de l’affichage de mesures en faveur des familles alors qu’il s’agit de politiques publiques de soutien et de concentration du secteur économique. En associant deux mesures prises pendant cette période de vacances : pass-colo et augmentation substantielle du salaire minimum en colo, ce sont les acteurs industriels des colos touristiques qui ressortent renforcés de cette séquence. Ce sont leurs revendications qui sont entendues. Les associations locales, militantes et pédagogiques, les acteurs engagés dans des actions à destination de plus vulnérables ou de proximité ne sont ni entendus, ni associés. Le risque : leur disparition et la concentration du marché autour de quelques mastodontes économique, la fin des associations à vocation sociale remplacées par rien, la mort des acteurs associatifs militants sur les questions pédagogiques.
Mensonges ou cynisme
A l’image du label « colos apprenantes » qui différencie officiellement des colos de pauvres où il faut suivre des apprentissages imposés contre une aide et des colos de riches achetées chères où l’activité est choisie sur catalogue, le pass-colo se présente comme une aide pour les familles alors qu’il s’agit d’un soutien financier à tous les organisateurs quelqu’ils soient : associations ou sociétés, à finalités commerciales ou sociales. Il est facile de prédire qu’une telle mesure n’augmentera pas le nombre d’enfants pauvres dans les colos, par contre cette aide permettra aux gros producteurs de séjours de vacances d’augmenter leur tarif (en raison de l’inflation et du cout des salaires) et/ou leurs marges. L’enchainement des annonces sur les augmentations salariales puis le pass, n’est pas un hasard et montre le cynisme du gouvernement. Il sera intéressant d’étudier l’évolution de l’offre de colos en 2024 pour les enfants de 10-11 ans.
La politique publique des colos n’est construite que depuis le haut, dans une alliance entre technocratie administrative et les directions des acteurs économiquement importants, dans une structure dédiée (nommée comité de filière et récemment crée) et avec une logique de travail descendante. L’aide, l’action, la colo est pensée pour les personnes depuis une expertise éloignée de la réalité de la vie des plus fragiles, des plus vulnérables et sans eux. Être organisateur de colos, même associatif, ne garantie en rien de sa capacité à faire avec les personnes accueillies, de pouvoir parler en leur nom. Il y a là au pire un mensonge au mieux du cynisme.
Les colos telles qu’elles existent très majoritairement aujourd’hui, ne répondent pas à des finalités (égalité, citoyenneté, émancipation, etc.) pouvant justifier d’une politique publique financée massivement par l’état. Soit, elles sont maintenues telles qu’elles sont et le secteur doit devenir totalement marchant et touristique, avec ses normes et ses obligations salariales, son droit. Soit elles relèvent d’une politique publique et son modèle doit changer : finies les colos qui séparent les personnes, qui créent des violences éducatives ordinaires ou sexuelles et sexistes ou qui excluent les fragiles. Pour (re)faire des colos un bel et grand outil de politique publique en phase avec le monde et les jeunes, il faudrait alors réarticuler financements et finalités ambitieuses. Par exemple : prendre soin de Terre et des enfants, créer et faire vivre des mixités, accueillir des plus pauvres, apprendre in situ de la démocratie, vivre dans un espace safe, etc. A défaut, les deux secteurs existent, mais l’un est financé par l’état, les CAF, pas l’autre. A défaut de mixités, les plus vulnérables auraient au moins des séjours construit et animés avec eux.
Jean-Michel Bocquet