« On ouvre le chantier de l’amélioration de la formation des enseignants ». Le 24 juillet, Emmanuel Macron annonce que les enseignants seront formés « hors du temps de présence devant élèves ». A vrai dire, la mesure est déjà comprise dans la loi Blanquer de 2019. Et cela ne changerait pas grand chose pour les professeurs des écoles. Mais, pour les enseignants du second degré son application signifie une modification importante de leurs obligations de service. Or, l’annonce est faite au moment où la droite sénatoriale publie un rapport allant dans ce sens. A nouveau, une majorité se dessine pour bousculer le statut des enseignants.
Déjà pousser plus loin que le Pacte…
» On ouvre le chantier de l’amélioration de la formation des enseignants. Nous mettons en place un système qui permettra de ne plus perdre d’heures d’abord en formant les enseignants en dehors du temps de présence devant élèves et en leur faisant des réunions hors de ce temps là et en ayant un système de remplacement plus efficace ». Le Pacte n’est pas encore installé qu’Emmanuel Macron ouvre un nouveau chantier qui impacte à nouveau le statut des enseignants. Et il le fait au moment même où le sénateur Les Républicains Gérard Longuet publie un rapport sur la formation des enseignants allant dans ce sens.
Une formation continue inadaptée
Le rapport Longuet dresse un constat sans surprise de la formation continue des enseignants et de son fiasco. D’abord par sa minceur. Si les deux tiers des professeurs des écoles (dorénavant PE) et la moitié des professeurs du second degré (dorénavant PLC) ont suivi une formation en 2022, le volume suivi est faible : en moyenne deux jours par an contre 7.4 dans les autres ministères. Encore G Longuet souligne t-il » la forte déperdition entre les enseignants inscrits à une formation et les personnes considérées comme « assidues » ». La moitié des « formés » disparaissent en cours de formation…
Pourtant, on sait, depuis l’enquête OCDE Talis de 2018, que les professeurs français sont à la fois les plus demandeurs de formation. Mais ce sont aussi les plus critiques sur celle-ci. » Les enseignants français sont 47 % à considérer qu’il n’existe pas de formation appropriée à leurs besoins, contre 19 % en Belgique ou 24 % en Angleterre », rappelle le rapport Longuet. Un constat fait aussi par l’Inspection générale en 2018: » C’est le peu d’ancrage dans les réalités du travail enseignant dans la classe qui constitue le motif le plus récurrent de désaffection pour la formation « .
Et suivie sous contrainte…
C’est que la formation » a pu trop souvent être utilisée par les inspections académiques comme un vecteur d’information sur les réformes et les changements de programmes, ce qui ne correspond pas à la vocation de la formation continue » dit le rapport Longuet. Cette « inadéquation » de la formation renvoie au rejet des réformes Blanquer. La formation a été réduite à des séquences obligatoires et, comme le dit G Longuet, « elle n’emporte pas l’adhésion ».
Le rapporteur note le fort taux de rejet des demandes de formation des enseignants en dehors de ces séquences obligatoires en raison des problèmes de remplacement. Si dans le premier degré, les PE ont une obligation de formation sur 18 h par an inscrite dans leurs obligations de service, cela n’existe pas dans le second degré. Résultat, selon une estimation du Cnesco, « 87 % des enseignants du premier degré indiquent qu’entre 2018 et 2020 certaines de leurs formations se sont déroulées en dehors de leur temps d’enseignement.. À l’inverse, dans le second degré, 82 % des enseignants ont suivi des formations qui se déroulaient totalement sur des heures d’enseignement ». Il faut donc dans ce cas les remplacer. Ce qui pose un énorme problème au ministère.
La loi Blanquer a ouvert la voie
Certes, l’article 50 de la loi Blanquer a inscrit une obligation de formation pour tous les enseignants. » La formation continue est obligatoire pour chaque enseignant. L’offre de formation continue est adaptée aux besoins des enseignants. Elle participe à leur développement professionnel et personnel et peut donner lieu à l’attribution d’une certification ou d’un diplôme ». Et le décret n° 2019-935 du 6 septembre 2019 a créé une allocation de formation pour les enseignants relevant suivant des formations pendant les périodes de vacance des classes. Mais, selon le rapport Longuet, seulement 2261 enseignants (dont 652 du second degré) en ont bénéficié en 2021-2022. C’est dire que « les réticences » des enseignants sont grandes.
Faute de susciter l’intérêt des enseignants, le gouvernement semble prêt à passer à l’obligation des formations hors temps scolaire. C’est ce qu’annonce E. Macron et c’est aussi ce que recommande G. Longuet.
Le gouvernement s’est pourtant doté d’un autre instrument pour faciliter la formation continue dans le second degré. Le Pacte met en priorité les missions de remplacement dans le second degré. Mais, malgré les faibles salaires des enseignants, le Pacte semble patiner à cette rentrée si l’on en croit un rapport parlementaire. Et la tentation est peut-être forte d’imposer ce que des conditions contractuelles semblent peu à même de pouvoir réaliser.
Faire de la formation un levier de transformation du statut
Gérard Longuet propose d’imposer aux enseignants du second degré la même obligation de service que les PE, soit 18 heures de formation annuelle. Cela représente pour la plupart des PLC une semaine de travail supplémentaire. Mais, comme avait dit G. Longuet en 2022, » on a le sentiment que la rue de Grenelle a offert aux enseignants des conditions de vie que nos compatriotes ne comprennent toujours pas car ils ont le sentiment qu’ils n’ont que 160 jours de travail par an ce qui n’est pas beaucoup »…
Ce que demande G Longuet va plus loin dans la modification du statut des enseignants. Il souhaite que les formations soient diplômantes. Et il demande un outil efficace de suivi des formations des enseignants. Avec l’objectif de connaitre précisément les formations suivies par chaque enseignant. » L’article L. 912-1-3 du code de l’éducation prévoit depuis 20051 que « la formation continue des enseignants est prise en compte dans la gestion de leur carrière » », rappelle t-il. Il s’agit maintenant d’appliquer cet article. « A l’heure où le ministère met en avant sa « gestion RH de proximité » et promeut une construction davantage individualisée des carrières enseignantes, la formation continue doit selon le rapporteur spécial devenir un levier de gestion des ressources humaines à part entière », écrit-il.
G. Longuet est explicite. Il s’agit de « tenir compte dans la mobilité géographique et la mobilité de carrière des enseignants du suivi de formations spécifiques, permettant de réellement passer d’une gestion statutaire à une gestion des ressources humaines. Ainsi, il serait envisageable que la validation de formations diplômantes puisse accélérer l’avancement dans la carrière, ce qui suppose, le rapporteur spécial en est bien conscient, de ne plus raisonner uniquement en termes d’ancienneté ». On est bien dans une nouvelle modification du statut des enseignants.
Justement, le ministère de l’Education nationale y travaille avec le logiciel Virtuo. Et G. Longuet insiste sur « la nécessaire réflexion sur l’utilisation des données et des informations contenues dans Virtuo ».
Voilà un chantier ouvert pour Gabriel Attal. L’incitation présidentielle est claire. Le rapport Longuet atteste qu’une majorité parlementaire existe pour faire avancer cette modification du statut qui impacterait les PLC. Les exemples étrangers existent, même si une minorité de pays en Europe ont rendu la formation obligatoire. C’est un nouveau champ de privatisation, c’est à dire d’une gestion privée du service public, qui est ouvert.
François Jarraud
Formation : les recommandations du Cnesco
Mais pourquoi diable les enseignants refusent-ils la formation ?