Alors que Pap Ndiaye prépare ses cartons et quitte le ministère de l’Éducation nationale après quatorze mois tout juste, Claude Lelièvre, historien, montre que finalement ce dernier aura tenu plus longtemps que la moyenne des ministres de la rue de Grenelle sous la cinquième république.
« Mais qu’allait-il faire dans cette galère ? », est-on tenté de dire. Et la courte durée de son passage à la tête du ministère de l’Éducation nationale semble aller dans ce sens . Mais plus du tiers des ministres de l’Éducation nationale de la Cinquième république n’ont pas atteint les quatorze mois qui ont été finalement dévolus à Pap Ndiaye.
Sur les 29 ministres qui ont précédé Pap Ndaye, onze d’entre eux ont duré moins de quatorze mois à la tête de leur ministère , et souvent nettement moins.
Berthoin (1er juin 1958-8 janvier 1959) Boulloche (8 janvier 1959-23 décembre 1959) Joxe (15 janvier 1960- 22 novembre 1960) Paye (20 février1961-14 avril 1962) Sudreau (15avril 1962-15 octobre 1962), Peyrefitte (6 avril 1967-30 mai 1968) Ortoli (31 mai 1968 – 10 juillet 1968) Faure (10 juillet 1968 -22 juin 1969). Lang (2 avril 1992-30 mars 1993) Fillon (31 mars 2004-2 juin 2005) Hamon (2 avril 2014- 25 août 2014).
Parmi les trois derniers de la liste, deux ont été nommés pour ‘’calmer le jeu’’ à la suite de leurs prédécesseurs (en attendant des élections pour le moins incertaines) : Jack Lang et François Fillon. Le troisième, Benoît Hamon, a été victime de configurations politiciennes non moins incertaines.
Il en va fort différemment lors de la période ‘’gaullienne’’ où on a un ministre de l’Éducation nationale qui va durer longtemps, à savoir Christian Fouchet (du 20 novembre 1962 au 6 avril 1967), un temps record avant celui de Jean-Michel Blanquer (un quinquennat), précédé et suivi de ministres à la durée courte voire fort courte. Huit ministres de l’Éducation nationale pour une durée totale de 6 ans et 6 mois, soit une moyenne de moins de 10 mois…
On avait pourtant un exécutif fort dominé par la figure du général de Gaulle et censé éviter l’instabilité ministérielle reprochée à la Quatrième République. Ce paradoxe peut sans doute être expliqué par les turbulences de la mise en place d’un enseignement privé sous contrat (loi ‘’Debré’’ de décembre 1959), par les turbulences politiques en rapport avec la fin de la guerre d’Algérie (qui conduisent à des remaniements politiques rapides), et enfin par les turbulences liées à Mai 68 qui s’accompagnent à chaque fois de décisions tranchées de la part du Chef de l’État Charles de Gaulle.
Dès 1959, il écarte Jean Berthoin (sénateur radical de l’Isère de 1948 à 1974 ) le premier ministre de l’Éducation nationale qu’il avait contribué à nommer mais qui prévoyait de mettre en œuvre le versement de subventions quasiment sans conditions à l’enseignement privé. Et il fait appel à au socialiste, André Boulloche, en espérant un accord le plus large possible. Au début de l’année 1959, le Premier ministre Michel Debré, avec l’aval du Président de la République Charles de Gaulle, rédige une note à l’intention d’André Boulloche qui précise que « ni l’Église en tant que telle, ni aucune association nationale ne peut être le partenaire du ministère de l’Éducation nationale ; la coopération des deux enseignements se fera donc à l’intérieur d’un service public pluraliste grâce à des contrats qui seront passés par l’Éducation nationale avec les établissements. »
Le projet de loi est attaqué de tous bords. Mais, in fine, le Général de Gaulle conclut le Conseil des ministres du 22 décembre 1959 (très animé et très divisé sur cette question ) de façon décisive : « si le gouvernement ne peut se mettre d’accord, il faut en changer ; si le Parlement n’accepte pas une situation de bon sens, il faudra le dissoudre ; si la Constitution ne permet pas d’aboutir, il faudra la modifier. »
Le gouvernement s’incline et le Parlement vote le projet à une large majorité (les communistes et les socialistes votant clairement contre). Le ministre de l’Éducation nationale André Boulloche ayant estimé que l’équilibre final ne lui paraissait pas acceptable a démissionné avant le vote de la loi, ce qui explique qu’elle est portée par le premier ministre Michel Debré, devenu aussi ministre de l’Éducation nationale par intérim.
A la fin des événements de Mai 68, on a une issue du même type avec le choix d’Edgar Faure comme ministre de l’Éducation nationale et le soutien ferme du Chef de l’État pour son projet résolument novateur (même si Georges Pompidou, foncièrement conservateur dans ce domaine, s’empressera d’écarter Edgar Faure du ministère dès qu’il sera élu président de la République).
Edgar Faure a raconté lui-même les dernières phases des décisions : « Le président de la République s’enquit de savoir où j’en étais parvenu ; je fis lecture de mon texte ; il en approuva l’essentiel […] Je priai qu’on diffusât le texte comme document de base à tous les intéressés, fort que j’étais de la sanction présidentielle […]. Quand le Général eut tranché, je bondis vers l’avion qui devait me conduire à La Baule. Les parlementaires UDR y tenaient une sorte de congrès où soufflait, disait-on, un vent de fronde. Ce n’était qu’une brise. On avait parlé d’une conjuration. Ce ne fut que du papotage » (« Ce que je crois »,Grasset, p. 88)
Le Président de la République Emmanuel Macron a déjà eu son ministre de l’Éducation nationale de longue durée avec Jean-Michel Blanquer (à l’instar de Charles de Gaulle avec Christian Fouchet). Est-ce que s’ouvre l’ère des turbulences , avec des ministres de l’Éducation nationale de courte durée et un rôle décisif du Chef de l’État en ce domaine – comme sous le général de Gaulle ?
Toute affirmation de ressemblance est peut-être prématurée. Mais à voir.
En tout cas, « mais que faisait Pap Ndiaye dans cette galère ? »
Claude Lelièvre