Dans une récente note d’information, la Depp – Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance – dresse un état des lieux de la ségrégation sociale dans les collèges à la rentrée 2022. « Le niveau et les composantes de la ségrégation sociale varient d’un département à l’autre, compte tenu notamment du degré de ségrégation entre communes et quartiers, du poids du secteur privé et des inégalités économiques » écrit le service statistique du ministère. « Au niveau national, la ségrégation sociale entre collèges est peu variable au cours du temps. La ségrégation parmi les collèges publics suit une tendance à la baisse et les écarts de composition sociale entre secteurs public et privé sont croissants, le secteur privé scolarisant de plus en plus d’élèves de milieu favorisé ». Si dans une vingtaine de départements, la ségrégation sociale a sensiblement diminué, elle a augmenté dans une trentaines avec une hausse marquée des écarts de composition sociale entre secteurs public et privé.
La ségrégation sociale entre établissements scolaires, qui met en évidence la présence de populations très différentes selon leur milieu social au sein des écoles, est souvent considérée comme un facteur aggravant les inégalités scolaires et pose également un défi en termes de cohésion nationale, car elle rend difficile la rencontre entre des jeunes issus de milieux sociaux différents écrivent les auteurs de la note. Ils rappellent que la réduction de la ségrégation entre les établissements scolaires, ou l’amélioration de la mixité sociale, est inscrite dans les missions du service public de l’éducation. C’est en 2015 que Najat Vallaud Belkacem avait lancé une politique visant à favoriser la mixité sociale dans les collèges. Pap Ndiaye a tenté lui aussi de mettre en place une politique ambitieuse de mixité sociale. Un projet avorté. Loin de soumettre le privé à favoriser la mixité, le plan présenté en mars dernier ne fait qu’encourager les décideurs locaux –tels que les conseils départementaux et les rectorats – à mettre en place des mesures favorisant la mixité dans les établissements du secondaire. Ces actions sont diverses et peuvent inclure la relocalisation d’établissements, la modification de la sectorisation ou des modalités d’affectation des élèves, l’accueil d’élèves boursiers dans des établissements favorisés, ou encore l’enrichissement de l’offre pédagogique des collèges socialement défavorisés rappelle la Depp.
À la rentrée 2022, la proportion d’élèves issus de milieux sociaux défavorisés (enfants d’ouvriers ou d’inactifs) est de 34,7 % dans les collèges, mais elle est supérieure à 58,8 % dans un dixième des collèges les plus défavorisés, et inférieure à 11,9 % dans un dixième des collèges les plus favorisés. De même, la proportion d’élèves issus de milieux socialement favorisés (enfants d’enseignants, de cadres supérieurs, de chefs d’entreprise ou de profession libérale) est de 25,1 % au niveau national, mais elle dépasse 46,8 % dans un dixième des collèges les plus favorisés et est inférieure à 7,1 % dans un dixième des collèges les moins favorisés.
Un secteur privé qui scolarise très majoritairement des enfants de milieux sociaux favorisés
La ségrégation sociale entre collèges est en partie due à la distinction entre le secteur public et le secteur privé. Depuis les années 1980, environ un cinquième des élèves sont scolarisés dans le secteur privé (22% en 2022), dont la grande majorité dans des établissements sous contrat avec l’État. Ces collèges privés ne sont pas soumis à la sectorisation et ont une certaine liberté pour définir leur offre éducative. Ils sont principalement choisis par des familles socialement favorisées. À la rentrée 2022, 41,7 % des élèves du secteur privé sous contrat sont de milieu social très favorisé, contre 20,5 % dans le secteur public. En revanche, 16 % des élèves du secteur privé sous contrat sont issus de milieux socialement défavorisés, contre 40,0 % dans le secteur public. Cette différence de composition sociale entre les secteurs public et privé était déjà présente en 1989 et s’est accentuée au fil des années.
La ségrégation sociale entre les collèges est également due aux différences de composition sociale au sein de chaque secteur, public et privé. Ces écarts reflètent en partie la ségrégation urbaine, notamment dans les grandes agglomérations, où les élèves issus de milieux défavorisés sont surreprésentés dans certaines zones d’habitation. La composition sociale des collèges publics est influencée par la sectorisation, tandis que celle des collèges privés est également influencée par leur localisation géographique et leur spécialisation éventuelle. Certains établissements privés forment une élite sociale et scolaire, tandis que d’autres se spécialisent dans le soutien aux élèves en difficulté.
Il existe également des écarts importants entre les collèges privés. Alors qu’un dixième de ces collèges scolarise une faible proportion d’élèves issus de milieux défavorisés (moins de 4,0 %), un dixième en accueille au moins 35,8 %, soit environ la proportion moyenne d’élèves issus de milieux défavorisés dans les collèges.
Au niveau national, la ségrégation sociale entre les collèges a peu varié depuis 2014. Cette évolution est principalement due à deux facteurs : la ségrégation sociale parmi les collèges publics, qui a diminué depuis 2018 après une période de stagnation, et les écarts de composition sociale entre les secteurs public et privé, qui se sont accrus avec une augmentation de la scolarisation d’élèves issus de milieux favorisés dans le secteur privé. L’hétérogénéité de la composition sociale parmi les collèges privés a connu des variations moins marquées, mais elle reste plus élevée que parmi les collèges publics sur l’ensemble de la période étudiée. Ainsi, la stabilité du niveau de ségrégation sociale au niveau national cache des évolutions plus prononcées lorsqu’on décompose l’indice selon les secteurs public et privé.
Des disparités territoriales
Cependant, cette situation au niveau national masque des réalités territoriales différentes. La ségrégation sociale est plus forte dans les départements les plus urbains, notamment dans les Hauts-de-Seine, à Paris et dans les Bouches-du-Rhône. Ces départements se caractérisent par une forte ségrégation résidentielle, ce qui se reflète dans la composition sociale des collèges publics et privés. De plus, la proximité et le nombre de collèges intensifient la concurrence entre établissements et incitent les familles à éviter le collège de secteur, en particulier en choisissant un collège privé. Ces choix sont principalement faits par des familles de milieux sociaux favorisés et accentuent la ségrégation sociale.
On observe également une plus grande hétérogénéité parmi les collèges privés par rapport aux collèges publics dans six départements sur dix, en particulier dans l’ouest de la France. Cela peut être lié à une plus forte présence de l’enseignement privé, qui est également plus différencié. En revanche, dans quatre départements sur dix, les collèges publics présentent une plus grande hétérogénéité dans leur composition sociale, notamment dans le nord-est et le sud-est de la France.
Les écarts de composition sociale entre les secteurs public et privé sont importants dans les départements du bassin parisien, dans le sud méditerranéen et dans les départements et régions d’outre-mer (à l’exception de Mayotte où les collèges privés sont hors contrat et donc exclus de cette étude). Ces écarts importants concernent à la fois les départements où le secteur privé scolarise une part importante d’élèves (comme Paris, le Nord et le Rhône) et ceux où il est moins présent que la moyenne nationale (départements et régions d’outre-mer, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne). Ces départements se caractérisent généralement par de fortes inégalités économiques ou un taux élevé de pauvreté. Les familles les plus défavorisées peuvent avoir des difficultés à accéder à l’enseignement privé pour des raisons financières.
Entre 2014 et 2022, la ségrégation sociale a peu varié dans la moitié des départements, tout comme au niveau national. Dans une vingtaine de départements, la ségrégation sociale a diminué de manière significative, avec une baisse supérieure à 0,005. Ces départements sont principalement situés dans le nord et l’ouest de la France. La ségrégation entre les collèges publics y a globalement diminué, tandis que les écarts de composition sociale entre les secteurs public et privé n’ont pas augmenté, voire ont diminué dans certains cas. En revanche, dans une trentaine de départements, la ségrégation sociale a augmenté, avec une forte augmentation des écarts de composition sociale entre les secteurs public et privé. Ces départements sont principalement situés dans la moitié sud de la France.
La mixité sociale est un enjeu fort de réussite des élèves les plus en difficulté mais aussi de cohésion sociale. Pap Ndiaye avait annoncé faire de ce sujet sa priorité. Mais un sujet tel que celui-ci méritait une prise en charge interministérielle. Parti seul, l’occupant actuel a du ravaler son chapeau. Alors que le Président est ultra présent sur tous les dossiers en lien avec l’École, il a brillé par son absence sur celui-ci. On voit bien l’enjeu politique de cette question. Faire réussir les élèves des milieux les plus défavorisés, lutter contre l’entre-soi des plus favorisés est à l’encontre du projet politique de la droite. Une droite à laquelle appartient aujourd’hui le gouvernement.
Lilia Ben Hamouda