« Le temps semble désormais venu de réfléchir et de mettre à plat certaines dispositions datées qui ne répondent plus aux attentes. Une meilleure répartition des moyens est aujourd’hui attendue… La logique du réseau, sans être remise en cause, doit pouvoir offrir plus de souplesse aux établissements ». Le rapport de la députée (Horizons) Agnès Carel, présenté le 12 juillet, propose de garder les Rep+ mais de remplacer les Rep par une allocation de moyens versée aux établissements. La transformation de l’éducation prioritaire serait étalée sur trois ans. Ce rapport parait au moment où le ministre annonce de premières mesures pour la rentrée 2024. Il reprend pour l’essentiel les mesures du rapport Azema Mathiot de 2019 qui prévoyait déjà le démantèlement de l’éducation prioritaire en ne gardant que les Rep+.
L’éducation des enfants les plus pauvres en débat
L’éducation prioritaire est la seule mesure gouvernementale qui vise à diminuer les inégalités entre les jeunes pauvres et les plus favorisés. Aujourd’hui, l’éducation prioritaire (dorénavant EP) concerne 21% des collégiens et 20% des écoliers. Les établissements de l’EP accueillent des élèves d’origine sociale défavorisée. Ainsi on trouve 74% d’enfants d’ouvriers et inactifs en Rep+, 60% en Rep, 38% dans le public hors éducation prioritaire et seulement 19% dans le privé sous contrat. Ce sont 1092 réseaux , 730 collèges et 4174 écoles en Rep et 362 collèges et 2462 écoles en rep+. Près de 1.7 millions d’enfants étudient dans ces réseaux.
Le rapport a aussi évalué le coût de l’éducation prioritaire, exercice que la Cour des Comptes, en 2018, avait eu du mal à faire. Selon A Carel, du fait des dédoublements instaurés en EP (16 686 ETP), le coût des moyens spécifiques de cette politique est estimé à 2,3 milliards. Notons tout de suite un point positif du rapport : A Carel demande de créer un programme éducation prioritaire dans la mission enseignement scolaire du budget. Cela permettrait de faire apparaitre clairement le coût de cette politique et son évolution.
Supprimer les Rep
Il faut aller tout à la fin du rapport Carel pour trouver la réorganisation de l’éducation prioritaire qu’elle préconise. « Le présent rapport l’a d’ores et déjà établi, l’éducation prioritaire renforcée parvient à réduire les écarts de réussite et offre aux équipes pédagogiques et aux pilotes académiques les moyens de ce succès (dispositifs prioritaires, personnel supplémentaire, temps de concertation, réduction des effectifs des classes, etc.). À l’issue des travaux de la mission, la rapporteure considère donc que dans le cadre d’une refondation de cette politique publique, les moyens alloués aux REP + doivent être maintenus« . C’est donc le maintien des Rep+, ce que demandait aussi le rapport Azema Mathiot commandé par JM Blanquer en 2019.
« Elle considère en revanche que la logique du réseau, sans être remise en cause, doit pouvoir offrir plus de souplesse aux établissements… Ainsi, elle propose la mise en place d’une allocation progressive des moyens reposant sur un barème dont les indicateurs détermineraient le niveau des moyens alloués« . C’est la disparition des Rep, remplacés par une allocation locale de moyens, décidée par les recteurs. Cette disparition serait effective au bout de trois ans durant lesquels les moyens consacrés aux Rep seraient maintenus. Cette mesure, totalement illogique par rapport aux choix du rapport, ne se justifie que pour diminuer l’opposition des enseignants concernés. On sait que lors de la précédente refonte de la carte de l’EP, des mesures conservatoires avaient aussi été mises en place. La rapporteure veut aussi maintenir « le travail en réseau » dans les ex-Rep et garder les coordonnateurs de structures vidées de leur budget.
Transférer les moyens vers le rural
Où va l’argent ? Sans surprise, la rapporteure demande que l’on tienne compte de l’éloignement pour bénéficier de l’allocation de moyens. « Alors même que les résultats des élèves ne sont que faiblement corrélés à l’indice d’éloignement de leur établissement, celui-ci est associé à une moindre fréquence de l’orientation en seconde générale et technologique et de la poursuite d’études supérieures« , affirme le rapport. Il reconnait donc que les écoles et collèges ruraux ne créent pas d’inégalités scolaires (au contraire leurs résultats sont plutôt supérieurs à la moyenne) mais demande quand même un transfert de moyens à leur bénéfice. Aussi le rapport a beau demander de mettre fin aux CLA, crées sous JM BLanquer au bénéfice de zones rurales, cette nouvelle politique en augmente les effets. Tout cela en évoquant « l’opacité des critères d’attribution des moyens mobilisés dans le cadre de ces contrats » et même « l’opacité rectorale » dans l’attribution des moyens.
La réussite « relative » des dédoublements
Une partie intéressante est consacrée au bilan de l’éducation prioritaire. La rapporteure montre « la réussite relative du dédoublement des classes« . Pour un programme qui a entrainé la création de 16 000 postes, c’est une façon d’en souligner l’échec. « Les premières estimations de la Depp font état de résultats encourageants en termes de réduction des difficultés scolaires par rapport aux écoles hors éducation prioritaire. Une réduction des écarts en français et en mathématiques entre les résultats des élèves de l’éducation prioritaire et ceux des élèves hors éducation prioritaire est amorcée« . Quand on y regarde de plus près, « pour la compréhension de mots lus par l’enseignant seulement 53 % des élèves de REP et 42 % des élèves de REP + en ont une maitrise satisfaisante, contre 75 % hors EP. En mathématiques, la proportion d’élèves du secteur public hors éducation prioritaire qui présentent une maîtrise satisfaisante de la résolution de problèmes est de 70 %, contre 53 % des élèves de REP et 46 % de ceux de REP +… Les écarts de performances entre les élèves scolarisés dans le secteur public hors éducation prioritaire et ceux scolarisés en éducation prioritaire se réduisent mais l’objectif des 100 % de réussite est loin d’être atteint« . Le graphique de la Depp montre que la réduction des écarts est infime.
Haro sur les vacances
Le rapport consacre une large place à des recommandations qui peuvent sembler secondaires mais qui sont dans l’air du temps. Le rapport recommande de garder les dédoublements mais de ne les conserver que pour les fondamentaux au primaire. Sur les autres disciplines, les élèves seraient remis en classe non dédoublée et les enseignants répartis du Ce2 au CM2 pour renforcer les fondamentaux. La rapporteure semble étanche à la désorganisation induite…
Le rapport recommande aussi de « réorganiser le temps scolaire en consacrant, en priorité, les matinées à l’apprentissage des fondamentaux et les après-midi aux activités culturelles et sportives« , comme si les horaires le permettaient. On trouve aussi une condamnation des Rased, jugés peu efficaces, et leur remplacement par des orthophonistes privés (déjà introuvables dans les communes défavorisées). L’idée « d’appairer des collèges présentant des caractéristiques sociales différentes dans le cadre d’activités culturelles communes« , qui va de pair avec le soutien aux inefficaces Cordées de la réussite et au mentorat, est révélatrice des idées, socialement marquées, à la mode dans la majorité.
Dernier point de ce rapport, la réforme des vacances, dont parle aussi le ministre. La rapporteure veut lancer une consultation nationale sur les rythmes scolaires mais en souflle déjà l’issue : « lancer une réflexion sur la durée des vacances scolaires afin de ne pas accentuer les écarts de performances entre secteurs de scolarisation« . Elle appartient pourtant à la majorité qui a détruit la semaine de 5 jours.
Un rapport dans l’air du temps
Depuis 2017, on a vu une série de rapports qui ont remis en question fortement la politique impulsée en 2013-2014 pour les enfants défavorisés. Il y a eu le rapport de la Cour des comptes en 2018 qui préconisait déjà la suppression des Rep et leur remplacement par une politique d’affectation graduelle de moyens. Puis France Stratégie a carrément proposé la suppression des Rep et Rep+. En 2019, le rapport des sénateurs Lafon Roux préconisait la délabellisation et, lui aussi, un indice d’affectation graduelle de moyens. Enfin en novembre 2019, le rapport Azéma Mathiot voulait réduire l’EP aux seuls Rep+ avec une affectation rectorale de moyens pour des écoles et établissements défavorisés ou ruraux.
Le rapport Carel se situe dans cette continuité. Il sera bien accueilli par Pap Ndiaye. Le 11 juillet, devant la commission de l’éducation de l’Assemblée, le ministre annonce la réforme de la carte de l’EP pour la rentrée 2024. « On va commencer par les Rep+ car c’est le plus stable » a t-il précisé. Il ajoute que du coté des Rep « certains devraient sortir« . La carte « est difficile à bouger » , reconnait-il « car les éléments qui l’accompagnent, dédoublements, primes, temps de concertation, sont attractifs. Sortir est plus compliqué, entrer est plus simple« . Le délai d’application de trois ans pour supprimer les Rep, proposé par le rapport, permettrait de rendre les choses plus faciles.
Le rapport Carel aboutit à la même situation que celui préconisé par la rapport Azéma Mathiot. Et cette constance fait sens. Ce que propose le rapport, et qui pourrait bientôt devenir politique ministérielle, c’est un transfert de moyens massifs des banlieues urbaines mixtes et agitées vers la France profonde. C’est bien dans l’air du temps.
François Jarraud
Le rapport de la Cour des Comptes