Dans le cadre du « CNR jeunesse », Elisabeth Borne doit annoncer aujourd’hui une réforme des programmes de l’enseignement moral et civique (EMC). Ils devraient être recadrés sur l’éducation aux médias, la connaissance des institutions et l’engagement. Présentée comme une mesure voulue par les jeunes, cette réforme a été demandée par la Cour des Comptes en 2021 et par une proposition de loi sénatoriale en 2023. Elle est annoncée pour la rentrée 2024. D’autres mesures concernent l’Education nationale comme une évaluation des « savoirs verts » en fin de collège et le doublement des jeunes « mentorés ».
L’ASSR 1 et 2 renforcés
Elisabeth Borne présente ce 21 juin les mesures adoptées dans le cadre du CNR jeunesse à l’issue d’une série de réunions menées à Matignon depuis décembre 2022. Certaines concernent pas ou peu l’Éducation nationale. Par exemple, l’âge exigé pour le permis de conduire sera abaissé à 17 ans. Mais la première ministre attend de l’Education nationale que les attestations ASSR1 et 2 soient plus exigeantes en ce qui concerne le Code de la route. Elles devraient être revus pour janvier 2024. C’est en lien avec une autre mesure qui vise à rendre plus utilisables les lycéens professionnels : ils devraient bénéficier d’une aide de 500€ pour préparer le permis de conduire.
E Borne devrait aussi annoncer la remise en état des logements universitaires vétustes sur trois ans. Les jeunes en service civique ou en contrat d’engagement jeunes devraient bénéficier d’aides : un pass train pour un mois, une carte de réduction auprès de grandes enseignes.
Orientation et mentorat
Sans surprise, la première ministre veut renforcer l’orientation. Elle confirme la généralisation des temps de découverte des métiers dans tous les collèges dès la 5ème. Cet enseignement sera porté par des référents dans le cadre du Pacte; Du moins si le ministère en trouve assez… Le gouvernement va aussi renforcer le mentorat avec la volonté de doubler le nombre de jeunes concernés. Bien que ces dispositifs ne soient pas évalués, l’Etat devrait encore augmenter le montant des subventions aux associations portant ce projet.
Evaluation des savoirs verts
Pour renforcer l’enseignement de l’écologie , le gouvernement mettra en place une évaluation obligatoire des « savoirs verts » en fin de collège avec 3 axes : l’alimentation, le tri des déchets, le changement climatique. Des référentiels seraient en construction. Matignon renvoie aussi au « B A BA » que vient de publier le CNED mais dont le contenu est inadapté aux collégiens.
EMC : mieux comprendre les institutions
Mais la principale annonce concerne la réforme de l’EMC. Selon Matignon, l’EMC « n’est pas adapté à aujourd’hui » , ni dans le contenu , ni dans le respect des horaires. Une refonte de l’EMC sera réalisée pour la rentrée 2024 sans que Matignon précise les niveaux ciblés.
Suite au CNR Jeunesse, l’éducation aux médias (EMI) devrait être renforcée et « mise au centre » de l’EMC. Mais la réforme devrait aussi renforcer « la compréhension des institutions » et encourager « les formes d’engagement« .
Une réforme qui vient de loin…
Même si l’impact des nouveaux programmes d’EMC de 2018 n’est pas évalué, cette annonce n’est pas vraiment une surprise. En mars 2023, le sénateur Cabanel a déposé une proposition de loi pour réformer l’EMC pour renforcer la connaissance des institutions. « Un des enjeux principaux de l’EMC est de rapprocher les citoyens et les institutions, ce qui suppose tout d’abord d’améliorer la connaissance du fonctionnement de celles-ci« , explique M. Cabanel. Il demandait de « rééquilibrer la place des questions environnementales et sociétales par rapport aux enjeux institutionnels, qui doivent constituer le cœur de cet enseignement« .
Mais la réforme envisagée par Matignon s’inspire surtout du rapport réalisé par la Cour des Comptes en novembre 2021. C’est sans surprise tant les liens sont étroits entre la Cour et le cabinet de P Ndiaye. La Cour soulignait que les contenus d’enseignement ne sont ni adaptés ni maitrisés et que les horaires ne sont pas respectés. Ce diagnostic est repris maintenant par le CNR Jeunesse. Pour la Cour le moment est venu de réformer l’EMC. » La période est favorable à une action de ce type pour diverses raisons. Une sourde inquiétude émane du corps social face aux signaux qui révèlent la fragilisation de la citoyenneté : désertion des urnes par les jeunes citoyens, montée des attaques contre la laïcité à l’école, apparition de tendances séparatistes…Pour autant, les jeunes, qui semblent plus réticents qu’auparavant envers les modes d’expression traditionnels de participation à la vie démocratique, sont prêts à s’engager pour des causes nouvelles et selon des modalités inédites qui traduisent en définitive leur volonté de prendre part à la « chose publique ». Au même moment, la constitution d’un grand ministère chargé de l’éducation et de la jeunesse peut faire émerger un continuum dans la formation, qui dépasse le cadre scolaire pour englober la période d’engagement citoyen des adolescents et jeunes adultes… Il lui revient de se saisir pleinement du service national universel, en concrétisant une perspective qui exige encore nombre de décisions et qui ne pourra déboucher que si elle est socialement acceptée, juridiquement fondée et financièrement soutenable« .
On retrouve dans le rapport de la Cour des Comptes la place importante donnée à l’EMI, pour qui elle demandait des indicateurs de suivi, la nécessité d’évaluer l’EMC et de renforcer « l’engagement » des jeunes.
Avec cette réforme, le gouvernement devrait aller plus loin dans une évolution lancée en 2018 avec la réécriture des programmes d’EMC, l’accent mis sur le drapeau, la Marseillaise et surtout le respect. En janvier 2022, S. Ayada, encore présidente du Conseil supérieure des programmes, disait devant le Sénat : « Je crois qu’il est urgent de revenir à une instruction civique classique où on n’est pas en lutte contre tous les maux de la société« . C’est sous cet éclairage que la réforme pourrait se dessiner, y compris en ce qui concerne l’EMI et « l’engagement« . Cette nouvelle réécriture des programmes singularise la France dans une Europe qui n’est pas obsédée par l’EMC comme nous l’avons montré ici.
François Jarraud