Le suicide de Lindsay, harcelée au collège et sur les réseaux sociaux, ébranle le ministère Ndiaye. Toute la semaine dernière le harcèlement scolaire a fait l’objet de déclarations du Ministre mais aussi de la Première Ministre. Pap Ndiaye n’a eu de cesse de justifier son action : dans un premier communiqué de presse, sur France Info et dans un nouveau communiqué adressé ce jour. Sa dernière annonce, organiser dès cette semaine une séance de sensibilisation au cyberharcèlement dans tous les collèges, engendre la colère des chefs d’établissements.
« Le harcèlement est un fléau qui mine le quotidien de milliers de jeunes et cause trop souvent des drames, la détresse, la dépression et parfois même le suicide » a déclaré Elisabeth Borne à l’assemblée mardi 6 juin, faisant référence au suicide de Lindsay le 12 mai dernier. Lundi 5 juin, le Ministre Pap Ndiaye recevait la mère de la jeune collégienne. Une entrevue qui est loin d’avoir satisfait aux attentes de la famille. « Je suis perdue, je me sens seule, pas aidée. Je ne l’ai pas trouvé sincère, j’attends que les choses bougent, j’attends de voir des actes », a déclaré la mère à la sortie de l’entretien.
Le soir même la rue de grenelle publiait un communiqué. « Lors de cette rencontre, le ministre a rappelé à la famille qu’il tirera toutes les conclusions nécessaires de l’enquête administrative qu’il a diligentée auprès de l’Inspection Générale de l’Éducation nationale » est-il écrit. Le lendemain, c’est la Première ministre qui promettait de « faire de la lutte contre le harcèlement la priorité absolue de la rentrée 2023 ». « Nous allons étendre le programme pHARe* au lycée » a-t-elle expliqué aux députés. « Nous allons désigner dès la rentrée dans chaque collège un adulte référent dans la lutte contre le harcèlement. Nous allons protéger davantage les élèves victimes en primaire en ouvrant par décret la possibilité d’écarter d’une école un élève auteur de harcèlement, nous augmenterons les moyens des plateformes d’alerte et d’écoute ». Le matin même, Pap Ndiaye, quant à lui, défendait son action sur France Info et s’attaquait aux réseaux sociaux, vecteurs essentiels du cyberharcèlement, « parce qu’ils pourrissent la vie de trop nombreux jeunes ». « Il faut contraindre les réseaux sociaux. Ils sont beaucoup trop lents, trop hésitants sur le harcèlement » accusait le Ministre qui enjoignait les parents à une vigilance particulière quant à l’usage qu’en faisaient leurs enfants. Le lendemain, le 7 mai, soit deux jours après que Pap Ndiaye ait reçu la famille de Lindsay, c’est Brigitte Macron qui se saisissait du dossier et recevait la mère de Lindsay. « On a été entendu, je pense qu’elle va nous aider réellement » a déclaré cette dernière. « Aujourd’hui, je me sens un peu mieux, le fait d’avoir été écoutée, entendue. Madame Macron est une femme très touchée par cette histoire, elle me l’a fait ressentir comme ça et… C’est une femme vraie ».
Le Ministre justifie son action
Ces multiples déclarations témoignent d’un ministère Ndiaye ébranlé. Sommé de se justifier, le ministère défend l’action du Ministre dans un communiqué de presse. « Plusieurs mesures sont aujourd’hui engagées pour lutter contre le fléau du harcèlement scolaire » écrit-il rappelant les engagements du Ministre en la matière : éloignement de l’élève harceleur, obligation de procédure disciplinaire à l’encontre des élèves coupables de harcèlement ou cyberharcèlement (même si la victime est dans un autre établissement), désignation d’un adulte référent harcèlement dans chaque établissement (avec une rémunération supplémentaire), augmentation des subventions des numéros d’appel 3018 et 3020, instruction aux chefs d’établissements de signaler les faits préoccupants aux procureurs sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale.
Le ministère indique aussi que plusieurs réunions sont à l’agenda du Ministre. Dès le 13 juin, les cadres de l’éducation seront ainsi réunis « afin de leur rappeler l’ensemble des leviers à leur disposition et de recueillir leurs remontées de terrain ». Le 29 juin, ce seront les responsables académiques contre le harcèlement à qui le Ministre rappellera les procédures à suivre et les nouvelles mesures qui devront être mises en œuvre dès septembre prochain. Parallèlement, des « consultations seront organisées entre le 9 et le 12 juin avec les organisations syndicales représentatives, les principales fédérations de parents d’élèves (FCPE, APEL, UNAAPE, PEEP), le Président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) et les dirigeants de Meta France (Facebook, Instagram et Whatsapp) et de TikTok ». Peu de chance que les rencontres avec les géants des réseaux sociaux aboutissent à des contraintes pour eux, on sait que la rue de Grenelle ne peut agir seule.
Une heure de sensibilisation au cyberharcèlement dès aujourd’hui
Le Ministre annonce aussi avoir « demandé aux principaux des 7 000 collèges de France d’organiser dans la semaine du 12 au 16 juin 2023 une heure de sensibilisation sur la thématique « harcèlement et réseaux sociaux » pour les 3,4 millions de collégiens ». Et cette annonce, c’est celle de trop pour le SNPDEN-UNSA, qui a immédiatement réagit via son secrétaire général, Bruno Bobkiewicz. « C’est sans doute parce que les dossiers marqués du sceau de l’impréparation, de celui de la précipitation et de celui de la méconnaissance du terrain manquaient que notre Ministre a cru bon d’en rajouter un de plus » ironise-t-il. « Le message… a de quoi ulcérer ». Le secrétaire général du principal syndicat des chefs d’établissements s’interroge sur la méconnaissance de la réalité du fonctionnement des établissements à un tel moment de l’année. « Le temps politique n’est pas le temps de l’École… Il n’est donc plus acceptable que les injonctions soient érigées en méthode de gouvernance de notre école » écrit-il donnant « la consigne claire » aux chefs d’établissements « de ne pas agir dans des délais aussi intenables ».
6% à 7% des élèves sont victimes de harcèlement selon plusieurs études de la DEPP et du Sénat. Pour faire face à l’ampleur du phénomène, le 2 mars 2022 était votée la loi Balanant qui criminalisait le harcèlement en en faisait un délit. Du côté Éducation nationale, dès septembre 2022, le ministère généralisait à toutes les écoles et les collèges le programme pHARe. À la prochaine rentrée, les lycées seront aussi concernés. Malgré toutes ces bonnes volontés pour Eric Debarbieux, chercheur spécialiste de la question, cela ne suffira pas. « C’est dans l’interministériel que cela doit se jouer, aux niveaux des politiques publiques » explique-t-il au Café pédagogique.
Lilia Ben Hamouda
*Le programme pHARe, plan de lutte contre le harcèlement scolaire, a été expérimenté dès la rentrée 2019 dans six académies. Généralisé à toutes les écoles et collèges en septembre 2022, il prévoit notamment la formation d’une équipe de référents d’au moins cinq personnes par collège et par circonscription du premier degré, chargée de repérer les cas de harcèlement au sein de l’école et en ligne. Des élèves, les élèves-ambassadeurs, au nombre de 10 par établissements, participent au repérage et au signalement des situations de harcèlement. Tous les élèves, du CP à la troisième –jusqu’à la terminale en 2023, bénéficient quant à eux de dix heures de formation sur le sujet. Les familles sont elles aussi impliquées dans le dispositif puisqu’il doit leur être proposé un atelier de sensibilisation tous les ans.