Et si la réponse au manque de remplacement résidait dans une action collective contre l’État? C’est en désespoir de cause que des parents d’un collège parisien se sont adressés à Joyce Pitcher, avocate, connue pour ses actions de masse et l’un de ses confrères, Romain Drosne. Aujourd’hui, l’action #OnVeutdesProfs prend de l’ampleur et les parents membres du collectif s’organisent.
C’est en juin 2022 que Joyce Pitcher a été contactée par un groupe de parents d’un collège du dix-huitième arrondissement. L’avocate, spécialiste des recours de masse, était plutôt habituée des litiges en lien avec les compagnies aériennes. Mais lorsque Sabine et d’autres parents ont franchi la porte de son cabinet, elle a bien compris que le sujet méritait toute son attention. « Cette action, c’est un cri de désespoir » raconte Joyce Pitcher. « Il y a une défaillance du service public, de façon générale, une forme d’abandon. On a un droit constitutionnel à l’éducation. Le code de l’éducation rappelle que c’est une priorité nationale et qu’il est le garant de l’égalité entre tous » justifie l’avocate. « Les absences non remplacées creusent les inégalités. Ce sont toujours les mêmes qui trinquent. Ceux qui ont les moyens feront prendre des cours particuliers à leurs enfants ».
Pour la défense de l’école publique
Les parents qui ont poussé les portes de son cabinet en juin dernier, Joyce Pitcher les associe a des lanceurs d’alerte. « Ils ne le font pas pour eux seulement. La majorité peut compenser la rupture des apprentissages soit en faisant prendre des cours particuliers à ses enfants, soit tout simplement car ils ont le bagage culturel pour les accompagner ». Une affirmation que confirme Sabine, un des parents qui a sollicité l’avocate. « Notre combat, nous le menons pour défendre l’école publique. Nos enfants sont protégés, on peut « compenser » en partie cette perte d’apprentissage mais les autres, les parents qui ne peuvent ou ne savent pas ? On voit l’école publique s’éteindre à petits feux bien que les professeurs se démènent. On ne peut assister à la longue agonie du système sans rien tenter. Je veux pouvoir dire à mes enfants que j’ai défendu l’école publique, et le service public en général ».
Sabine a découvert les absences non remplacées à l’arrivée de son enfant au collège, « avant on était protégés par l’organisation du système du premier degré » explique-t-elle. « L’enseignante de français de mon fils était absente et là je découvre la règle admise tacitement du « pas de remplacement pour les absences de moins de 15 jours ». Nos enfants n’ont pas eu cours de français pendant huit semaines. On a envoyé des mails, sans réponse. On s’est tournés vers la FCPE, aussi démunie que nous. On s’est épuisés en appels téléphonique, en mails, en courriers, en demande de rendez-vous. En vain. On a fini par se demander si cela valait le coup puisqu’on nous répondait qu’il n’y a tout simplement pas de profs. Notre collège est en éducation prioritaire. En quoi est-on prioritaire si même les cours ne sont pas assurés ? » fustige la maman.
Très vite, Sabine et les parents de son collège se rendent compte que leur situation n’est pas exceptionnelle. Et en effet, elle est loin d’être isolée. À l’image de L, maman d’un élève de première au lycée Ravel de Paris, dont le fils n’a pas eu cours de français pendant sept semaines sans que cela semble poser de souci à l’administration de l’établissements qui tergiverse sur le fait de l’indiquer sur le bulletin des élèves – bulletin consulté dans le cadre de la procédure de sélection ParcourSup.
En 2013, la FCPE révélait qu’un élève de Seine-Saint-Denis perd en moyenne un an de sa scolarité entre le CP et la terminale. En 2012, même la cour des comptes alertait sur le nombre important d’absences de moins de 15 jours sans remplacement. Le Président s’est d’ailleurs saisi du dossier et annonce depuis maintenant plusieurs mois que toutes les absences seront remplacées dès septembre 2023, comptant sur un nombre important de professeurs qui signeront le pacte. Et le sujet est sensible, pour preuve, la grande opacité qui entoure le nombre d’heures d’absences. Le gouvernement, pourtant si prompt à tenter de chiffrer les absences des élèves le jour de l’Aïd, ne s’est toujours pas saisi de la question…
Faire vivre un droit constitutionnel
Pour Guislaine David, porte-parole du SNUipp-FSU, « Cette action a le mérite de visibiliser la question du non-remplacement à l’école. Elle permet de montrer que l’État ne joue pas son rôle. Le Président ne cesse de déclarer qu’à la rentrée tous les remplacements seront assurés, c’est faux. Il n’y a pas assez de personnels. Et lorsque le Ministre est interrogé sur la spécificité du premier degré, il botte en touche en expliquant qu’il n’y a pas de sujet car les enfants sont tous accueillis ». Pour la responsable syndicale, la situation s’est dégradée depuis 2017. « Sur certains territoires, on a utilisé les postes de remplaçants pour compenser la pénurie de professeurs et avoir un professeur devant les élèves à la rentrée. Et puis, les dédoublements de classe se sont faits à moyens constants. L’administration a pioché sur les postes de remplaçants ». Et quand on évoque le recrutement de contractuels, elle rappelle qu’ils sont « recrutés à la va-vite et démissionnent pour certains au bout de quelques semaines ».
A ce jour, Joyce Pitcher gère des dossiers dans vingt académies. « Il y a des requêtes en indemnisation. On réclame 10 euros par heure de cours dans le second degré, 50 euros la journée dans le premier, 500 euros de dommages et intérêts pour les parents et le remboursement des frais occasionnés par l’emploi d’un professeur particulier quand il y a lieu. On a aussi des actions en référé, des actions d’urgence, auprès des tribunaux administratifs et cela a pas mal fonctionné. Les deux fois, on a eu tout de suite un remplacement ».
L’avocate et les parents se défendent de mener cette action pour de l’argent. « On donne la parole aux parents qui ne savent plus à qui s’adresser. Ils sont venus me voir après avoir tenté en vain de trouver des solutions. L’enjeu n’est pas de gagner de l’argent, mais de changer les choses, de trouver des solutions » précise l’avocate. « On a voulu tenté quelque chose qui n’avait jamais été tenté. On a décidé d’attaquer l’État via le cabinet de Joyce avec qui on s’est entendus pour que les procédures soient portées sans frais pour les familles » complète Sabine.
« C’est écrit dans la constitution, ce n’est pas une lubie de parents gauchos ambassadeurs du vivre ensemble » rappelle Sabine. Et en effet, dans le paragraphe 13 du préambule de la constitution de 1946, il est inscrit que : « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ». « Cette action, qui est tout de même judiciaire, permet de mettre en lumière cette problématique. Le droit à l’éducation n’est pas respecté, on demande la mise en jeu de la responsabilité de l’État du fait de sa défaillance » conclut Joyce Pitcher.
Lilia Ben Hamouda
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