En français 1ère, le programme a-t-il donné à étudier « une relation pédophile entraînant la mort de l’enfant » (Les Mémoires d’Hadrien), « un harcèlement sentimental et sexuel » (La Princesse de Clèves), l’itinéraire d’un pervers narcissique féminicide (Le Rouge et le Noir) ? A travers les œuvres proposées aux élèves, diffuse-t-on le male gaze (Manon Lescaut) et la culture du viol (Dom Juan, Valmont, Bel-Ami, Rodolphe …) ? L’ouvrage « Pour en finir avec la passion » interroge ainsi différentes œuvres, patrimoniales ou contemporaines, sous l’angle de la domination et de la violence masculines.
Les analyses de Sarah Delale, Élodie Pinel et Marie-Pierre Tachet y prennent le risque, jubilatoire et stimulant, de l’anachronisme. Elles invitent lecteurs et lectrices à mener l’enquête pour actualiser les œuvres et les rendre encore plus brûlantes. Elles montrent combien « l’abus en littérature » est aussi et surtout l’abus de la littérature : notre propension à considérer qu’elle est jeu formel avant d’être représentation du monde, notre tendance à proclamer la sacralité du texte plutôt que de déplier sa production et sa réception. « Prétendre que la littérature n’a pas de portée morale, ou que le but esthétique y compte plus que la morale, c’est déclarer que la lecture n’a que peu d’impact sur les représentations et la vie des individus – donc que la lecture ne sert à rien. » Y compris et surtout pour les élèves ? Il revient bel et bien aux professeur.es de lettres de redonner sens à la littérature en donnant plus d’ampleur à ses enjeux éthiques : en osant « appeler un chat un chat ».
Jean-Michel Le Baut
Sarah Delale, Élodie Pinel, Marie-Pierre Tachet : Pour en finir avec la passion – L’abus en littérature, Editions Amsterdam, avril 2023, ISBN 9782354802639
Sur le site de la maison d’édition