Sigrid Gerardin, secrétaire générale du Snuep-FSU revient sur les annonces d’Emmanuel Macron concernant le lycée professionnel. Selon elle, le gouvernement opère un basculement dangereux en évoquant la réforme du lycée professionnel à l’aune du chantier travail et de la loi travail. Le lycée professionnel quittera-t-il le ministère de l’Éducation nationale pour passer sous la tutelle du du ministère du travail ? Elle affirme aussi que la ministre Carole Grandjean a menti lorsqu’elle a assuré reculer sur l’augmentation des périodes de stage en novembre dernier.
Vous évoquez des craintes renforcées par le discours du Président lundi. Pourquoi ?
Le Président utilise la même méthode qu’avec les réformes des retraites. A l’autonome, les enseignants de lycées professionnels se sont massivement mobilisés contre la réforme portée par Carole Grandjean, ce qui l’a fait abdiqué sur son projet de 50% de stages en plus. Cette mobilisation a été l’occasion de pointer le manque criant de tout pour faire réussir les élèves à leurs épreuves de baccalauréat. L’année terminale est essentielle car elle prépare au diplôme. Diplôme qui reste toujours un sésame, un rempart pour l’avenir scolaire mais aussi pour leur vie professionnelle future. Les politiques publiques devraient donc s’inquiéter de savoir comment renforcer le service d’éducation et de la formation professionnelle. Or, quand Macron s’est exprimé, il a piétiné les besoins exprimés par les élèves, par les personnels et les organisations syndicales. Il a annoncé qu’il maintenait la réforme des lycées professionnels. Et mardi, après avoir discuté avec les organisations patronales, il a même annoncé qu’il y aura une loi. Cette loi n’a jamais été évoquée dans les concertations avec Carole Grandjean.
Justement, que signifient ces références répétées au travail lorsque le Président évoque la réforme des lycée professionnels ?
Les annonces de lundi lors desquels Macron place la réforme du lycée professionnel dans le chantier travail et celles de mardi qui la place dans la loi travail ont ravivé la colère des enseignants. S’il a besoin d’une loi, c’est qu’il envisage le basculement complet de la voie professionnelle scolaire vers le ministère du travail. Cela signifie basculement du statut des élèves, du statut des profs et certainement des grosses modifications des diplômes professionnels. Ils disent depuis longtemps qu’ils veulent en finir de cette société de diplômes – ils parlent bien entendu des diplômes de première qualification pas ceux des écoles de commerce ou d’ingénieurs. Est-ce qui les lycées professionnels resteront des lieux, sous égide de l’éducation nationale, où l’on forme à des métiers ou est-ce qu’ils vont se transformer en centre de formation à l’employabilité des élèves ? Pour nous, il y a une cohérence avec toutes les réformes libérales menées par ce gouvernement et ce président. Travailler toujours plus. Travailler plus pour les séniors, pour les personnes fragiles qui sont au chômage ou au RSA et faire travailler plus tôt les jeunes. Ce gouvernement renonce à une mission essentielle de service public qui est de former tous les jeunes dans l’école. C’est pour nous, un danger que l’on pointe depuis septembre lorsque l’on a su que l’on avait une ministre déléguée à l’enseignement professionnel qui était basé au ministère du travail.
Il s’agit d’un projet de société On a été capables de combattre une réforme, on mettra tout en œuvre pour combattre cette loi.
Il semblerait que la terminale de bac professionnel soit réorganisée. De quoi s’agit-il ?
Lorsque Carole Grandjean a annoncé reculer sur l’augmentation des stages, elle a menti. Elle a menti car elle continue de vouloir augmenter le nombre de semaines. Lors d’une réunion avec l’ensemble des organisations syndicales, son cabinet nous a proposé deux scenarios de modifications de l’organisation de la Terminale. Le premier, c’est augmenter de trois semaines les stages en Terminale. C’est une ligne rouge pour nous. L’année de terminale doit être consacrée à la préparation du diplôme du bac. La seconde hypothèse propose de se caler sur ce qui se fait en lycée générale et technologique avec la mise en place de toutes les épreuves écrites en mars. Les élèves partiraient ensuite six semaines en stage. Au retour, ils passeraient le grand oral. Ensuite, les groupes seraient scindés en deux. Ceux qui souhaitent poursuivre des études retourneraient en classe – c’est d’ailleurs méconnaitre notre public, maintenir nos élèves en classe est un défi quotidien. Pour les élèves qui souhaiteraient une insertion professionnelle, le ministère propose de les mettre jusqu’à dix semaines en stage, mordant ainsi sur les vacances. Ils stigmatisent une fois de plus les élèves de lycée pro qui n’auraient pas doit aux mêmes vacances scolaires que les autres élèves. Tout cela indique une volonté de changement de statut de nos élèves.
Quel projet porte votre syndicat ?
Nos projets reflètent les besoins des collègues dans les lycées professionnels. Nos élèves arrivent très jeunes. Il y a dix ans, 20% avaient 15 ans en arrivant. Aujourd’hui, c’est 95%. Quand ils quittent le lycée professionnel, ils ont 18 ans. Il y a quelques années, ils avaient 20-22 ans. Ce sont des jeunes bien souvent cabossés par la vie, avec des difficultés sociales, des difficultés scolaires cumulées. Ils ont besoin de temps. Il faut réinstaurer des parcours en quatre ans – et arrêter avec les trois ans – afin de donner du temps à des élèves qui en ont besoin. Il faut aussi travailler la qualité des stages. Quand on a des jeunes qui ont un stage à faire dans le cadre de leur parcours hygiène-propreté-stérilisation et qu’il n’y a pas de berceau de stage qui proposent de travailler ça, ils se retrouvent en grande surface à effectuer des tâches de propreté. Ce n’est pas sérieux, on ne peut pas offrir ça à notre jeunesse. Une jeunesse qui n’a déjà pas grand-chose. Il faut aussi sécuriser les stages. Plusieurs études ont montré que nos jeunes sont exposés à des produits chimiques.
Aujourd’hui, ce sont 4,5 milliards qui sont dédiés au budget des lycées professionnels. 12 milliards d’argent public, pour à peu près le même nombre d’élèves, sont distribués pour l’apprentissage. Ce n’est pas entendable. Il faut absolument améliorer les conditions de travail et salariales des collègues pour rendre attractif le métier. On a aussi besoin d’équipes pluriprofessionnels dans les lycées pro qui ont, dans leur très grande majorité, un IPS alarmant. Avant, nous avions une infirmière et un psychologue à temps complet dans chaque établissement.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda