Situé dans le quinzième arrondissement, le Lycée Autogéré de Paris (LAP) accueille depuis 40 ans des élèves qui ont besoin d’un autre cadre pour apprendre. Il est aujourd’hui menacé dans son fonctionnement par le Rectorat de Paris qui veut le placer sous l’autorité d’un chef d’établissement et briser son projet d’origine. Une délégation sera reçue ce matin par le rectorat. L’occasion pour elle de réaffirmer son attachement sans faille aux trois principes fondateurs du projet : l’absence de hiérarchie, la libre fréquentation des élèves et la cooptation de l’équipe enseignante. Emmanuelle Sliman, membre de cette délégation et enseignante dans ce lycée après y avoir été élève répond aux questions du Café pédagogique.
Qu’est-ce que le Lycée Autogéré de Paris ?
Le Lycée Autogéré de Paris est un lycée au fonctionnement particulier. Né en 1982, il offre une alternative au lycée traditionnel au sein de l’Éducation nationale à des élèves âgés de 15 à 21 ans décrocheurs, en rupture scolaire, en souffrance ou désireux et volontaires d’apprendre autrement. Sous l’impulsion d’Alain Savary, alors ministre qui avait la volonté de favoriser l’expérimentation au sein du service public d’éducation, un groupe d’enseignants et d’élèves militants s’est formé autour du projet de « changer l’école ». C’est ainsi qu’a débuté l’aventure du lycée Autogéré de Paris.
Mais concrètement, comment cela fonctionne ?
Le LAP est géré par les enseignants et les élèves, il dépend administrativement et budgétairement du lycée Jean Lurçat. L’équipe est composée de 25 enseignantes et enseignants et de 250 élèves. Nous fonctionnons en autogestion. Tous les membres du lycée, enseignants et élèves, participent aux activités pédagogiques et se partagent responsabilités, tâches du quotidien et prises de décisions. L’éducation à la démocratie y est ancrée dans la pratique quotidienne : élèves et professeurs sont amenés à exprimer leurs points de vue et à décider ensemble du fonctionnement collectif.
Et comment les jeunes arrivent jusqu’à vous ?
Le LAP n’est pas soumis à la carte scolaire et peut donc scolariser n’importe quel élève de France. Notre procédure d’inscription est dérogatoire, nous ne regardons pas les dossiers scolaires et ne tenons pas compte des avis d’orientation prononcés par l’établissement précédent. La procédure d’inscription est la suivante : une réunion d’information, deux jours de stage dans l’établissement et un entretien individuel. Les profils d’élèves accueillis sont divers.
Autogestion et coopération sont des principes fondateurs de la structure et ne peuvent exister que dans le cadre d’un espace de liberté pour les élèves. Ainsi, un des piliers du projet est la libre fréquentation des activités. Ce principe repose sur la présence volontaire des élèves : les absences ne sont pas sanctionnées et elles ne sont pas communiquées aux parents. Pour des élèves précédemment mis en échec, en rupture, souvent en souffrance dans le système scolaire, ce principe est indispensable à leur retour à l’école, à leur reprise de confiance et, plus fondamentalement, à leur épanouissement, à leur responsabilisation et à leur émancipation.
Que font les jeunes après un passage au LAP ?
Certains élèves préparent le bac au lycée, ils l’ont comme ailleurs. Mais ils sont nombreux à ne pas le préparer. Soit parce qu’ils développent d’autres projets de formation, soit parce qu’ils n’arrivent pas à se consacrer à cette préparation de l’examen.
Le projet du lycée autogéré n’est pas d’obtenir d’excellents résultats au baccalauréat. Le projet c’est plutôt de permettre à des jeunes adultes de vivre une expérience collective qui leur permette de se réassurer sur leurs capacités à construire un projet et de s’émanciper.
Et l’institution vous « laisse tranquilles » depuis 40 ans, quel que soit l’occupant de la rue de Grenelle ?
Depuis quarante ans, ministres et recteurs, aux idées politiques et pédagogiques diverses, se sont succèdes en confirmant l’intérêt et l’utilité́ de ce projet d’autogestion au sein de l’Éducation Nationale. Pourtant, en juin 2022, le Recteur de l’Académie de Paris a refusé de renouveler la convention qui, depuis 2010, encadrait le statut dérogatoire du lycée et permettait ce fonctionnement alternatif. Suite à une évaluation sommative, rédigée sans critères ni aucune période d’observation, le rectorat remet en question le fonctionnement autogestionnaire du LAP, notamment le principe de libre fréquentation et l’absence de hiérarchie. Il veut placer le collectif sous l’autorité d’un proviseur, en l’occurrence celle de son lycée de rattachement, le lycée Jean Lurçat.
Mais ce qui arrivé au LAP n’est pas anodin. Ces attaques adressées aux établissements alternatifs, comme au lycée expérimental de Saint-Nazaire ou à l’école Vitruve, s’inscrivent, plus globalement, dans un contexte de casse du service public d’éducation. Tous les établissements scolaires publics, du primaire au secondaire, subissent des baisses drastiques de moyens et des fermetures. La remise en cause des principes fondateurs du LAP, dont les seuls objectifs sont sa rentabilisation et sa normalisation, met en péril son existence même. Elle est emblématique d’une politique de destruction de nos services publics, de notre système de retraites, de nos capacités à prendre en mains nos biens collectifs et nos existences.
Que demandez-vous aujourd’hui ?
Nous demandons à pouvoir continuer à fonctionner avec les principes de fonctionnement qui sont au fondement de notre projet. C’est à dire, l’absence de hiérarchie en interne, la libre fréquentation et la cooptation des enseignants et enseignantes de l’équipe.
Les élèves et parents d’élèves, actuels et passés, membres de l’équipe pédagogique, amis et soutiens du Lycée Autogèré refusent la fin annoncée d’un projet qui a fait ses preuves et attire aujourd’hui de plus en plus de lycéens et de lycéennes souhaitant reprendre en mains leur scolarité.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Pour que le LAP puisse continuer à exister en toute autogestion, pour que d’autres expériences éducatives émancipatrices puissent se développer et garantir leur pérennité au sein de l’Éducation nationale, une pétition est en ligne