La nouvelle loi « pour l’école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité » étudiée par le Sénat le 11 avril pourrait radicalement changer l’Ecole. D’autant que, proposée par le sénateur Les Républicains Max Brisson, elle sera très probablement adoptée. La majorité de droite y a concentré sa vision de l’Ecole : des écoles et établissements publics sous contrat, des directeurs qui évaluent les enseignants, des professeurs du 2d degré bivalents et des élèves en uniforme. La droite fait de l’Ecole son champ de bataille idéologique et entend profiter de la faiblesse d’un gouvernement à la recherche d’une majorité…
Une proposition de loi très politique
« Cette proposition de loi intègre des marqueurs politiques du groupe LR » nous avait dit, début mars, Max Brisson. Le groupe LR du Sénat veut « marquer ses orientations et ses idées de réformes nécessaires par rapport à un gouvernement qui n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale et doit donc travailler avec le Sénat« . Sa proposition de loi réunit en seulement 12 articles toutes les transformations que la droite veut apporter à l’École.
Des établissements publics privatisés
La proposition de loi demande la création d’écoles et établissements publics sous contrat avec l’Etat. Ce contrat de 5 ans définit l’allocation des moyens par le rectorat. Ces nouveaux établissements seraient gérés comme des établissements privés sous contrat. Le directeur d’école, par exemple, pourrait évaluer les enseignants. Car ce nouveau statut concernerait aussi des écoles primaires qui deviendraient des établissements publics, sous la seule réserve de l’accord du maire.
Chaque chef d’établissement pourra choisir ses enseignants. Il pourra aussi modifier son organisation pédagogique c’est à dire aussi bien déroger à l’organisation des obligations de service des enseignants qu’à la répartition horaire des enseignements. La proposition de loi va donc très loin dans la dérogation, bien plus loin que le privé sous contrat. Elle créerait en France l’équivalent des « académies » britanniques qui disposent de fonds publics pour une gestion totalement libre du service éducatif.
Le justificatif avancé est bien sur la réussite des élèves. On est dans une gestion axée sur les résultats. Max Brisson s’appuie sur les recommandations de l’OCDE et sur le modèle du Nouveau Management Public. Mais aucune évaluation sérieuse n’a montré son efficacité.
Dans le même esprit, la proposition de loi prévoit de doter les directeurs d’école de « l’autorité hiérarchique » sur les enseignants. » À partir d’un nombre de classes au sein d’une école défini par décret, le directeur de l’école dispose d’une autorité hiérarchique dans le cadre des missions qui lui sont confiées et participe, en lien avec l’inspecteur de l’éducation nationale, à l’évaluation des enseignants de son école« , prescrit la proposition de loi.
La formation des PE confiée à l’administration
L’intérêt pour le premier degré va plus loin. Le texte prévoit de séparer complètement la formation des enseignants du premier degré de ceux du second degré. Les INSPE seraient réservés au 2d degré. Les professeurs des écoles seraient formés dans des « écoles supérieures du professorat » placées sous la tutelle du ministre de l’éducation et du recteur. La coupure avec l’université serait totale dans leur administration. Nous voilà revenu au bon vieux temps des écoles normales même si la formation finale est gratifiée d’un master. La proposition de loi accumule d’ailleurs les poncifs qui sentent bon la siècle dernier : » Dans le cadre de leurs missions, elles assurent le développement et la promotion de méthodes pédagogiques innovantes. Elles forment les professeurs des écoles stagiaires à la maîtrise des outils et ressources numériques, à leur usage pédagogique« . Mais ce qu’on attend des professeurs des écoles c’est leur conformité idéologique : » Elles organisent des formations de sensibilisation à l’enseignement des faits religieux, à la prévention de la radicalisation, à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les discriminations, à la manipulation de l’information, à la lutte contre la diffusion de contenus haineux« , sans oublier les élèves « à haut potentiel« .
Bivalence et rupture du statut
Pour les enseignants du second degré, la proposition de loi a ajouté en commission un paragraphe sur la bivalence. Elle » prévoit des mesures favorisant le recrutement, sur la base du volontariat, d’enseignants bivalents « .
Pour tous les enseignants, la proposition de loi prévoit une procédure dérogatoire d’affectation par contrat direct entre l’Etat et l’enseignant. » L’affectation d’un enseignant peut procéder d’un engagement réciproque conclu avec l’autorité de l’État responsable en matière d’éducation pour une durée déterminée« . C’est la fin de la procédure nationale d’affectation.
Marqueurs politiques
La proposition de loi s’adresse aussi à des clientèles particulières. Un nouvel article ajouté en commission perpétue les jardins d’enfants, supprimés à terme par la loi Blanquer. L’article 9 bloque pour trois ans les fermetures de classes rurales en cas de désaccord avec le maire. Il fait des territoires ruraux de nouvelles zones prioritaires bénéficiant de « moyens et dispositifs spécifiques » (article 8). Rappelons que les territoires ruraux ont déjà davantage de moyens d’enseignement que les zones urbaines. Les résultats scolaires y sont d’ailleurs meilleurs. Mais les sénateurs (y compris Max Brisson dans quelques semaines) sont élus par un collège où les maires ruraux sont majoritaires…
La proposition de loi affiche les « marqueurs » de droite les plus caricaturaux. Ainsi le texte interdit le port de signes religieux aux parents qui accompagnent les sorties. La mesure pénaliserait les mêmes enfants que la précédente. Elle exige le port de l’uniforme pour tous les élèves. « Les élèves des écoles primaires, des collèges et des lycées portent une tenue vestimentaire uniforme au sein de leur établissement« .
Une proposition de loi qui a de l’avenir
Quel sera l’avenir de cette proposition de loi ? Très probablement elle sera adoptée par le Sénat le 11 avril, y compris avec ses « marqueurs » les plus droitiers. Ceux-ci sont le point faible du texte. Pap Ndiaye a eu l’occasion à plusieurs reprises, et encore récemment devant l’Assemblée, de mettre en doute le handicap des écoles rurales. Il a aussi montré son opposition à l’uniforme. On verra, le 11 avril, quel sera son avis sur ces écoles publiques totalement privatisées ou sur le retour des écoles normales.
Pour appuyer sa proposition de loi, la droite sénatoriale met en avant le lourd bilan des années Blanquer. En février 2022 la commission de l’éducation du Sénat adoptait un rapport évoquant » une politique publique menée dans la précipitation, à la mise en œuvre mal accompagnée ». Plus récemment, le Sénat a publié un rapport sévère sur le métier enseignant. Mais, tout au long du premier quinquennat, le Sénat a vivement soutenu les réformes menées par JM Blanquer, lui apportant un soutien politique remarqué quand le ministre était en difficulté. Le bilan des années Blanquer est donc aussi celui de la majorité de droite du Sénat.
Trois faits ouvrent une belle avenue à cette proposition de loi. D’abord sa conformité avec la privatisation de l’éducation entreprise par Emmanuel Macron. Si le président a fait de l’Ecole une priorité c’est bien dans une perspective libérale affirmée et réaffirmé tout au long de ces 6 années. Celle-ci, comme la proposition de loi, peut s’appuyer sur les rapports de la Cour des Comptes. Depuis des années, la Cour demande l’autonomie des établissements et la révision du statut des enseignants. La Cour a réaffirmé sa vision de l’Ecole en janvier 2023. Elle prolonge en France le New Public Management et son « inévitable » privatisation de l’Ecole.
Nettoyée des scories de l’uniforme et de l’obsession religieuse, la proposition de loi vient de loin et dispose des appuis nécessaires. Elle bénéficie maintenant d’un moment particulier. Celui d’un exécutif aux abois qui ne peut faire passer ses projets de loi qu’avec le soutien de la droite. On saura bientôt à quelle échéance la proposition Brisson pourra trouver place dans l’agenda de l’Assemblée nationale. Sans bouleversement du jeu politique, ce sera un moment où l’avenir de l’Ecole et celui des enseignants se jouera.
François Jarraud
L’éducation nouveau chantier de la droite