Mercredi 29 mars, les organisations syndicales de l’éducation ont participé à une réunion sur la direction d’école. Le ministère a présenté les décrets d’application de la loi Rilhac. Pour une majorité des syndicats, la réponse apportée par la rue de grenelle est loin des besoins exprimés par les directeurs et directrices. « « Rien n’est dit sur les décharges, ni sur le temps dont ont besoin les directeurs et directrices pour accomplir leurs missions et rien sur l’aide administrative. Le problème de fond de la direction d’école reste donc le même. Il n’y a rien pour améliorer les conditions de travail » s’agace Guislaine David, co-secrétaire générale du SNUipp-FSU. Pour certains, comme le SGEN-CFDT, c’est un bon début. « Ces projets de décrets reconnaissent la fonction et les missions du directeur, enfin » confie Jean-Marc Marx secrétaire fédéral du syndicat.
Pour le ministère, ces décrets sont plus du toilettage qu’une grande révolution. Pourtant quelques nouveautés sont à souligner. Dorénavant, pour pouvoir être inscrits sur la liste d’aptitude à la fonction de directeur, les professeurs des écoles devront avoir trois ans d’ancienneté – contre deux auparavant. Il faudra aussi qu’ils aient participé à un stage de formation en amont – sur temps scolaire, ou hors temps scolaire. Les directeurs et directrices devraient grâce à ces textes bénéficier d’un avancement de carrière accéléré, une bonification de trois mois par an pour le passage d’un échelon à un autre. Enfin, tous les directeurs et directrices seront évalués dans le cadre d’une évaluation spécifique à leur fonction au bout de trois ans – lors de leur prise de fonction, puis tous les cinq ans.
Sur les demandes formulées à la suite du suicide de Christine Renon – qui a laissé une lettre dénonçant les conditions d’exercice des directeurs et directrices, rien de nouveau. Pour rappel, les trois principales revendications étaient : une augmentation des temps de décharge, un allégement des tâches administrative et l’emploi d’une aide administrative. Sur l’augmentation des décharges, dès la rentrée 2022, les directeurs et directrices ont eu satisfaction – même si cela reste insuffisant selon certains syndicats. Les écoles de six et sept classes sont passées de 0,25 à 0,33 de décharge et dès 12 classes, les directeurs et directrices sont dorénavant entièrement déchargés. Rien pour les plus petites écoles, qui conservent six jours de décharge par an pour une école à classe unique, 12 pour les deux et trois classes et un par semaine – 0,25 – pour les écoles de quatre et cinq classes.
Une avancée pour le SE-UNSA et le SGEN-CFDT
Alors qu’une partie des syndicats ne se satisfait pas de ces annonces, le SGEN-CFDT et le SE-UNSA y voit une notable avancée.
« Ces projets évitent des glissements managériaux qui méconnaîtraient la culture professionnelle de l’école et comportent des avancées en particulier en matière de carrière » explique Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-UNSA. « L’avancement accéléré est une des revendication portée par le SE-UNSA, nous sommes donc ravis d’avoir été entendus ». Pour le syndicat, les décrets d’application n’alourdissent pas la charge du directeur, « nous sommes donc satisfaits d’avoir été entendus ».
Autre syndicat satisfait, le SGEN-CFDT qui milite depuis de nombreuses années pour un statut de l’école et la reconnaissance de la fonction de directeur. « Ces projets de décrets reconnaissent la fonction et les missions du directeur, enfin » se réjouit Jean-Marc Marx secrétaire fédéral du syndicat. « Cela permet d’introduire la fonction de directeur dans le code de l’éducation alors qu’auparavant elle était implicite ». Mais « pour nous cela ne va pas assez loin, il n’y a pas la liste de délégations de compétences hormis ce qui concerne le contrôle de l’assiduité des élèves en petite section ». Le responsable syndical salue, par ailleurs « l’inscription dans le marbre » du fait que les directeurs soient seulement consultés dans l’élaboration du PPMS et n’en aient plus la responsabilité.
Un statut en filigrane pour le SNUDI-FO
A l’opposé, plusieurs syndicats, le SNUipp-FSU, SUD éducation, la CGT éduc’action et le SNUDI-FO, fervents opposants au statut d’un directeur et à la loi Rilhac, voient dans ces décrets d’applications une dérive.
Pour Christophe Lalande, secrétaire fédéral du SNUDI-FO, ces textes instaurent, de façon implicite, un statut aux directeurs d’école. « À partir du moment où ils ont une évaluation particulière, cela sous-entend un statut différent des autres enseignants ». « Sur quoi va se baser cette évaluation ? Surement sur des objectifs qui auront été préalablement définis, un peu comme dans le privé » poursuit le responsable syndical. « Dans ce texte, il y a de nouvelles missions. Le fait d’introduire l’obligation de participer aux liaisons école-collège et que le directeur rende compte au conseil d’école de ce qui est fait pour la prise en charge des élèves en situations de handicap vise à alourdir sa responsabilité dans la logique de la loi Rilhac et de « l’école est son propre recours ». Le directeur devient responsable de son bon fonctionnement, ce qui vise à dédouaner l’institution sur un certain nombre de points ». Autre sujet d’inquiétude, le rappel dans le décret que le Dasen peut retirer le poste à un directeur « sans avoir même à se justifier, sans procédure disciplinaire ». Et sur l’avancement accéléré, Christophe Lalande y voit « une carotte » qui n’est pas « négligeable » mais « cette disposition aurait pu être mise en place sans contrepartie ». « Ce serait une reconnaissance de la charge de travail du directeur. Mais ce n’est pas le choix qui est fait » conclut-il.
Une autorité fonctionnelle qui est loin d’être claire pour le SNUipp-FSU et la CGT éduc’action
Au SNUipp-FSU aussi, on n’est pas satisfait. « Dans les discussions que nous avons eu avec le Ministère, on voit bien qu’il n’y a pas de garde-fou sur la question de l’autorité hiérarchique » dénonce Guislaine David, secrétaire générale du syndicat. « Ils ne veulent pas décliner l’autorité fonctionnelle dans le décret, malgré nos sollicitations. Le manque de clarté sur ce que signifie cette autorité engendrera des interprétations différentes d’un territoire à l’autre, d’un IEN à l’autre. Et lorsque nous demandons que soit clairement inscrit dans le texte que le directeur n’est pas supérieur hiérarchique, le ministère refuse. Quand on lie ce projet de décret au Pacte, on voit bien que tout concourt à donner une autorité ». Pour la porte-parole du syndicat, même si « le ministère dit que ce n’est qu’un toilettage du décret, on voit que cela va bien plus loin et qu’il y a un risque de transformation de l’organisation de l’école. Cette autorité isolera le directeur du reste de l’équipe ». Pour l’élue syndicale, la loi Rilhac et ces décrets n’apportent aucune réponse aux besoins exprimés par les directeurs et directrices au lendemain du suicide de Christine Renon. « Rien n’est dit sur les décharges, ni sur le temps dont ont besoins les directeurs et directrices pour accomplir leurs missions et rien sur l’aide administrative. Le problème de fond de la direction d’école reste donc le même. Il n’y a rien pour améliorer les conditions de travail des directeurs ».
Jérôme Sinot, secrétaire national de la CGT éduc’action, partage les craintes de Guislaine David. « L’autorité fonctionnelle est en filigrane, le ministère ne veut pas la définir ce qui permettra à chaque Dasen de l’ajuster au cas par cas. On va vers un isolement des directeurs et directrices car on va leur donner plus de responsabilités, plus de charge de travail. Tout cela va les isoler du reste de l’équipe. C’est une première marche vers un statut ». Pour le responsable syndical, « on s’éloigne de l’identité historique des écoles avec un fonctionnement collectif, des directeurs et directrices qui sont des pairs parmi les pairs. Dès qu’il y a une forme d’autorité, il y a une forme de hiérarchie et la hiérarchie n’a jamais permis le fonctionnement collectif. Le second degré en est un parfait exemple ». Pour lui, il n’y a rien de ce que demandaient les directeurs dans ces décrets, « les principales avancées, elles étaient là avant (ndlr : décharge de direction). Et ce qu’attendaient les directeurs et directrices, c’était l’aide administrative, et cela n’a même pas été évoqué par le ministère pour qui c’est de la compétence des collectivités territoriales ».
« Mettre en place une nouvelle hiérarchie dans le premier degré ne correspond pas du tout à la demande des personnels et ne répond pas aux besoins des écoles » dénonce Sud éducation. « Il s’agit d’une mesure idéologique, que rien ne justifie hormis la volonté d’un gouvernement bien décidé à mettre au pas les enseignants. Les écoles ont besoin de moyens supplémentaires: temps de décharge supplémentaire qui pourrait être partagé entre les collègues et d’un allègement des tâches administratives pour la direction ».
La place du directeur dans l’école fait débat. Plusieurs visions de l’école et de son organisation se confrontent. Jusqu’à présent, la gestion de l’école était supposée reposé sur une organisation collective dont le directeur est le « chef d’orchestre ». Ces décrets modifieront-ils l’organisation des écoles ? Est-ce que cela suffira à remonter le « moral des directeurs », en berne selon une étude de 2018 de Geoges Fotinos ?
Lilia Ben Hamouda