Alors qu’aucune annonce officielle n’a été faite, le Service National Universel (SNU) ne cesse de faire parler de lui. Nombreuses sont les associations, syndicats ou encore personnalités politiques à s’être d’ores et déjà positionnés contre sa généralisation. En effet, le bruit court que le Président pourrait annoncer son caractère obligatoire pour tous les élèves de seconde et de terminale CAP. Pourtant rendre obligatoire le SNU dès la prochaine prochaine rentrée semble une mission impossible. Ça bloque et pas seulement sur le fond de la mise en place d’un « service militaire bis » comme le présentent certains, mais aussi du côté des moyens financiers. Trouver assez de personnels et les locaux nécessaires paraît irréalisable en si peu de temps. Même pour la très motivée secrétaire d’État, Sarah El Haïry.
Du côté de la commission des finances du Sénat, la généralisation du Service National Universel (SNU) bloque. Le 9 mars dernier, Éric Jeansannetas, sénateur de la Creuse et rapporteur spécial de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » a présenté devant la commission des finances les conclusions de son contrôle budgétaire sur le SNU. Pour ce faire, il a étudié et chiffré les deux scenarii qui sont présentés au Président : un hors temps scolaire et un obligatoire sur le temps scolaire.
Alors que le Sénateur reconnaît que 9 jeunes sur 10 ayant participés au séjour de cohésion en 2022 sont satisfaits, il tempère ce chiffre en notant la surreprésentation des jeunes dont l’un des parents travaille dans le corps en uniforme (32% contre 2% dans la population générale). Grands absents du SNU, les jeunes issus de quartiers populaires ne représentent que 5% de la promotion 2022.
Par ailleurs, « le rythme du déploiement du SNU s’est déroulé de manière plus lente que prévu » indique le rapport. Un retard qui, pour le rapporteur spécial, ne saurait être seulement imputable à la crise sanitaire. En effet, Sur l’objectif de 50 000 jeunes, seulement 32 416 ont répondu à l’appel, en prenant en compte les 20% de jeunes admis qui se désistent au dernier moment.
Pour Éric Jeansannetas, « le SNU est loin de la carricature de ‘service militaire bis’ qui en est parfois faite ». Toutefois, il recommande de « surseoir au projet de généralisation du séjour de cohésion » et cela pour plusieurs raisons.
Comment articuler École et SNU ?
Premier point, la nécessaire articulation entre l’administration du SNU et de l’éducation nationale si le séjour de cohésion a lieu sur temps scolaire. « L’absence des élèves pendant les deux semaines du séjour de cohésion aura un impact sur la structuration des programmes, et fera l’objet d’oppositions au sein de l’éducation nationale. Si ce scenario devait être mis en œuvre, il faudrait s’assurer que les élèves de seconde « rattrapent » les deux semaines de cours perdues ».
D’autre part, note le sénateur, « l’obligation de participer au séjour de cohésion se retrouverait mêlée avec « l’obligation scolaire », qui s’applique pour les jeunes français ou étrangers jusqu’à 16 ans révolus. Toutefois, il n’est pas certain que le SNU puisse se « fondre » entièrement dans l’obligation scolaire. En l’état actuel du droit, dès lors qu’un voyage scolaire prévoit une nuitée, il n’est pas obligatoire d’y participer, et étendre l’obligation pourrait constituer une atteinte aux libertés individuelles. Ainsi, il est probable que la généralisation de deux semaines de séjour de cohésion en hébergement collectif, même sur le temps scolaire, suppose au moins d’adopter une loi ».
Encadrer le SNU : une charge financière trop coûteuse
Autre frein, le personnel encadrant. Pour les besoins de son rapport, le sénateur a chiffré les besoins d’encadrement d’un SNU généralisé et imposé. Il faudrait recruter entre 14 000 et 16 153 personnes – contre 39 375 et 52 500 dans le cadre d’une généralisation hors temps scolaire, avec un nombre d’encadrants en simultané important, entre 7 000 et 8 076, qui devront être disponibles tout au long de l’année. Consultées, les organisation de l’éducation populaire ont affirmé que la généralisation sur le temps scolaire avait leur préférence dans « la mesure où ils n’ont pas vocation à prêter du personnel sur des périodes courtes ». Selon le rapporteur, l’encadrement du SNU mériterait une formation spécifique, une « filière » du SNU qui « nécessiterait ainsi plusieurs années pour être opérationnelle » et dont « le coût serait important ». Les chefs de centre, à 50% des membres de l’Éducation nationale et des corps en uniforme, ne seraient, par ailleurs, pas disponibles dans le cas d’un SNU sur temps scolaire.
Pas assez de centres
Dernier frein, le nombre de centres d’hébergement. « Il a déjà été difficile de trouver suffisamment de lieux d’accueil pour sessions de 2021 et 2022 » souligne le rapporteur. Entre 748 et 862 seraient nécessaire dans le cadre d’un SNU sur temps scolaire. Il en faudrait entre 374 et 431 en simultané pour accueillir entre 56 000 et 64 615 jeunes par séjour. Si le SNU avait lieu hors temps scolaire, les internats scolaires pourraient être occupés, ce qui est impossible sur le temps scolaire.
Autre piste, les accueils collectifs de mineurs mais ils ont une capacité d’accueil trop réduite (96 par centre) alors que l’objectif d’accueil est de 200 par centre. « La nécessité de recourir à des centres de petite taille conduirait à multiplier le nombre de centres ce qui augmenterait les coûts du séjour de cohésion » explique Éric Jeansannetas. « Recourir davantage aux centres de vacances comporte également le risque de rendre l’État trop dépendant d’acteurs privés dans l’organisation des séjours de cohésion, ce qui se traduirait par une augmentation des coûts, et des incertitudes sur la disponibilité des centres d’une année à l’autre. La rénovation de centres existants, qui ne sont plus aux normes voire qui ont fermé, a été évoquée comme un levier pour atteindre le nombre de centres suffisant pour accueillir les jeunes accomplissant le séjour de cohésion ». Le coût ainsi que les délais de rénovation ne sont donc pas « compatibles avec un scenario de généralisation rapide du service national universel » conclut le rapporteur.
Toutes ces raisons amènent le sénateur de la Creuse – membre du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain – à recommander « de surseoir au projet de généralisation du séjour de cohésion ». Il recommande, par ailleurs, de « supprimer la phase 2 du SNU, « la mission d’intérêt général » au profit de la phase 3, la phase d’engagement volontaire sur plusieurs mois », de « davantage valoriser l’accomplissement de la phase d’engagement volontaire via Parcoursup » et de « garantir que le Parlement puisse se prononcer sur le SNU » – ce qui n’est pas annoncé pour l’instant.
Lilia Ben Hamouda