La suppression de la technologie annoncée dans la presse – mais non officiellement – ne laisse pas sans voix les enseignants de la discipline. Fabrice Cizeron, professeur de technologie et membre du bureau de l’ASSETEC (association nationale pour l’enseignement de la technologie) explique le contenu réel des cours de technologie en 6ème. En effet, de nombreuses compétences, qui nécessitent du matériel, ne sont pas travaillées en CM1-CM2. L’enseignant voit surtout « un problème de ressources humaines ». Concentration des professeurs titulaires sur le cycle 4 « tout en réduisant fortement le nombre de postes ». Design, codage, énergie renouvelable et impact environnemental des matériaux passeront-ils à la trappe à la rentrée 2023 ?
Comment expliquez-vous cette annonce sur l’emprise d’une heure de technologie en 6ème ?
A la fois je me l’explique et je ne me l’explique pas.Le ministère a identifié des lacunes de plus en plus importantes en français et mathématiques aux évaluations nationales réalisées en début de 6ème. Il propose donc une action qu’il dit forte pour remédier aux conséquences sur le niveau 6ème alors qu’on aurait pu s’attendre à une action sur les causes de ces difficultés dans les niveaux qui précèdent.
La solution miracle est la création d’une heure de « consolidation ou d’approfondissement » en français et en mathématiques. Cette heure nouvelle devant évidemment s’insérer à moyen constant, il est nécessaire de l’ajouter au détriment d’une discipline. Il est alors logique de la ponctionner sur le bloc « sciences et technologie » présent au cycle 3, passant ainsi de 4h à 3h.
Le choix de répartir cette réduction sur l’ensemble des 3 disciplines concernées (SVT – PC et technologie) aurait pu être fait. Celui de laisser de l’autonomie à chaque établissement en fonction de ses contraintes locales également. En fléchant cette réduction sur la seule technologie, le ministère résout ainsi une autre des difficultés qu’il a laissé installer depuis longtemps le problème des ressources humaines dans la discipline. En effet, des postes restent parfois longuement non pourvus dans certains établissements. De plus en plus sont également occupés par des enseignants contractuels qu’il sera simple de ne pas reconduire en réduisant le volume horaire de la discipline. Le ministre oublie également de préciser que les enseignants de technologie ne faisaient que rarement 1h sur les 4h du bloc en 6ème, dans la plupart des collèges il s’agissait de 1,3 – 1.5 voir 2h sur les 4.
La consigne donnée par les DASEN aux chefs d’établissement est de supprimer complètement cet enseignement et non pas de le réduire à 1h. Le deuxième objectif, celui-là non médiatisé est donc de régler un problème de RH en concentrant les professeurs titulaires sur le cycle 4 tout en réduisant fortement le nombre de postes.
Le ministère « assure qu’il n’y aura pas de suppression de poste d’enseignants » sous-entendu titulaires et « promet un renforcement de la technologie sur le cycle 4 ». Aucune info n’est donnée sur ce que veut dire « renforcement ». Cela sera-t-il des 1/2h supplémentaires pour compenser ? C’est peu probable car cela serait fait au détriment de quelle discipline à moyen constant ? Et si c’est bien le cas, cela n’arrivera de toute façon qu’en 2024. Entretemps, de nombreux enseignants titulaires se seront retrouvés en complément de service dans un autre établissement, parfois loin du leur car tous les collèges vont réduire leurs heures de technologie. Les contractuels, parfois en CDD depuis plusieurs années, perdront pour beaucoup leur poste.
Qu’étudient les collégiens de 6ème lors des cours de technologie ?
Les programmes de 6ème ne flèchent pas les compétences au programme vers les disciplines SVT – PC et techno. Si les thématiques « la planète Terre. Les êtres vivants dans leur environnement » et « Le vivant, sa diversité et les fonctions qui le caractérisent » sont bien sûr généralement travaillées par un professeur de SVT, une autre « Matière ; mouvement, énergie et information » se répartie parfois entre physique-chimie et technologie.
La thématique « Matériaux et objets techniques » est le plus souvent traitée en technologie en particulier les compétences « Concevoir et produire tout ou partie d’un objet technique… » et « repérer et comprendre la communication et la gestion de l’information » nécessitant toutes les deux les matériels présents en salle de technologie.
Il est à noter que bien souvent ces compétences du cycle 3 sont peu travaillées en CM1-CM2 et les professeurs de technologie doivent les faire découvrir aux élèves. C’est la raison pour laquelle de plus en plus d’élèves arrivent au collège sans savoir ce qu’est un tournevis, sans jamais avoir touché un ordinateur. Il y a encore 10 ans, une grande majorité d’entre eux était équipée à la maison. Aujourd’hui, beaucoup n’ont au mieux qu’une tablette ou un smartphone et ne trouvent pas le bouton marche/arrêt de l’unité centrale. La technologie en 6ème est ainsi un vecteur d’égalité entre les élèves.
Les académies des sciences et celle des technologie évoquent « un choix regrettable, au moment même où s’éveillent de premières vocations ». En quoi voyez-vous ces vocations chez les élèves ?
Les élèves de 6ème sont bien souvent encore pleins d’énergie et de curiosité sur ces enseignements nouveaux pour eux, et leur investissement y est généralement important, particulièrement pour ceux qui ont parfois des difficultés dans d’autres disciplines. En technologie, nous faisons du français (lecture de documents, de consigne, rédaction de réponse argumentées), nous faisons des mathématiques (calculs de dimensions, d’aires de volumes, d’échelles, de vitesse, de pourcentage), de l’anglais (notice d’utilisation, logiciels non traduits), de l’histoire (des objets et des techniques), de l’arts plastique (design, créativité), de physique (électricité, mécanique) et de la SVT (énergie renouvelable), etc. Les autres disciplines sont des outils que nous empruntons pour leur permettre une meilleure connaissance du monde qui les entoure. Nous rendons concret des connaissances parfois trop théoriques.
Toutes les questions, parfois difficiles à canaliser, montrent l’intérêt de beaucoup d’entre eux. Les yeux qui brillent quand on sort des petits robots sur les tables nous encouragent.
La fin de l’obsolescence programmée et le réparer soi-même sont des sujets majeurs de développement durable. Comment la technologie prend-elle déjà sa part dans ces sujets ?
Les systèmes et objets techniques sont trop souvent des boîtes noires pour nos élèves. « Comment une voiture peut-elle avancer ? ben c’est les roues qui tournent. » Oui mais qu’est-ce qui les fait tourner ? De même, la majorité d’entre eux sont persuadés que leur smartphone est connecté à un satellite en WiFi. Mieux comprendre comment sont fait les objets techniques et les systèmes peut leur permettre de comprendre que leur panne n’est pas une fatalité, leur remplacement pas toujours indispensable. Le cycle de vie des objets est plutôt au programme du cycle 4 mais l’impact environnemental des matériaux est abordé dès le cycle 3 et permet aux élèves de comprendre que les choix raisonnés et les économies, autant en termes de ressources en matières premières qu’en source d’énergie est un enjeu crucial pour l’avenir de tous.
Propos recueillis par Julien Cabioch
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