« L’Acte 2 » de l’école inclusive, qui doit être annoncé ce printemps, va marquer un tournant. C’est ce que donne clairement à entendre le rapport de l’Inspection générale sur « la scolarisation des élèves en situation de handicap » publié le jour même de la réunion du Comité national de suivi de l’école inclusive. Il s’agit rien moins que déposséder les MDPH du pouvoir de décider si l’AESH sera individuel ou mutualisé et de fixer la quotité d’accompagnement humain. L’Éducation nationale aurait un droit de véto sur l’attribution d’un AESH. Devant la croissance des dépenses liées au handicap, Pap Ndiaye semble décidé à serrer la vis quitte à remettre en question les bases mêmes de l’école inclusive. Et à rendre plus difficile encore le métier d’enseignant.
Un rapport strictement comptable
Particularité de ce nouveau rapport : portant sur « la scolarisation des élèves en situation de handicap » (ESH) on pourrait s’attendre à ce qu’il soit rédigé par l’Inspection générale de l’éducation nationale seule, ou par cette inspection avec l’aide de celle de la Santé (IGAS). Non, ce rapport est rédigé par deux inspecteurs généraux de l’éducation nationale, Laurent Crusson et Caroline Moreau-Fauvarque, et pas moins de 4 inspecteurs des finances, inspecteur général des finances ou expert auprès de cette inspection. L’orientation du rapport est donnée : l’école inclusive est vue sous le seul angle budgétaire. Avec un seul souci : réduire la dépense !
Porter le doute sur les attributions d’AESH
Il est vrai que la loi de 2005 s’est accompagnée de la croissance du nombre des ESH qui sont passés de 134 000 à 384 000 entre 2004 et 2020. Le ministère pourrait s’en féliciter. Cela veut dire que l’école inclusive fonctionne. Mais le rapport préfère porter le doute sur la reconnaissance du handicap, tout en précisant de façon formelle que les rapporteurs n’ont pas les compétences pour cela !
« Les investigations menées conduisent en outre à reconnaître que la demande en aide humaine est également déterminée par d’autres facteurs environnementaux, notamment sociaux », dit le rapport. Dans certains cas, l’accompagnement humain pourrait être perçu comme un moyen de compenser une forme de précarité sociale qui s’étend au-delà de la seule reconnaissance du handicap. Sans qu’il soit possible de tirer de conclusions définitives sur le sujet, la mission note l’existence d’une corrélation positive entre le nombre d’AESH pour 1 000 élèves et la part des ménages dont les revenus sont inférieurs à 40 % du revenu médian ». Là aussi, les rapporteurs pourraient se féliciter d’une dépense en faveur des plus défavorisés. Mais ce n’est pas le genre de la maison ! En fait, les rapporteurs trouvent qu’il y a corrélation entre la proportion de professeurs âgés ou celle des pauvres et le nombre d’AESH. Et cela suffit à jeter le discrédit a priori sur le recours aux aesh.
Freiner la croissance des dépenses
« La mission note que le recours à l’aide humaine est devenu le principal moyen de compensation du handicap. La mission constate que dans ce contexte, la hausse continue du nombre d’AESH n’a rien de surprenant et qu’il s’agit d’une tendance qui devrait être amenée à se poursuivre. La mission observe symétriquement l’utilisation limitée des autres ressources disponibles, en particulier le matériel pédagogique adapté ».
Le problème est clairement posé par le rapport. Le nombre d’AESH ne cesse d’augmenter : 53 447 en 2017, 80 335 en 2022. Parallèlement, leur coût a doublé, passant de 1.2 milliard en 2017 à 2.2 milliards en 2022. C’est cette croissance que le rapport veut au minimum casser et si possible inverser.
Quelques jours auparavant, le 8 novembre, Pap Ndiaye n’a pas dit autre chose. Intervenant devant la commission éducation du Sénat, le 8 novembre, il a dénoncé le coût de l’inclusion scolaire, notamment la création de 4000 postes d’AESH en 2023. « Cette hausse ne peut pas être la seule réponse aux besoins des élèves à besoins particuliers. La hausse des notifications est plus rapide que celle des AESH ».
Reprendre la main sur les notifications
Pour inverser la tendance, le ministère de l’Éducation nationale doit reprendre la main sur les notifications. Cette idée avait déjà été émise par Philippe Thurat, sous directeur du budget de la Dgesco devant le même Sénat en 2018. Selon lui, un rapport non publié de l’IGAENR envisageait déjà une procédure d’accord préalable de l’administration de l’éducation nationale à l’avis de la MDPH. Il proposait déjà une gestion des AESH par établissement afin d’en limiter le nombre par la mutualisation.
Le rapport de 2022 va plus loin. « La mission suggère que les notifications d’aide humaine des MDPH cessent de mentionner le caractère individuel ou mutualisé de l’accompagnement. L’objectif ainsi poursuivi est celui d’un rééquilibrage entre compensation et accessibilité au profit de la seconde, considérant qu’il pourrait être de la compétence de l’éducation nationale, au titre du service public dont elle a la charge, de définir la nature de l’accompagnement requis pour garantir l’égal accès à celui-ci ». Ainsi le pouvoir passerait du médical, totalement indépendant de l’Éducation nationale à celle-ci.
Cela se retrouve dans la principale proposition du rapport : « Modifier les articles L. 351-3 et D. 351-16-1 et suivants du code de l’éducation afin que la notification des MDPH ne précise plus le caractère individualisé ou mutualisé, ni la quotité de l’accompagnement humain ». Et pour garantir que l’Éducation nationale aura la main sur l’évolution du nombre d’AESH on trouve une autre proposition : « une expérimentation pourrait être mise en œuvre dès la rentrée scolaire de septembre 2022, imposant l’expression d’un avis favorable par l’enseignant référent de secteur sur le GEVA-sco comme préalable à l’examen d’une demande d’accompagnement ». Ceinture et bretelle…
Les enseignants à la peine
Évidemment, derrière, il y a les enseignants qui peinent et vont peiner bien davantage si les AESH sont retirés des classes ou en nombre insuffisant. Certes, il y a déjà des difficultés en ce domaine. L’Éducation nationale peine à recruter des personnels si mal payés. Sur ce point, le rapport apporte une piste technique (la mise à disposition contre remboursement) pour la prise en charge des heures périscolaires. Mais il est clair qu’il s’agit de casser la croissance du nombre d’AESH sans pour autant que celle des ESH puisse être contrôlée. Là-dessus, le rapport apporte la réponse convenue : il suffit de mieux former les enseignants pour que dans une classe à 26 ou 27 avec 4 enfants portant des handicaps différents tout aille bien… Vu de la rue de Grenelle, le problème et sa solution sont toujours à chercher du côté des enseignants…
C’est sous ces auspices que le ministère, à la sortie de la réunion du Comité national de suivi de l’école inclusive, annonce la prochaine conférence nationale du handicap qui aura lieu au printemps 2023 et « l’Acte II » qui doit en sortir.
La machine est en route…
Le gouvernement peut-il aller aussi loin que ce rapport ? Nous constatons qu’il a la majorité parlementaire pour cela. Une majorité a été trouvée à l’Assemblée nationale pour dénaturer la proposition de loi NUPES pour une titularisation des AESH. Des amendements identiques déposés par la droite et la majorité présidentielle ont réécrit le texte de façon à éviter de faire des AESH des fonctionnaires dont on ne pourrait plus se débarrasser. Au Sénat, le rapport Longuet a critiqué la montée des dépenses liées à l’école inclusive jugées « intenables ». On comprend mieux aussi qu’un des 4 seuls amendements adoptés par le Sénat au budget de l’Education nationale concerne les ESH. Le Sénat a voté pour l’achat de matériel informatique pour aider les enfants handicapés. Le numérique est aussi appelé à remplacer les AESH.
François Jarraud