L’orthographe fout le camp. Plus à flots massifs comme au tournant du siècle. Mais comme une baignoire qui fuit, mot après mot, accord après accord. L’erreur orthographique, hier socialement discriminante, est maintenant bien davantage partagée. C’est bien le statut de l’orthographe qui est interrogé.
Baisse continue du niveau
Comment connaitre le niveau en orthographe des écoliers de Cm2 ? La Depp fait passer à un échantillon d’élèves une dictée et compte les fautes. C’est la même dictée qui sert depuis 1987. Elle a été proposée en 2007, 2015 et maintenant en 2021.
Et tout au long de ces années, le niveau en orthographe a baissé. En 2021, les écoliers ont fait en moyenne 19 erreurs. Soit 18 erreurs en moyenne pour les filles et 21 pour les garçons. En 1987, les écoliers n’avaient fait que 11 erreurs. En 34 ans, le nombre de fautes dans la dictée a doublé !
Mais l’essentiel de la chute a eu lieu entre 1987 et 2015. En 2007, on notait 15 erreurs en moyenne. En 2015, 18. Et 19 en 2021. On voit que si les programmes Darcos ont été impuissants à empêcher la chute, les programmes de 2015 ont ralenti la chute.
La moyenne cache une forte chute du nombre d’élèves faisant peu de fautes. En 1987, 13% des écoliers faisaient moins de 2 fautes. Ils sont 2% aujourd’hui. Ceux qui font plus de 25 erreurs sont passés de 7 à 27%. De 1987 à 2021, on assiste à un tassement de la répartition des élèves avec un nombre de plus en plus dérisoire des élèves maitrisant bien l’orthographe.
Surtout l’orthographe grammaticale
Quel genre d’erreurs font les élèves ? D’après la Depp, il s’agit surtout d’orthographe grammaticale. Les mots sont connus, mais les élèves n’appliquent pas les règles sur l’accord entre le sujet et le verbe et celles sur les adjectifs, sans parler du participe passé. Le nombre des erreurs lexicales est resté à peu près le même (sur le même texte rappelons-le) qu’en 1987. » L’accord de l’adjectif passe de 46,2 % de réussite en 1987 à 25,3 % en 2021 pour « inquiets ». Là aussi, après une forte baisse jusqu’en 2015, on observe une stabilité en 2021. Concernant l’accord du participe passé, 36,3 % des élèves écrivent correctement le mot « rentrés » en 2021 contre 66,7 % en 1987. Ici aussi, la baisse n’a porté que sur la période 1987-2015″, note la Depp.
Les écarts sociaux s’élargissent à nouveau
Le taux d’erreurs reste lié à l’origine sociale des élèves. » Les élèves du premier quart font, en moyenne, 21,9 erreurs contre 15,5 chez ceux du quatrième quart. Parmi ces derniers, un tiers (34 %) fait 10 fautes ou moins à la dictée contre seulement 17,1 % chez les élèves du premier quart. Dans les écoles des deuxième et troisième quarts, les performances sont assez proches (environ 19 erreurs en moyenne quel que soit le groupe). C’est donc dans les écoles les plus favorisées et celles qui le sont le moins que le poids de l’origine sociale est le plus important », note la Depp.
Et ça, c’est une mauvaise nouvelle. Car un des faits nouveaux de 2015 était la diminution des écarts sociaux. En 2015, un enfant de retraité ou d’ouvrier faisait entre 19 et 20 fautes quand un enfant de cadre en faisait 13. Mais ce qui avait changé depuis 1987, c’était que le nombre de fautes avait doublé chez les enfants de cadre alors qu’il n’avait fait qu’augmenter de 3 points chez les enfants d’inactifs. L’enquête Depp de 2015 montrait même que l’éducation prioritaire réduit l’écart avec le non-prioritaire. : 19 fautes contre 13 en non prioritaire en 2007, 21 contre 17 en 2015. Le document de la Depp de 2021 ne permet pas la comparaison. Mais il permet de calculer qu’entre les écoles favorisées et celle d’éducation prioritaire, l’écart est passé de 6 à 7 fautes.
Comment expliquer la chute ?
Comment expliquer ce recul de l’orthographe ? Dans le Café pédagogique, Catherine Brissaud et Danièle Cogis, autrices de « Comment enseigner l’orthographe aujourd’hui ? (Hatier), interrogeaient le statut de l’orthographe. » Le poids des représentations sociales attachées à l’orthographe crée un système de pensée verrouillé dans la société et dans l’institution scolaire. Tout le monde a appris l’orthographe à l’école et tout le monde pense savoir comment on enseigne l’orthographe et comment on l’apprend. Par exemple, l’idée que la dictée et les exercices à trous sont un bon moyen d’apprendre l’orthographe est très ancrée dans la société et donc chez les parents. Tout cela pousse à l’immobilisme alors que la preuve n’est toujours pas faite de l’efficacité de ces exercices… Il y a aussi les programmes qui génèrent de la culpabilité chez les enseignants en leur faisant croire que tous les objectifs peuvent être atteints… Le problème, c’est que la culpabilité ressentie par les enseignants de ne pas atteindre les objectifs des programmes passe sur les élèves, et peut-être davantage sur les moins avancés, qui ne parviennent pas à faire seuls la différence entre ce qu’ils ont compris et l’orthographe telle qu’elle fonctionne ». En orthographe, les erreurs sont des « fautes »… Pour elles, il faut » prendre le temps que les élèves découvrent et comprennent d’abord, s’approprient, ensuite, un nombre limité de notions. Il faudrait donc que l’école se mobilise sur un programme réduit, de base, réellement. » Cela alors que les programmes avancent à toute vitesse.
Quels remèdes ?
En 2018, la conférence de consensus du Cnesco s’était penchée sur l’enseignement de la grammaire. » Patrice Gourdet (université de Cergy) expliquait qu’il faut des démarches explicites en grammaire qui permettent de développer la conscience métalinguistique des élèves. Il plaidait pour une grammaire qui favorise la réflexion des élèves, une pratique raisonnée de la langue en contexte d’écriture. Jacques Crinon (UPEC) allait plus loin. Pour lui, le premier critère, c’est la fréquence de l’écriture. Quand les élèves écrivent beaucoup, ils progressent davantage. C’est l’avantage des pédagogies qui font écrire souvent, beaucoup, dans des contextes de communication comme Freinet. La conférence recommandait de faire écrire les élèves et de leur faire reprendre les productions en binôme. Il recommandait aussi d’autres types de dictées invitant à la réflexion sur la langue comme la dictée zéro faute où les élèves peuvent à tout moment poser des questions.
Danièle Cogis appelait aussi à un enseignement réflexif de l’orthographe. » « La première posture me parait de trouver les moyens de faire engager par les élèves eux-mêmes les conditions de détecter leurs erreurs plutôt que de corriger leurs fautes… Il s’agit davantage de développer les postures d’investigation, de catégorisation, de réflexion, plutôt qu’espérer que des apprentissages mécanistes soient efficaces. L’orthographe aide au contraire à « détacher de soi » le langage de situation, d’action, en matérialisant des relations qui donnent sens aux textes écrits. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les élèves qui sont défaillants, ce sont les apprentissages qui sont longs à mettre en œuvre ».
François Jarraud