L’Ecole peut-elle renouveler ses supports, formes et modalités habituelles de l’écriture ? Professeur-documentaliste dans l’académie de Rennes, Grégory Lanevère montre ainsi combien il est facile et fécond de déployer une webradio au CDI pour amener les élèves à pratiquer l’écriture radiophonique, en particulier dans ses dimensions les plus créatives. La webradio permet de travailler de nombreuses compétences disciplinaires et transdisciplinaires, de susciter dynamique de groupes et d’établissements, de mener par la pratique l’indispensable éducation aux médias et même de « redistribuer les cartes » en mettant en réussite des élèves par ailleurs en difficulté. On a évoqué la transformation des « CDI » en 3C, en « Centres de Connaissances et de Culture » : et s’ils se faisaient 4C en devenant aussi des Centres de Créativité ?
Professeur-documentaliste, vous déployez dans votre établissement une webradio : selon quel dispositif de travail ?
Nous travaillons sur deux modes : d’abord en classe, où le podcast est utilisé comme objet de production finale dans différentes matières ; et sur un mode « club média », auquel peuvent participer tous les élèves qui le souhaitent, sur le temps du midi. Le studio radio est installé au cœur du CDI : c’est une manière de « matérialiser » notre radio, en lui donnant une existence visible et pérenne, et ne pas en faire une activité intermittente.
Sur la question matérielle, notre dispositif est simple et basique, similaire à celui qu’on peut trouver dans des milliers de CDI : une mixette, 4 micros et casques, une enceinte, quelques enregistreurs numériques pour envoyer les élèves sur le terrain… Avec moins de 1000 euros, voire quelques centaines d’euros, on constitue un studio de qualité tout à fait satisfaisante.
Pour la diffusion, les productions seront bientôt diffusées sur le site de l’établissement. En attendant, elles sont hébergées sur la plateforme gratuite Arte Audioblog, qui est une référence de confiance, et répertorie près de 1000 webradios scolaires en France.
Beaucoup d’enseignants utilisent désormais smartphones, tablettes ou outils d’enregistrement en ligne pour faire produire des podcasts par les élèves : en quoi un équipement radio vous semble-t-il apporter une plus-value ?
L’équipement ne fait pas la qualité du projet. C’est le contenu qui prime : la scénarisation pédagogique, le choix des formats, l’écriture et la mise en voix, la créativité… sont bien plus importants pour parvenir à nos objectifs pédagogiques. De par mon activité au sein du CLEMI Bretagne, très actif sur le sujet, j’ai connaissance de projets qui fonctionnent avec trois bouts de ficelle, mais dont le résultat est remarquable.
Par contre, un minimum de qualité dans la captation du son me semble indispensable pour aboutir à des productions diffusables, qui donnent envie d’être écoutées (un objectif à ne surtout pas perdre de vue) et dont les élèves puissent être fiers et valorisés. Un enregistrement direct via une tablette, sans micro externe, ne me semble pas répondre à ces exigences, par exemple.
La technique doit être au service du pédagogique. Dans notre cas, le fait de disposer d’un studio offre principalement du confort, et des possibilités que l’on peut mettre au service de la conception des contenus : possibilité d’utiliser 4 micros en même temps, donc de faire des débats ; possibilité de diffuser des sons en direct (jingles, bruitages, bobines…), donc de construire des émissions en « faux direct », sans montage….
Quelles sont les finalités d’un tel travail ?
De manière plus large, la pratique des médias en établissement scolaire, à mon sens, vise trois objectifs : le développement de compétences, scolaires et extra-scolaires ; la mise à disposition d’un espace d’expression citoyenne pour nos élèves, dans lequel ils peuvent porter une parole personnelle ; une action sur le climat de l’établissement, la cohésion, l’interconnaissance entre jeunes et adultes qui se croisent chaque jour sans vraiment se connaître.
En quoi le travail mené favorise-t-il la compréhension par les élèves du monde des médias et de l’information ?
Il n’y a pas de meilleure école pour comprendre les médias que de les pratiquer soi-même. Toucher du doigt la difficulté de la construction de l’information (la recueillir, la vérifier, l’évaluer, la mettre en forme…) permet aux élèves de mieux saisir l’activité de journaliste, ses écueils, ses méthodes, ses limites, ses enjeux. Cela permet par exemple de déconstruire des idées reçues et des discours englobants sur les médias. L’exercice de l’expression personnelle permet aussi de déconstruire la notion utopique d’objectité, et de se saisir de la question du point de vue, des lignes éditoriales, de la diversité des médias, de l’honnêteté intellectuelle, de la déontologie des médias…
Vous faites volontiers travailler les élèves sur des formats créatifs : lesquels ? pourquoi ?
La question des formats est fondamentale, car elle permet de poursuivre un objectif essentiel : celui de se faire plaisir. J’incite notamment mes élèves à essayer d’être drôles, d’abord parce qu’ils s’engagent ainsi plus volontiers dans le travail et donc dans l’acquisition de compétences ; et aussi parce que l’ambition est de produire des contenus que d’autres prendront plaisir à écouter. Apprendre et informer par le détour du jeu et de l’humour, tout le monde est gagnant… y compris moi-même, car mon rôle est ainsi plus agréable et facile.
Pour cela, on va privilégier les formats courts, et « faire feu de tout bois » en s’emparant des spécificités, de l’identité d’un établissement ou d’une équipe de rédaction. Cela peut basiquement passer par la carte postale sonore, ou de façon plus originale en racontant les petites histoires du collège par la statue qui trône au milieu de la cour, à Moncontour ; en relatant la construction du lycée de Liffré par le mouton qui vit dans le pré, juste à côté. Cette année, à Combourg, une de mes élèves se prénomme Esther : profitons-en pour écrire des chroniques collégiennes, les « Cahiers d’Esther… et des autres », inspirée par le travail de Riad Sattouf… Un autre exemple : à Moncontour, les collégiens ont créé une petite pièce de théâtre radiophonique pour retracer le parcours de déchets recyclés. Tout est prétexte à un travail d’écriture, de recherche d’information, de mise en voix et de création sonore.
En quoi, par-delà l’EMI, le travail en webradio vous semble-t-il particulièrement formateur pour les élèves ?
Ce que j’ai remarqué au cours de mon expérience personnelle, c’est que la pratique de la webradio en contexte éducatif a une vertu insoupçonnée : elle redistribue totalement les cartes au sein du groupe. Les élèves qui produisent le meilleur travail ne sont pas forcément ceux que l’on qualifie ailleurs de « bons élèves », les « têtes de classe » qui maîtrisent bien les codes de l’école. On est parfois très surpris de l’aisance, de la capacité à se décentrer, de la maîtrise d’un registre oralisé de certains élèves peu en réussite par ailleurs. Pour l’anecdote, j’ai par exemple découvert à la fin d’une année scolaire que l’un des élèves leader de l’équipe de rédaction, un point d’appui important pour ses camarades, était en fait dyslexique et en grande difficulté scolaire.
Cette redistribution des cartes est source d’une émulation très intéressante au sein du groupe classe : elle tire tout le monde vers le haut, en renforçant la confiance de certains élèves qui en ont besoin, et en poussant aussi les élèves « en réussite scolaire » à se dépasser pour se mettre au niveau des meilleurs.
Mais surtout, la pratique des médias en établissement scolaire ouvre un espace d’expression à nos élèves, qui n’en disposent que trop rarement. Cette opportunité, celle de prendre la parole et d’exercer leur esprit critique, est fondamentale pour leur construction d’adulte et de citoyen éclairé. J’irai même plus loin, en utilisant le gros mot « d’émancipation ».
Avec la DRANE, également très engagée sur le développement de la webradio en Bretagne, nous travaillons d’ailleurs à la mise en place d’une webradio académique, dont l’objectif est de donner un écho à cette expression des jeunes, de valoriser les podcasts réalisés en établissements scolaires. Ils sont souvent de grande qualité, mais leur audience demeure malheureusement trop confidentielle.
En quoi la webradio favorise-t-elle sentiment d’appartenance et dynamique de coopération à l’échelle de l’établissement ?
Dans nos établissements, des centaines de personnes se croisent chaque jour sans rien connaître les unes des autres. Pourtant, beaucoup d’entre-elles ont des activités, des engagements, des réussites d’un grand intérêt. Les médias en établissement scolaire sont un moyen de découvrir, derrière les statuts d’élèves, d’enseignants, de personnels, des histoires et des personnalités qui mettent de l’humanité dans nos rapports quotidiens.
Et si j’apprends que mon professeur de mathématiques, d’habitude si sévère, est particulièrement engagé dans un projet humanitaire ; et si j’apprends que cet élève que je croise chaque jour sans lui parler est en fait champion de France de tir à l’arc ; et si j’apprends que notre agent de maintenance est un musicien talentueux qui a déjà fait des centaines de concerts… ? Est-ce que je ne les considérerais pas différemment ? Est-ce que je ne verrais pas aussi la personne derrière l’élève ou le collègue ?
C’est là un enjeu de la webradio et du média en établissement scolaire : créer du lien au sein de cette communauté de personnes.
On a évoqué la transformation des « CDI » en 3C, en « Centres de Connaissances et de Culture » : vous semblerait-il pertinent d’en faire des 4 C, d’en faire aussi des Centres de Créativité ?
Cette question est l’occasion pour moi de saluer mes consœurs et confrères professeur.es documentalistes, dont certain.es mènent un travail admirable et très inspirant. Beaucoup de CDI, à mon sens, sont déjà des centres de créativité. La mission de médiation culturelle, en particulier, nécessite beaucoup d’inventivité pour parvenir à transmettre des savoirs, à encourager les pratiques artistiques. Dans ces lieux, la créativité se situe autant du côté des pratiques pédagogiques, sans cesse renouvelées par quantité de mes collègues, que des élèves, qui sont amenés à s’exercer sur des nouveaux supports (médias sociaux, webTV…), sur des nouveaux objets (algorithmes, données ouvertes, communs…), selon des nouvelles méthodes (sketchnoting…)…
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Ressources de Grégory Lanevère sur la webradio
De la fiction radiophonique à la chronique engagée : un parcours en webradio au collège