« L’évaluation n’est pas un exercice neutre consistant à quantifier le mérite d’un élève. Mais selon le type d’évaluation, elle a des effets psychosociaux sur les élèves et les enseignants ». Ces propos d’Agnès Florin, responsable avec André Tricot du Cnesco, résume assez bien une journée qui a vu se succéder des chercheurs expliquant pourquoi l’évaluation normative (en France le plus souvent avec une note) nuit aux apprentissages et contribue aux inégalités sociales de réussite scolaire. Des affirmations qui ne sont pas nouvelles, mais qui se heurtent au monde réel.
Évaluation normative, évaluation formative
Il y avait un petit air de déjà vu lors de cette première journée de la conférence de consensus du Cnesco sur l’évaluation. Le système éducatif a déjà connu des conférences comparables. La dernière était organisée par la Dgesco en 2014 et certains participants de la conférence de 2022 étaient déjà là.
Fabrizio Butera (université de Lausanne) démontre que l’évaluation normative sert surtout à la comparaison entre élèves et à leur sélection. Ses travaux montrent qu’elle diminue la motivation intrinsèque des élèves et qu’elle diminue aussi la coopération entre élèves. Il montre aussi que le type d’évaluation a un effet sur l’évaluateur. Quand ils mettent des notes, les évaluateurs trouvent davantage de fautes dans une dictée chez les élèves défavorisés que quand ils font une évaluation formative. Ces propos sont relayés par Lucie Mottier-Lopez (université de Genève) pour qui l’évaluation normative est « une pratique sociale » et non pédagogique. Elle constate que « les praticiens résistent » et leur demande de penser à la finalité éducative de l’évaluation, sachant qu’une évaluation pédagogique « ne peut pas être sélective ». Elle recommande l’implication des élèves dans la démarche d’évaluation, les démarches d’autoévaluation et d’évaluation par les pairs.
Ces perspectives vont être déclinées par plusieurs chercheurs. S. Genelot (université de Bourgogne) montre que les enseignants passent beaucoup de temps à différentes formes d’évaluation, mais ne reconnaissent que la normative comme véritable évaluation. Les parents, selon S Bénit, ne prêtent attention qu’aux évaluations formalisées. F Fenouillet montre que l’évaluation a un impact sur la motivation des élèves. Pascal Pansu (université Grenoble Alpes) explique que l’évaluation influe sur la perception qu’ont les élèves d’eux-mêmes. S Goudeau (université de Poitiers) fait le lien entre l’évaluation normative et les inégalités sociales à l’Ecole.
Mais pourquoi ça ne marche pas ?
Mais la vraie question est posée par le constat dressé par l’inspectrice générale Brigitte Hazard. Elle rappelle que la loi de 2013 impose que les enseignants évitent « la notation sanction » et privilégient l’évaluation « positive, simple et lisible ». La loi de 2019 invite à « mesurer et valoriser la progression de l’acquisition des compétences et connaissances par l’élève ». Mais voilà, ça ne marche pas comme le ministère voudrait. Si les choses ont changé à l’école, ce n’est pas le cas pour les fondamentaux et les ressources publiées par Eduscol sont « quasiment non utilisées ». Au collège, il y a des évolutions positives smais là aussi cela varie selon les disciplines. Cohabitent au collège une évaluation des compétences formative et une évaluation sommative notée. Au lycée, c’est pire selon B Hazard. « Les professeurs de lycée ont une sale habitude : préparer les élèves au certificatif, au bac. Ils ont des pratiques évaluatives très influencées par des pratiques certificatives ». D’où le dispositif que l’on leur a imposé de définir au niveau de l’établissement les critères d’évaluation.
Déjà vu
Le côté « déjà vu » de la conférence se tient dans ce constat. Comme lors de la conférence de 2014, il y a d’un côté les certitudes de la recherche, les injonctions de l’institution et de l’autre les enseignants qui n’en ont cure.
Disons tout de suite que la conférence du Cnesco agit de façon beaucoup plus intelligente que la Dgesco en 2014. Au martelage de 2014 succèdent des appels à l’intelligence portés par des chercheurs.
Mais la vraie question est éludée. Pourquoi ça ne marche pas. Brigitte Hazard finit par dire que « les exigences de l’institution paraissent un peu contradictoires » aux enseignants. On est sur la bonne piste. Comment, dans un système éducatif conçu pour être élitiste et sélectif, l’évaluation pourrait-elle être, sans tromper parents et élèves, non sélective ? Demain, la seconde journée de la conférence permettra-t-elle d’y voir plus clair ?
François Jarraud