À la veille de l’ouverture des « Assises des mathématiques », Pap Ndiaye désamorce le choc médiatique en annonçant une « nouvelle stratégie » pour les mathématiques à l’école. Il confirme la généralisation de l’heure et demie de maths en lycée général et promet des groupes réduits en 6ème. Cela suffira-t-il à répondre à une crise gravissime qui frappe dès le primaire et qui est liée aux choix de l’institution scolaire ?
La nouvelle « stratégie mathématiques »
« Aujourd’hui, trop d’élèves quittent notre système scolaire sans détenir les acquis mathématiques nécessaires : ce sont en effet 25% des élèves qui n’ont pas le niveau attendu en mathématiques à l’issue de la classe de 3e, un constat plus inquiétant encore pour les élèves qui s’orientent vers le lycée professionnel où les évaluations nationales nous montrent que 70% d’entre eux ont un niveau trop faible en mathématiques », écrit le ministère qui annonce « une nouvelle stratégie » pour « réconcilier tous les élèves avec les maths ».
Disons-le tout de suite, la stratégie oublie justement les « 70% » des élèves de lycée professionnel qui ont un trop faible niveau. P Ndiaye promet « un module de réconciliation avec les maths » en 2de. Mais on ne sait toujours pas comment il va pouvoir concilier le doublement de la durée des stages en entreprises en bac professionnel avec le maintien d’un horaire suffisant de cours en lycée.
À l’école, la nouvelle stratégie se limite au maintien du « plan maths » avec semble-t-il un effort pour la maternelle, que le ministère veut scolariser davantage. Au collège, il annonce « la mise en place de groupes à effectifs réduits » en 6ème en maths et la généralisation de « clubs de maths » à la rentrée 2023. En fin de 3ème, les élèves devront certifier leur niveau par rapport à un « cadre national de compétences en maths » sur le modèle du CECRL des langues.
Au lycée, le ministère confirme qu’une heure et demie de maths obligatoire en 1ère générale, sans fixer de date, et la création du « module de réconciliation avec les maths » en 2de.
Le ministère veut aussi « déconstruire les représentations sur les maths pour encourager l’égalité filles garçons. Il se fixe comme objectif la parité d’ici à 2027 dans les spécialités maths, physique-chimie et maths expertes. Pour cela, il fixera des objectifs chiffrés d’orientation.
Des Assises des maths qui sonnent l’alarme
Ces annonces ont lieu à la veille de d’ouverture des Assises des maths, réunie spar le CNRS du 14 au 16 novembre. Les assises veulent alerter sur la désaffection de la discipline, « la baisse du niveau généralisée des élèves » et « la difficulté de recrutement dans l’enseignement secondaire ». Pour cela l’Institut national des sciences mathématiques montre la place importante des maths dans la vie économique avec plus de 3 millions d’emplois et 18% du PIB impactés par le niveau en maths. Or pour les Assises, « la disponibilité de personnes suffisamment formées aux maths sont assez faibles ». Le taux de couverture des postes proposés au capes de maths ne dépasse pas 80% par exemple.
Crise au lycée
Cette nouvelle stratégie vient aussi répondre aux critiques des professeurs de sciences qui ne cessent d’alerter après la réforme du lycée. La part des élèves suivant des études de maths a énormément baissé. Avant la réforme, selon les associations de professeurs, 330 000 élèves avaient au moins 4 h de maths en terminale et 50 000 n’en faisaient pas du tout. Ils ne sont plus que 140 000 à avoir au moins 4 h de maths et 170 000 n’en font pas du tout. Cet effondrement s’est accompagné d’une sélection accrue : les maths sont devenues encore plus élitistes socialement et aussi plus masculines. Le ministère n’entend pourtant pas revenir sur la réforme du lycée.
Les résultats désastreux des écoliers et collégiens
On aurait tort de croire que le problème n’existe qu’au lycée général. Sans revenir sur le cas des lycées professionnels, l’évaluation internationale TIMSS donne des résultats désastreux pour le niveau en maths des jeunes Français à l’école et au collège. TIMSS 2019 montre qu’en Cm1 les écoliers français sont nettement en dessous de la moyenne des pays de l’UE (485 contre 527) et de l’OCDE (529). Cet écart de 50 points correspond à une année d’enseignement ! Il faut chercher le Chili pour ne pas être le dernier pays de l’OCDE… De plus, notre score a baissé depuis les déjà très mauvais résultats de 2015. L’école française compte trop d’élèves très faibles (12%) et trop peu de très bons (3% contre 7% dans l’OCDE).
TIMSS évalue aussi le niveau des collégiens de 4ème. Avec 483 points, nous sommes là aussi en dessous du niveau des pays de l’UE et de l’OCDE avec là aussi 50 points d’écart. La situation est la même qu’en CM1 : beaucoup trop de très faibles, trop peu de très bons élèves. On notera aussi une nette différence entre garçons et filles : 13 points de mieux pour les garçons en CM1, 9 en 4ème.
Analyses et réponses
Face à ce fiasco, le réflexe du ministère est d’accuser les professeurs des écoles qui seraient trop peu matheux. D’où le plan maths. C’est vrai. Mais TIMSS n’a pas établi de lien entre le niveau en maths des professeurs et les résultats des élèves. En CM1, les professeurs diplômés en maths ont de moins bons résultats que les autres (471 points contre 484). La formation des enseignants ne devrait donc pas se focaliser sur les maths. Le plan maths est critiqué par la focalisation sur les marottes ministérielles : l’apprentissage précoce des 4 opérations, des repères annuels au lieu de cycles, ce qui dramatise cet enseignement (c’est le réflexe CERCL), la multiplication de guides et manuels pour redresser les pratiques des enseignants au lieu de soutenir les pratiques.
Système et pédagogie
Inversement, il n’y a pas de prise en compte des inégalités sociales de résultats. On sait pourtant avec TIMSS qu’entre les élève sdes familles favorisées et les autres il y a un écart de 100 points en CM1 comme en 4ème (534-432). Ecart aussi entre les écoles qui comptent peu d’élèves favorisés et les autres : 511 contre 453 points en Cm1, soit une année d’enseignement. L’absentéisme des élèves est aussi un facteur marquant.
TIMSS pointe aussi des variables pédagogiques. Le ministère parle maths. Mais les maths dépendent largement du langage. Les élèves qui ont comme langue maternelle celle de l’enseignant réussissent nettement mieux : 491 points contre 431 en CM1. Les maths sont un langage et sa maitrise relève aussi de celle du langage en général.
Mettons ensemble tout cela. On mesure alors à quel point la crise des maths en France est particulièrement grave et occulte l’avenir économique du pays. On voit aussi comment l’institution scolaire y participe, avec la ségrégation scolaire comme avec l’abandon des maths en lycée. Chacun peut alors mesurer la portée de la nouvelle « stratégie mathématiques » qui vient d’être annoncée…
François Jarraud